Markus Hinterhäuser est un malin : la musique de chambre, ça ne vend pas, c'est bien connu ; donc, pour en mettre quand même le plus possible dans son programme de concert, il a inventé la série Szenen, consacrée chaque année à un compositeur de l'époque romantique (Schumann-Szenen, Liszt-Szenen...), mais l'éclairant de tous les côtés, du baroque au contemporain. Cette année, c'est Brahms qui est à l'honneur : je ne vais détailler les nombreux concerts proposer, seulement signaler quelques coups de coeur :
-d'abord, l'altiste Tabea Zimmermann, qui se débrouille pour rendre son instrument (qui ne m'est pas spécialement cher) passionnant, avec comme sommet de son concert les Märchenbilder de Schumann avec Alexander Lonquich ;
-ensuite, toujours avec Mlle Tabea et dans le cadre d'une soirée autour du passionnant pianiste Leif Ove Andsnes, le quatuor avec piano op. 25 de Brahms, où ils sont en compagnie de Christian Tetzlaff (dont j'ai peu goûté les prestations solistes, du reste) et Clemens Hagen. Pas vraiment de la musique de chambre pour jeunes filles de bonne famille : une interprétation extrême, terriblement vivante, et en même temps impeccable pour ce qui est de la tenue instrumentale.
-enfin, la 1ère sonate pour violoncelle et piano de Brahms par Andras Schiff et Miklos Perenyi : Schiff extraordinaire, vraiment tout sauf un accompagnateur, un partenaire poétique incomparable ; Perenyi avec un son de violoncelle qui n'est pas celui que j'aime a priori (ce son un peu étriqué, presque proche de l'alto, sans cette assise grave et vibrante que j'aime), mais une musicalité et une intelligence dans son approche musicale qui font rapidement fondre mes réticences. Rien à voir avec l'énergie débordante du concert précédent, ni avec une espèce de folklorisme hongrois qui serait tellement facile dans Brahms : une approche très retenue, très digne, très intérieure ; comme une autre vision de la musique de chambre...
Par contre, l'erreur fatale a été d'aller au concert de Gidon Kremer, qui s'était fait accompagner de deux jeunes compatriotes (piano/violoncelle) bien innocentes : je n'ai pas connu Kremer dans son passé glorieux, mais qu'en reste-t-il aujourd'hui ? Le fait de choisir ces deux musiciennes transparentes pour l'accompagner, c'est pour le coup l'inverse de l'esprit de la musique de chambre...
IV. Et Mozart dans tout ça ?
Mozart est chez lui en son Mozarteum, et il reçoit pendant le festival tous les samedis et dimanches au matin. Les Mozart-Matineen, ce sont ces concerts mozartiens où toute une partie de l'oeuvre de Mozart qu'on n' jouait jamais ont été redécouvertes, depuis leur création par Bernhard Paumgartner, ce grand homme de l'histoire du festival (il a participé au festival inaugural de 1920 et y a dirigé jusqu'en 1970, et il en a même été le président). Elles n'ont plus vraiment cette fonction de découverte aujourd'hui, ne serait-ce que parce que les airs de concert ou une bonne part des sérénades sont désormais bien mieux connus (même si une programmation un peu plus aventureuse ne serait pas forcément un mal).
Cette année, j'ai pu assister à trois de ces concerts qui ne sont pas forcément là pour vous donner la grande émotion de votre vie, mais restent toujours tellement agréables (cela dit, le concert d'Andrea Marcon il y a deux ans est un des plus beaux concerts mozartiens que j'aie jamais entendu). Ivor Bolton, directeur musical de l'orchestre du Mozarteum, fait des concerts extrêmement inégaux : celui de cette année était plutôt un bon cru, avec deux sérénades (Serenata Notturna et Haffner) et un concerto pour violon. Je n'aime pas tellement les concertos pour violon de Mozart, si bien qu'une interprétation peu inspirée (comme il y a deux ans avec Janine Jansen) rend la chose pénible. Rien de tel cette année : Lisa Batiashvili est fine musicienne, très délicate et joueuse ; Ivor Bolton, tout au long du concert, échappe largement à sa manie de tout écraser de basses et de percussion (un peu moins dans la Serenata, hélas), et ce très long concert est une de ses meilleures prestations dans ces lieux. Heureusement qu'il y a ce concert pour rappeler les liens entre Mozart et Salzbourg...
