Le mouvement baroque est un paradoxe (très) vivant : avec un bon demi-siècle d'existence*, il reste pour certains une mode. Une mode quinquagénaire, l'eût-on cru ? Pour faire le bilan de ces décennies, il serait facile de faire une liste, forcément interminable, des compositeurs qu'on a pu réentendre à cette occasion, des médiocres aux génies, les Mondonville, Froberger, Rameau, Lully, Keiser, etc. On pourrait aussi faire la louange de toutes les sonorités que nous avons, grâce au baroque, appris à redécouvrir : le clavecin bien sûr, mais aussi la flûte à bec, tous les luths imaginables, les sonorités délicates des consorts anglais, la viole de gambe, etc.
Mais plus encore : le baroque a changé toute notre manière d'envisager la musique. Une victime là-dedans, victime que j'aiderais volontiers à achever avec la plus grande sauvagerie : la notion de chef-d'œuvre, ce monument classé et intouchable qu'on visite l'air constipé en s'interdisant toute opinion personnelle de peur de passer pour un imbécile. On ne sait plus aujourd'hui d'avance ce qui est, ou n'est pas, un chef-d'œuvre : chaque concert, chaque représentation d'opéra redevient ainsi ce qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être, une véritable aventure, tandis qu'on voit s'éloigner (trop lentement) des salles de spectacle, au soulagement presque général, des baudruches qui ne pouvaient contenter que le public bourgeois en quête de confort, ces Aida, Faust, Cavalleria Rusticana et équivalents.
Le répertoire du mélomane, sous le double effet du progrès de l'enregistrement sonore et du baroque, s'est incroyablement élargi : ce n'est pas forcément rassurant pour certains, mais quel enrichissement pour qui ose se lancer dans l'aventure ! Récemment, lors d'un concert de Vadim Repin, je me laissais perdre par le violoniste russe dans le dédale de la Sonate à Kreutzer, chef-d'œuvre garanti AOC - et je me disais que ce que j'entendais là, malgré presque deux siècles de musicographie qui en ont coupé en quatre la moindre note, c'était pour moi, en cet instant, de l'inouï : et je dois cette sensation au rafraîchissement que nous a apporté le baroque.
Qu'il y ait dans le monde baroque de drôles d'oiseaux, qui y voient une manière de s'opposer au monde moderne en se référant au monde de nos bons rois quand la France était encore la France (... ad libitum) : ils ne comprennent sans doute rien à ce qu'ils entendent, ce qui explique d'ailleurs qu'ils soient si frileux, voire haineux à l'égard de cet autre grand pourvoyeur de sang frais qu'est la musique contemporaine - Boulez et le baroque, malgré les mépris mal informés du premier pour le second, même combat...
Les adversaires du baroque, quand ils ne le sont pas par ignorance, le sont sans doute, avant tout, par amour du confort...
*On peut ainsi écouter directement en ligne le premier acte de l'Orfeo de Monteverdi, dirigé par Paul Hindemith avec des musiciens des Wiener Symphoniker dont Nikolaus Harnoncourt (1952) : où il apparaît que, si tout n'est pas parfait, certaines intuitions des pionniers gardent une fraîcheur fort étonnante...
(ceci étant dit sans oublier que le mouvement a des racines plus profondes encore, telles ces premières résurrections de tragédies lyriques à l'Opéra de Paris dans les premières décennies du XXe siècle).
vendredi 31 octobre 2008
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Je ne suis pas sûr que le chef d’oeuvre disparaisse de sitôt… Rien de plus douloureux que l’infini : dans le flot des productions l’oreille fait du chef d’œuvre son île. Contre la folie l’oreille élabore une carte musicale faite de centres et d’étendues indistinctes, trace des parcours familiers, devine des correspondances lointaines et tente de couvrir l’espace. Le désir veut un trajet, une carte, un horizon. Ce qui ne manquera pas de se produire, dans le simple contraste des œuvres.
RépondreSupprimerLe Chef d'Oeuvre est une notion marketing détestable qui prétend les trouver innés et immuables. Les centres se construisent, se déplacent suivant des mouvements obscures. Chaque voyage modifie la carte ou risque de la graver.
Un grand merci pour votre blog.