Quoi de commun, dans tout cela ? Le mécénat, bien sûr. Les places vides dans les concerts complets, ce sont des mécènes (en général des entreprises) qui achètent des places en bloc et ne prennent même pas la peine de les libérer quand ils n'en ont finalement pas l'usage, ou les bénéficiaires de ces places qui ont tellement mieux à faire que d'aller s'embêter au concert. Rien à voir avec la qualité dudit concert : ce sera pareil, on peut le parier, lors de la venue du Philharmonique de Berlin dans quelques semaines. Or, même avec mécénat et achat de ces places, tout ceci coûte de l'argent au contribuable via les subventions, qui sont ainsi utilisées pour financer des places inoccupées.
Alberto Vilar, ce fut pendant quelques années l'homme à tout faire du mécénat, et rétrospectivement on peut le voir comme l'incarnation dans le domaine culturel des dérives du système financier dont même la droite a fini par convenir, une sorte de petit Bernard Madoff en quelque sorte. Il semblait alors qu'il suffisait qu'un orchestre soit menacé de se retrouver sur la paille pour que Vilar, en Superman, arrive pour régler les problèmes à coups de millions. Il y eut un portrait de lui à Salzbourg, une plaque au Met, le Floral Hall du Royal Opera à Londres s'appelait évidemment Vilar Floral Hall - et rien en France, la loi française rendant à l'époque le mécénat moins intéressant. La chute fut rude : non seulement Vilar se retrouva ruiné (mais c'est son problème), mais il fut loin de tenir tous ses engagements, et surtout il s'avéra que sa fortune était fondée sur un échafaudage de fraudes diverses (d'où sa récente condamnation à 9 ans de prison). C'est vrai, la musique n'a pas encore eu le privilège de fricoter avec les fortunes pétrolières du Moyen Orient comme c'est le cas, bien malgré eux, pour les musées ou les universités (il y a des vendus partout), mais elle n'ignore pas pour autant les partenariats hasardeux.
Sur le Festival de Salzbourg, la mêlée est si confuse que je me garderai bien d'essayer d'en démêler les fils. On a entre autres des démissions de responsables accusés de corruption (il s'agit notamment d'un responsable technique : il n'y a pas qu'en France que les marchés publics dérapent), mais aussi des manœuvres troubles autour du mécénat du Festival de Pâques (qui, rappelons-le, tire son existence de la concurrence entre les Philharmoniques de Vienne et de Berlin, ces derniers tenant à être présents aussi à Salzbourg). C'est d'autant plus gênant que le festival est, nettement plus encore que le festival d'été, une sorte d'équivalent musical de Davos pour l'économie.
Le mécénat, paraît-il, est la panacée dans le domaine culturel, et bien entendu il est très condamnable de le critiquer : ces pauvres institutions culturelles qui coûtent si cher au pauvre contribuable français devraient remercier ces bonnes entreprises qui daignent leur jeter trois croûtons de pain de temps en temps. Que serait, nous chante-t-on régulièrement, les institutions culturelles sans le mécénat ? Eh bien... euh... à peu près la même chose, en fait, avec moins de publicité, moins de clinquant, et peut-être bien plus de places pour ceux qui ne sont pas arrosés par les entreprises mécènes.
Pourquoi ? Parce que le mécénat culturel donne lieu pour les entreprises à de tels avantages fiscaux qu'ils finissent par en rendre le coût dérisoire, alors même que leur mise en avant est disproportionnée par rapport à leur apport réel, en tout cas dans les pays civilisés. L'abattement de base est en effet de 60 %, augmenté d'avantages en nature (communication autour de l'action, billets de spectacle, visites privées, réceptions, etc.) pouvant atteindre jusqu'à 25 % du montant du don. Sachant que la récolte du mécénat est une activité coûteuse pour les institutions culturelles et peut facilement grignoter une partie non négligeable des 15 % restants, on se demande quel est le profit pour le contribuable et potentiel spectateur, puisque moins de places sont mises en vente pour le public normal et que l'essentiel du montant versé est récupéré par l'entreprise ou dépensé en contreparties et frais par l'institution qui reçoit le don.
