mercredi 16 novembre 2011

Salzbourg 2012, à droite toute (1)

Le Festival de Salzbourg vient de publier le programme de la saison 2012, première édition programmée par Alexander Pereira, directeur de l'Opéra de Zurich (1991-2012) qui, à l'âge vénérable de 64 ans, est chargé d'apporter jeunesse, dynamisme et fric au Festival. On craignait une programmation arbitraire, sans fil directeur, fondée uniquement sur les stars : erreur. Le festival 2012 aura une couleur : le brun. Qualifions cela de national-catholicisme, par exemple.
Jeunes, frais et dynamiques : Helga Rabl-Stadler, l'antique présidente du festival nommée à l'origine pour dégommer Mortier, Sven Eric Bechtolf (théâtre) et Alexander Pereira (Photo Luigi Caputo)


L'Autriche aux Autrichiens, a-t-on envie de dire. Pereira n'ignore pas que cette tendance est aujourd'hui comme hier présente chez ses compatriotes, et il l'exploite sans nuances. On y a droit pour l'opéra, où on ne sort de Mozart que pour aller chez Hofmannsthal, ou pour exalter sainte Anna Netrebko, certes pas née russe, mais ce qui est inexcusable pour le vulgaire immigré est vite oublié quand il y a une star derrière. On y a droit au théâtre : outre l'inusable (parce que déjà usé) Jedermann de Hofmannsthal, M. Pereira a choisi de mettre en avant un groupe de musique populaire spécialisé dans l'adaptation à la sauce pop molle des tubes du classicisme viennois (Franui, on s'en fiche) et un dramaturge du XIXe dont la renommée n'a jamais franchi la Salzach, Ferdinand Raimund. Et bien sûr, côté concert, une avalanche tout aussi viennoise - c'est moins gênant, bien sûr, parce que jouer Schubert, Mozart ou Bruckner, on a beau faire, ce n'est jamais provincial.
Et puis l'Autriche, n'est-ce pas, est un pays catholique ; quand on est autrichien, on est forcément catholique, non ? On ne peut quand même pas prétendre être Autrichien quand on est juif ou musulman, c'est évident. Donc dans sa grande mansuétude, dans sa grande ouverture d'esprit, Alexander Pereira tend la main du catholique miséricordieux aux religions inférieures, l'an prochain le judaïsme, représenté par l'Orchestre Philharmonique d'Israël en particulier (parce que vous comprenez, le fait que ces gens-là soient juifs fait nécessairement qu'ils jouent différemment notre musique). Ça porte le nom gentiment ridicule d'"Ouverture spirituelle" - le nom dit bien cette manière de partir de "nous" (chrétiens) pour aller vers l'autre, qui quoi qu'on fasse est par nature un étranger. Vraiment, si je repense à l'agitation de nos intégristes pétainistes contre le spectacle de Castellucci, j'aimerais bien croire à une coïncidence : il y a un vent mauvais sur l'Europe, on le savait bien...

Venons-en maintenant au programme proprement dit : comme on pouvait s'en douter, il y a dans ce festival à boire et à manger, et donc aussi de belles choses mélangées à des idioties.

THEATRE
J'ai presque envie de dire que c'est la section la plus sacrifiée de cette programmation : les Francophones, certes, s'en moquent pas mal, mais c'est un peu désagréable tout de même. Ne parlons pas de l'éternel Jedermann, donné depuis 2002 dans la même mise en scène qui en arrive donc à son 4e intendant, mise en scène qui doit sa longévité plus à son caractère inoffensif qu'à son talent ; le spectacle le plus intéressant, finalement, est sans doute Le prince de Hombourg  mis en scène par Andrea Breth, très bonne artisane du théâtre allemand, avec une pléiade d'acteurs-stars. Les autres pièces de la programmation centrale du festival promettent au contraire des instants pénibles avec d'une part le spectacle autour de Franui, d'autre part une double présence d'Irina Brook : un nouveau Peer Gynt et la reprise d'un spectacle de 2010 produit en France, La tempête de Shakespeare - l'essentiel, visiblement, c'est que les élites cultivées aient l'impression d'en avoir pour leur argent en mangeant du classique à haute dose. Mais l'échec est programmé d'avance : on sait qu'Irina Brook ne fait qu'appliquer de vieilles recettes pesamment habillées du vernis d'un internationalisme de façade, ses spectacles sont régulièrement massacrés par la critique, et sa capacité de se renouveler est égale à zéro. Je ne sais pas s'il y a beaucoup de gens intéressants en matière de théâtre en France, mais ce n'était vraiment pas une raison pour aller se servir au supermarché discount.
La programmation "parallèle" du festival Young directors Project est par nature moins facile à commenter, puisqu'il s'agit de jeunes talents du monde entier (dont la France avec Gisèle Vienne), souvent pour des créations commandées par le festival : on verra ce qu'il me sera possible de voir.

LA SUITE DEMAIN ! OPERA ET CONCERTS !

