lundi 21 février 2011

Caligula dans la Lune

Ah, Caligula, tout un programme : luxure, violence et peut-être bien volupté. De quoi faire frémir, chacun à son rythme, tout un parterre de dames patronnesses, de lubriques impénitents et de défenseurs des études classiques.
L'étrange costume "anatomique" de Caligula : le rapport au corps, une des clefs de ce ballet

Sauf qu’en fait non. Pas du tout, en fait. Le ballet de Nicolas Le Riche, donné pour la troisième fois cette saison (jusqu’au 24 février) à l’Opéra Garnier, semble fait pour décevoir tous ces gens.C'est sans doute ce qui explique la mauvaise réception critique qu'avait encouru cette pièce à sa création en 2005 : Pierre Combescot, alias Luc Décygnes dans Le Canard enchaîné, avait regretté le manque de sang et de sexe, par exemple, ce qui n'avait pas empêché le public de répondre très favorablement à ce ballet, avec un fossé entre la presse et le public particulièrement vaste. Pour cette seconde reprise à l'Opéra Garnier, la salle était particulièrement bien remplie pour un ballet contemporain, ce qui n'est certes pas un signe suffisant de qualité, mais n'est plus si fréquent dans l'Opéra de Paris version Nicolas Joel (on en reparlera).
À l'Opéra Garnier, il n'y a pas que les danseuses qui ont des pieds
 J'avais pour ma part été fort séduit par la pièce dès sa première présentation, et l'unique représentation que j'ai réussi à attraper au vol cette année ne m'a pas fait changer d'avis, n'en déplaise à certaines amies twitteuses et blogueuses conjurées contre moi (j'ai nommé artifactsuite et dansesaveclaplume). Sans doute Caligula est-il un ballet modeste, moins pompeusement esthétique que les pièces récentes de Preljocaj (Siddharta !), moins prétentieux et chic que Wayne McGregor (on dit "Wayne" tout court, avec un regard extatique, c'est comme une religion) : une musique trop connue (Les Quatre saisons), un argument restreint mais narratif, des personnages réduits à des silhouettes. Ce qui me fascine là-dedans, c'est cette atmosphère ouatée, sans contours : on est dans un monde sans contacts (ce qui, peut-être, est ce qui fait l'actualité de ce ballet), où tout semble flotter - et c'est là ce qu'il y a de si terrible dans ce ballet : là où nous ne voyons rien des souffrances que cause au monde qui l'entoure la folie de Caligula, nous n'en sommes que plus conscients de l'horreur qu'il provoque. Les scènes avec la Lune, dansée à la création et en ce 8 février par Clairemarie Osta, sont poétiques, sont belles, sont aériennes : mais l'atrocité est en arrière-plan.
C'est comme ça : je n'aime pas ceux qui m'expliquent tout par le menu, qui mettent les points sur les moindres I, pour qui la pièce est moins importante que le discours préliminaire : ce que j'aime, c'est ce ballet, c'est les mises en scènes de Johan Simons ou Jossi Wieler (pas celles d'Olivier Py !), c'est l'art admirable de Mlle Osta. Clairemarie Osta, ce n'est pas la Guillem, ce n'est pas les stars du Bolchoi ou du Mariinsky, elle ne soulève peut-être pas les foules à leur façon : mais son art n'en est que plus admirable. Elle ne m'en voudra peut-être pas si je me permets de rappeler que sa carrière ne sera pas éternelle, et qu'elle atteindra l'âge fatidique de la retraite dans deux ans : les interprètes, les meilleurs en tout cas, peuvent être les maîtres des spectateurs ; il est bien temps de se mettre à son école.

Vous pouvez voir Caligula en ligne gratuitement (mais sur inscription) sur le site http://medici.tv/, jusqu'au 8 avril à peu près (le site est fort laid et mal fait, mais avec un peu de courage vous y arriverez. Ca dure une heure et demie, même le mélomane le plus débordé peut y arriver.

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