C'est donc contre-productif dans le sens où ces places ainsi accaparées sont comme toutes les places financées par l'argent public, mais aussi parce que la mise en valeur des entreprises mécènes, sous des titres aussi pompeux que possible, va à l'encontre de ce que doit être l'essence de l'action publique en matière de culture : cette idée que c'est la communauté des citoyens qui organise ensemble, pour l'éducation de tous, les manifestations culturelles. On donne ainsi l'impression que les spectateurs doivent être reconnaissants d'abord aux entreprises, alors que c'est d'abord la communauté nationale qui leur offre le spectacle qu'ils voient. Sans parler des modalités de distribution de ces places achetées en gros par les entreprises : non seulement un certain nombre ne servent à rien puisque leurs bénéficiaires ne viennent pas, mais en plus elles consistent des avantages en nature qui, on s'en doute, vont rarement au simple ouvrier méritant - en cette période où on parle régulièrement de bonus et avantages en tout genre, ces cadeaux effectués par les entreprises à leurs cadres ou aux relations professionnelles de ceux-ci grâce à l'argent public ne peuvent que susciter une certaine ironie.
Comme je suis généreux, je vous offre un petit texte trouvé sur un pdf du ministère de la culture :
Au-delà de l’intérêt personnel que vous pouvez avoir pour la culture ou certaines actions culturelles de proximité, il faut envisager le mécénat culturel comme un partenariat gagnant-gagnant qui doit s’inscrire dans la stratégie de votre entreprise.
Il y a trois bénéfices majeurs à tirer d'une telle démarche...
• C’est un moyen idéal pour communiquer autrement :
- en externe, vis-à-vis de vos clients, de vos partenaires ou du grand public,
- en interne, auprès du personnel de votre entreprise.
• C’est une façon d’affirmer vos valeurs et de mettre vos compétences au service de l’intérêt général.
• C’est aussi une façon de soutenir le développement culturel local et donc de participer à l’attractivité de votre territoire.
Ne me remerciez pas, j'aime partager mon goût pour la poésie pure.
Dèlicieuse poèsie en effet, et excellent article...
RépondreSupprimerL'accouplement du style administratif et de celui des plaquettes d'entreprise donne naissance à des monstres difformes... Sinon, la bécasse me fait penser à un concert du NYPO avec Masur il y a quelques années. Après une excellente Eroica (si si), j'applaudissais avec enthousiasme et ma sympathique voisine,avec qui j'avais échangé trois mots avant le concert, me dit avec l'air sincèrement effaré : "ah mais vous aimez vraiment ça, alors..." Invitée de sponsor...
RépondreSupprimerCela étant, tout en me désolant aussi sur les idiots qui sont invités, je pense que le mécénat est indispensable. D'abord, parce que les tournées sont rendues possibles par le mécénat. Je ne retrouve plus la source, mais je crois bien que l'annulation de la tournée de Boston cette saison venait du retrait d'un sponsor. Je préfère que le concert ait lieu avec 300 places réservées à des idiots, si cela permet à 1.500 personnes qui a envie d'y être d'y aller.
En outre, je ne vois pas au nom de quoi l'Etat ou les collectivités locales devaient avoir le monopole de la culture, puisque ce serait le résultat de la fin du mécénat. Seuls les régimes totalitaires communistes et nazi ont entièrement confisqué l'action culturelle (aucune idée pour l'Italie fasciste). La présence de mécènes crée une émulation que je trouve par nature saine - et je ne crois pas qu'ils aient plus mauvais goût que les fonctionnaires du ministère, des DRAC ou des collectivités locales, qui au demeurant ont pour patrons des politiques dont l'inculture est souvent abyssale (Estrosi a l'air gratiné dans le genre, et voir aussi le massacre du Châtelet perpetré par l'équipe de Delanoë).
J'aurais beaucoup de choses à répondre... Quelques points:
RépondreSupprimer-Un des intérêts du financement public, c'est précisément d'assurer une continuité que les mécènes n'assurent pas... Annuler une tournée, ça n'arriverait jamais à un orchestre français ou allemand !