Les deux autres concerts, une fois n'est pas coutume, étaient confiés à deux chefs français, Marc Minkowski qui s'en est bien tiré, et Jérémie Rhorer, dont le talent est certain mais qui a pour le coup fait naufrage, avec un Mozart tapageur et sans charme, bien loin de ce qu'on a pu entendre ailleurs avec son Cercle de l'Harmonie (et la soliste, une Diana Damrau très enceinte et au timbre brouillé, n'a pas vraiment consolé, malgré le triomphe indu qui lui a été fait).
V. Et le contemporain ?
Autre série majeure de la programmation de Markus Hinterhäuser, les Kontinente sont consacrés chaque année à un compositeur majeur du XXe et du XXIe siècle, toujours selon le principe d'un large éclairage par des œuvres d'autres compositeurs. En 2008, la série consacrée à Sciarrino m'avait enthousiasmé, tandis que celle de 2009, Varèse, était évidemment un peu moins riche de découvertes. Cette année donc, Wolfgang Rihm, un des compositeurs les plus reconnus et les plus productifs d'aujourd'hui. J'ai déjà parlé de la création de son opéra Dionysos, qui a été un des événements d'un festival qui, du point de vue de l'opéra, en manquait cruellement ; de manière générale, la présence de Rihm à Salzbourg aura beaucoup marqué cette édition du festival. Est-ce à dire que je trouve sa musique passionnante ? Pas vraiment, et je n'avais d'ailleurs pas pris tant de concerts du cycle que cela.
Jörg Widmann et Sylvain Cambreling dans la baroque mais vétuste Kollegienkirche |
Ce qu'écrit Rihm, c'est une musique très bien faite, très conforme à l'air du temps, très agréable à écouter d'ailleurs - mais il a suffit que Sylvain Cambrelin, en ouverture de l'un des concerts du cycle, dirige les Freie Stücke de Jörg Widmann (autre musicien omniprésent, à Salzbourg et ailleurs, en tant que clarinettiste comme en tant que compositeur). Le contraste est assez net, je trouve : ces Pièces libres sont tellement plus inventives, tellement plus originales que la pièce de Rihm qui suit (Séraphin-Sphäre) ! Certes, Widmann n'est pas, lui non plus, un dangereux révolutionnaire, bien moins radical qu'un Beat Furrer par exemple (sa pièce FAMA avait été affiché dans le cadre du Kontinent Sciarrino, un grand souvenir), mais il parvient beaucoup mieux à imprimer sa marque sur ce langage commun de la musique contemporaine que Rihm maîtrise à la perfection, mais qu'il ne transforme guère.
L'an prochain, Kontinent sera consacré à un panorama plus vaste, et non à un seul compositeur : j'espère bien y être à nouveau !
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Bonjour,
RépondreSupprimerUne petite râlerie concernant le concert de musique de chambre avec Gidon Kremer auquel j'ai aussi assisté. Je conçois que papi n'était pas vraiment à l'aise dans le trio op. 110 de Schumann, faisait craindre le pire pour la suite (archet très hésitant, traits savonnés). Je passe sur la pièce de Victor Kissine, qui semblait beaucoup mieux adaptée à ses moyens, avec néanmoins une exécution convaincante.
Tout ça pour en venir à la superbe interprétation du trio op. 50 de Tchaikovsky, qui était tout sauf fade. Superbe legato de la pianiste, belle cohésion entre les trois musiciens. Gidon Kremer était méconnaissable par rapport au début du concert, avec une énergie et une verve retrouvées. Et quelle coda finale, poignante et bouleversante à souhait.
Des Italiens derrière moi ont hurlé leur joie à la fin de ce dernier (ok, ils étaient peut-être bien les seuls à beugler bravi au milieu de tous ces culs serrés). Donc oui pour un début de concert maussade, mais une fin en apothéose à mon goût!
Lucas
Mais étiez-vous au concert Brahms de la veille ? C'est le contraste entre les deux qui tue...
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