vendredi 26 octobre 2007

Variétés

Le monde n’est pas si mauvais. Tandis que l’opium du peuple, magistralement vendu à un public qui n’en avait rien à faire six mois auparavant, s’incarnait en un ballon ovale et trente musculatures malmenées, un millier de personnes à chaque fois se laissait prendre à la logique tortueuse et caustique du Socrate de Telemann* (c’étaient les demi-finales) puis à la mélodie raffinée et sensuelle de la pécheresse sanctifiée de Caldara (c’était la finale). C’était à la Cité de la Musique, comme dans d’autres lieux de culture partout en France, et le chantre en était René Jacobs. C’est une forme de résistance.

Pendant ce temps, une autre opération de marketing habile vend une autre soupe, pour un public moins nombreux mais pas forcément plus délicat que celui du rugby : Decca vend Cecilia Bartoli as Maria Malibran, la plus célèbre chanteuse du début du XIXe siècle, au prix d’une identification macabre entre l’héroïne romantique et Maria Callas, morte il y a trente ans, et donc avec Bartoli elle-même. Voilà donc un album comme en variété, avec un concept en boîte. Même si Bartoli a (ou avait) bien plus de talent qu’un vulgaire Pavarotti ou qu’une banale Netrebko, cela n’a plus rien à voir avec la musique.

Cela n’a rien à voir (ce qui est le principe de ce genre de messages accumulatifs), mais l’actualité m’a fourni un excellent parallèle, en matière de ballet narratif, avec ce que j’avais écrit sur Hurlevent de Kader Belarbi.

Sasha Waltz est une chorégraphe qui ne manque pas de talent, même si elle restera sans doute toujours plus une bonne élève qu’une créatrice de tout premier plan : j’avais particulièrement apprécié Impromptus, sa création sur des lieder et des pièces pour piano de Schubert. Mais voilà que, créant pour la première fois un ballet à l’Opéra de Paris, elle a choisi de mettre en images le Roméo et Juliette de Berlioz : cela aura valu au public de Bastille un moment de musique de très haut niveau, grâce à l’Orchestre de l’Opéra merveilleusement ciselé par un Valery Gergiev pour une fois investi et poétique.

Mais, de même que la « symphonie dramatique » de Berlioz, le parti pris de la Berlinoise tourne résolument le dos à la narration : non pas l’histoire de Roméo et Juliette, mais l’essence de cette histoire. À vouloir à tout prix atteindre les sommets inaccessibles du pur amour, Sasha Waltz ne pouvait que tomber dans les abîmes de la banalité : il lui aurait fallu s’interroger sur ce qui fait que nous, êtres humains, aimons tant qu’on nous raconte des histoires, avec des personnages, des rebondissements, des moments inutiles. Ses ballets abstraits séduisaient par leur beauté, leur élégance même un peu vaines ; ici le sommet du ridicule est atteint quand Roméo escalade à dix reprises un pan de décor avant d’en glisser à chaque fois jusqu’en bas. Un prosaïsme que le plus banal des ballets classiques aurait su éviter.

*Cet opéra, La Patience de Socrate (Der geduldige Sokrates) a été enregistré dans les années 80 par une troupe hongroise pour l’éditeur Hungaroton : ces défricheursuHHHH ont fait un travail remarquable sur une œuvre qui ne l’est pas moins, et René Jacobs ne parvient pas vraiment à concurrencer ce coup d’essai, en partie en raison de sa distribution assez faible. Le disque hongrois mérite donc toute votre attention, d’autant plus qu’il est disponible (distr. Abeille Musique).

Quant à la Maddalena de Caldara, il n’y a pas d’autre choix que l’enregistrement de René Jacobs chez Harmonia Mundi, mais ce n’est pas à regretter en raison des affinités évidentes du chef belge avec ce répertoire.

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