-Le mécénat se porte toujours prioritairement sur les grosses structures, sur les thèmes à la mode : sur les grands musées plutôt que sur les petits musées de province, sur le grand répertoire plutôt que sur la découverte, etc. Il y a des mécènes plus aventureux, mais en termes de masses financières, c'est négligeable !
-Quant au problème des collectivités locales, c'est évident qu'il y a du bon et du moins bon... Ce que font dans l'ensemble les villes du sud-est de la France est assez lamentable, Estrosi valant à peu près Gaudin, et ce que fait Delanoé (je parlerai dans un autre message de son adjoint à la culture...) est franchement nuisible, je suis d'accord. Il faudrait que la culture soit beaucoup plus nettement financée par les régions, plus pro dans ce domaine, avec cofinancement national pour péréquation (bref, pas tout pour Paris!)...
L'argent privé, c'est mal.
RépondreSupprimerVive la collectivisation !
Certes, des grandes institutions comme l'ONP, les orchestres "nationaux", les grands musées, etc. ont un financement public assuré, dont on peut penser qu'il sera au pire diminué si les nécessités du redressement des comptes l'imposent, mais pas supprimé. Cela étant, pour les plus petites structures, ce n'est pas nécessairement le cas: vois Compiègne. En soi, je m'en fiche, ce n'était pas mon répertoire et les spectacles avaient l'air modestes, mais défendre ce répertoire n'était pas illégitime et tout a été supprimé d'un trait de plume par la nouvelle majorité départementale - et pas au profit d'un festival Kurtag, hein...
RépondreSupprimerQuant au fait que les mécènes ne s'intéressent qu'au gros et au grand public, je demande à voir. J'ai fait deux sondages, un peu au hasard, mais qui ne vont pas dans le sens de ta théorie. L'EIC est aidé par un mécène, Hermès... Je me suis penché sur le festival des cuivres du Monastier sur Gazeille, 1.738 habitants au dernier recensement, une semaine de musique, plutôt jazz, dans un coin bien paumé de Haute-Loire, que je connais bien puisque j'y passe des vacances chaque année: eh bien il a lui aussi des mécènes, dont au moins une PME de la région. Il faudrait bien évidemment avoir des statistiques pour être sûr de ce qu'on avance.
Au demeurant, au moins dans le domaine musical, l'aventure ne caractérise pas tellement le secteur subventionné par l'Etat, (hors l'EIC). L'actuel OPRF a pendant longtemps joué du contemporain, ce qu'il a pour ainsi dire abandonné aujourd'hui, nous refilant des programmes pas plus aventureux que les Wiener Philharmoniker (qui d'ailleurs, le mois prochain, jouent Boulez et Szymanowski avec Boulez...).
Alors... C'est drôle comme tout ce qui concerne le mécénat suscite toujours les passions...
RépondreSupprimerJean-Charles, le problème, c'est bien que ce n'est pas vraiment de l'argent privé dès lors qu'il s'agit essentiellement de réductions d'impôts, et ce sont bien les entreprises qui en tirent profit. Par contre, le vrai mécénat (qui n'existe pour ainsi dire pas), celui d'amateurs participant au financement de structures culturelles, pourquoi pas? Les entreprises sont là pour produire, pas de faire la charité. Par ailleurs, l'Etat comme incarnation du bien commun, j'y crois encore et toujours.
Mein Junker, c'est vrai que l'EIC, mais aussi les ensembles non permanents (baroques notamment) sont aussi subventionnés, mais ce sont des lieux de prestige, quand même. Ensuite, il y a toujours des partenariats même pour les petits lieux comme ceux que tu cites, mais rien à voir avec les grandes fondations d'entreprise pour les sommes distribuées.
Pour Compiègne, c'était très bien pour trois mélomanes parisiens, certes suractifs sur les forums, mais on peut aussi admettre qu'il n'est pas anormal que les collectivités locales pensent aussi au public local.
Tu peux taper tant que tu veux sur l'OPRF, ce ne sera jamais assez (que ceux qui ne savent pas ce qu'est l'OPRF continuent à l'ignorer, ça n'en vaut pas la peine...).