PS : en écrivant ce message, j'ai écouté quelques exemples de l'art du groupe Franui, invité pour plusieurs concerts et une pièce de théâtre (vous en trouverez des masses sur Youtube, par exemple) ; c'est renversant de sentimentalisme idiot (est-ce qu'on est obligé de ralentir à ce point Schwesterlein de Brahms ou Ich bin der Welt de Mahler, surtout quand on ne sait pas tenir cette lenteur ?).

4 commentaires:

  1. Gottesmann Pascal16/11/11 10:03

    Il est quand même amusant, cher Rameau, que la venue de l'orchestre philharmonique d'Israel que je perçois comme un bel exemple d'ouverture à une autre culture soit perçu par vous comme une attitude condescendante. Question sans doute de point de vue. Autre grosse divergence entre nous, le rejet apparent que vous avez du théâtre classique.
    Je pense au contraire que ce genre est trop désaffecté en France. De l'immense oeuvre de Corneille ne surnage que le Cid et Racine s'en sort à peine mieux. Molière et Shakespeare ont mieux survécu dieu merci. Et ce n'est pas mieux dans le théâtre de boulevard où l'excellent oeuvre de Courteline est totalement dénigrée. Pourtant les oeuvres du passé peuvent encore parler à un public contemporain et font partie du patrimoine français que nous devons défendre. S'il existe une identité nationale (ce qui reste à voir), les oeuvres accumulées en langue française, et ce dans tout les genre, depuis Chrestien de Troyes jusqu'à nos jours, en sont la pièce maitresse et nous devons les protéger. Et ce constat n'est pas que français, il est impossible, par exemple d'évoquer la germanité sans passer par Goethe ou Schiller. Alors montons les classiques et n'oublions pas les classiques du XXeme : les Beckett, Ionesco, Anouilh, Giraudoux, Claudel, Montherlant...avant que ceux ci ne deviennent également oubliés.

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  2. Double commentaire, double réponse :

    -Mais l'OP d'Israël n'est pas un nouveau venu à Salzbourg, puisqu'il y est venu 11 fois depuis 1971 (il va sans dire qu'aucun orchestre français n'a eu ce privilège, de très loin) : il n'y avait donc pas besoin de ce prétexte interculturel pour faire venir un bon orchestre. Le problème, c'est cette manière d'opposer "nous Autrichiens chrétiens" (ah, on n'est pas vraiment autrichien quand on est juif ou musulman?) et "vous juifs". L'OP d'Israël joue-t-il par nature différemment le grand répertoire parce que ses musiciens sont juifs? Voilà ce que je reproche à Pereira !

    -Sur le théâtre classique : oh là non, je ne suis pas du tout contre le théâtre classique, si par théâtre classique on entend le répertoire classique, Shakespeare, Racine, Goethe ou Schiller - ou Kleist, dont j'irai voir ce Prince de Hombourg version Breth (en parlant de "très bonne artisane", je voulais simplement faire la différence avec des créateurs plus radicaux comme Warlikowski ou Bieito).
    Sur Corneille et Racine, le problème est un peu différent, mais il y a vraiment un problème : nos contemporains théâtreux ne savent visiblement pas très bien quoi en faire, il suffit de voir l'Andromaque aux semelles de plomb de la Comédie-Française - et c'est bien embêtant pour nous spectateurs, ce blocage. Seule exception il y a quelques années, la magnifique Illusion comique mise en scène par Galin Stoev, mais justement ce n'est pas une tragédie...
    Le problème avec Irina Brook ne concerne donc vraiment que la manière dont elle monte ses spectacles, cette vulgarité qui prétend "rendre actuel", autrement dit ramener au niveau d'un public qu'elle voit visiblement vautré toute la sainte journée devant sa télé à dévorer des pizzas surgelées, les pièces qu'elle monte. Le théâtre à l'étranger (en tout cas en terre germanique et en Europe de l'Est) sait beaucoup mieux faire vivre ses classiques...

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  3. "... à Salzbourg, 11 fois depuis 1971... aucun orchestre français n'a eu ce privilège" Rappelons que, pour ne citer qu'un petit ensemble régional, les musiciens du Louvre-Grenoble ont joué récemment deux opéras de Mozart (Mithridate et Cosi fan Tutte) ainsi qu'un cycle Haydn et plusieurs concerts au festival de Salzbourg, ils y reviennent dans la prochaine édition. Pas de francophobie visible dans ce festival ou dans ce pays.

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  4. C'est vrai, les Musiciens du Louvre sont même certainement l'orchestre français le plus fréquemment invité dans l'histoire récente du Festival (gros cycle de l'O. de Paris en 2000 autour des Troyens). C'est largement dû à l'histoire d'amour trop méconnue en France entre Marc Minkowski et le festival, depuis que Mortier l'a invité pour la première fois en 1997. À part ça, l'Orchestre de l'Opéra de Paris ne se prive pas de l'agonir d'injures et de prétendre qu'il ne sait pas diriger: nul n'est prophète...

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