dimanche 19 décembre 2010

Il faut savoir se contenter du meilleur

Au fond, qu'est-ce que j'attends d'un spectacle ? Que faut-il pour que j'aie le sentiment d'avoir bien employé ma soirée ? Bien sûr, une soirée parfaite, où tous les éléments concordent à niveau égal, c'est extraordinaire - mais ce serait mentir que de dire que je les recherche, ne serait-ce que parce qu'une telle recherche est vaine : tu crois la tenir, elle t'évite (ô soirées attendues avec trop d'impatience et qui ne peuvent que décevoir!), tu crois l'éviter, elle te tient... Et s'il fallait réduire la quantité (il est vrai quelque peu pharaonique) de spectacles que je vois chaque année en prétendant ne garder que les meilleurs, je suis sûr que je perdrais par la même occasion le meilleur, pour ne conserver que le moyen, le prévisible, le tout-venant.

Un exemple : si on lit ce que j'ai écrit sur l'Elektra de cet été à Salzbourg, avec une Elektra (de rechange, elle est toute excusée) hors jeu, un chef et une mise en scène médiocres, que ne rachètent que deux chanteurs, Waltraud Meier et René Pape. Dit comme ça, on peut avoir l'impression que je me suis ennuyé lors de cette soirée, voire que j'en suis sorti de médiocre humeur : il y avait donc ces deux chanteurs exceptionnels, et à eux seuls ils auraient bien suffi à m'occuper pendant 3 ou 4 heures de spectacle ; comme Elektra ne dure qu'une heure et demie, j'avais encore bien de quoi m'occuper en sortant.

C'est ça, je crois, qui me tient à cœur : on parle d'art ici, il n'est pas question de verre à moitié plein ou à moitié vide, il n'est pas question de mettre des notes et de faire une moyenne : ce qui reste, c'est la pépite ; la gangue, une fois qu'on s'est battu avec elle, on peut l'oublier.
Il serait sans doute un peu excessif de poursuivre ma métaphore aurifère en affirmant que la recherche de la pépite musicale est à peu près aussi rationnelle que la quête des chercheurs d'or façon Lucky Luke, autrement dit qu'on s'y lance, dans un cas comme dans l'autre, le cœur plein d'espoir, mais au petit bonheur la chance : bien sûr, quand on va entendre Jonas Kaufmann chanter un rôle intelligent, on peut avoir quelque espoir justifiable qu'il y ait une pépite au bout du chemin. Mais la plupart du temps, avouons-le, on ne sait quand même pas trop où on va, quand bien même on connaîtrait tous les chanteurs, chefs, metteurs en scène, chorégraphes, instrumentistes, orchestres et danseurs de la terre : ce serait bien trop facile s'il suffisait d'une star, ou s'il suffisait de se contenter de ses quelques artistes préférés. La glorieuse incertitude du sport, en quelque sorte. Alors parfois, oui, je l'avoue, il peut m'arriver d'être un peu, disons, impatient quand je ne trouve rien du tout au milieu d'un océan de néant, parfois un peu ironique peut-être - horresco referens -; mais vraiment, croyez-moi, je ne demande rien d'autre que cinq minutes d'absolu par soir, ou même cinq minutes, par exemple, tous les trois ou quatre spectacles, et me voilà sage comme un agneau.

Photo : la scène du Schiller-Theater à Berlin, après un beau concert Schumann par Roman Trekel et Daniel Barenboim (ma critique pour Resmusica).

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