lundi 2 avril 2012

Tour d'Europe des saisons - 2

Départ imminent pour quatre nouvelles saisons aux quatre coins de l'Europe, ou presque...


Bruxelles, La Monnaie


C'est à peine utile d'en parler, j'imagine que vous avez tous été voir ce que nous proposait cette salle dont la position en Europe est à peu près unique, et ce d'autant plus qu'elle a réussi à garder sa place d'innovatrice en chef des maisons d'opéra depuis les années 1980. Tirée par Gerard Mortier de son provincialisme à partir de 1981, la maison a su préserver l'héritage du plus inventif des directeurs d'opéra de ce dernier demi-siècle - et c'est cela qui est extraordinaire : cet héritage, que ce soit par l'organiste Bernard Foccroule ou, depuis 2007, par Peter de Caluwe, n'a pas été géré en bon père de famille, à reproduire sagement les recettes du bon Mortier, il a été toujours pris pour une force vivante, où il n'y avait rien à conserver et tout à réinventer.
La prochaine saison ne fait pas exception : l'événement, évidemment, c'est la Lulu de Berg montée par Krzysztof Warlikowski. Lulu est tellement une petite soeur des personnages féminins désabusés qui abondent chez Warlikowski que la rencontre ne peut être que réjouissante, d'autant plus que les productions de ces dernières années étaient souvent plus des bonnes occasions de réentendre ce chef-d’œuvre que des spectacles très aboutis (je pense notamment à Vera Nemirova à Salzbourg et à Peter Stein à Lyon et à la Scala). Inutile de se perdre en conjectures sur ce que fera Warlikowski de cette œuvre qui lui ressemble tant : on sait d'avance que ça ressemblera visuellement à ses spectacles précédents, mais que ce sera pourtant tout autre chose.
Dans la distribution, moins de stars qu'ici ou là, un Schigolch presque jeune (une bonne cinquantaine), et deux chanteuses rompues à la musique contemporaine en alternance dans le rôle-titre : il faudrait pouvoir voir les deux !

Difficile de retomber ensuite sur terre pour le reste de la saison. La Monnaie ne pourrait pas fonctionner sans création : j'avoue ne toujours pas avoir vu le premier opéra de Benoît Mernier, L'éveil du printemps, pourtant depuis longtemps dans ma discothèque ; voilà déjà le second, toujours inspiré d'une grande source littéraire, Shakespeare après Wedekind : La tempête vaut déjà par sa distribution qui aligne deux des grands noms du chant français d'aujourd'hui, Stéphane Degout et Stéphanie d'Oustrac, mis en scène par le vétéran Karl-Ernst Herrmann, qui connaît la maison depuis les début de l'ère Mortier.
Pour Pelléas, reprise d'une production de 2008, c'est la distribution - largement reprise de la première série qui m'intrigue fort : Sandrine Piau en Mélisande, quelle bonne idée ! (Mais pourquoi la faire alterner avec Monica Bacelli, qui est très loin de son niveau ?). Le Pelléas de Stéphane Degout est un classique, celui du ténor Topi Lehtipuu beaucoup moins - mais la production est signée Pierre Audi, un metteur en scène qui m'intéresse décidément très peu.
Lucrezia Borgia de Donizetti, dans cette saison bruxelloise à l'allure impeccablement intello, cela pourrait paraître une incongruité : mais, en recourant à un metteur en scène flamand peu susceptible de se laisser aller à la complaisance qui détruit souvent les productions d'opéras du bel canto - façon Gruberova. On pourra ainsi, j'espère, se faire sa propre opinion : le bel canto est-il répulsif au travail théâtral ? Je suis persuadé que non, et que ceux qui prétendent le servir sont ceux-là même qui l'enterrent.
Pour compléter la saison, on pourra se laisser tenter par une Traviata mise en scène par Andrea Breth, qui vient de signer une Lulu à Berlin qui n'a semble-t-il pas vraiment fait l'unanimité mais est une artiste complexe et intéressante, ou peut-être plus encore par le Così fan tutte importé de Madrid (Mortier !) et mis en scène par Michael Hanecke : je serais sans doute plus enthousiaste si je n'avais quelques doutes sur l'adéquation entre l'artiste et l'oeuvre - pourra-t-on renouveler le miracle de ce Don Giovanni troué de silence et si juste socialement, et qui résiste à tous les traitements (la preuve en est l'actuelle reprise à Bastille, plombée par un Philippe Jordan qui essaie pour une fois de faire du théâtre mais perd de vue le son de son orchestre et par une distribution féminine impossible, à commencer par une Véronique Gens insipide et en difficulté permanente).

Espagne ?

Tiens, puisque nous parlons d'Espagne et de Mortier : le Teatro Real n'est pas une salle que j'ai l'honneur de fréquenter, ne serait-ce qu'à cause des prix proprement éhontés qui y sont traditionnellement pratiqués. Même une longue liste de productions passionnantes passées ou à venir n'a pas encore réussi à me convaincre à franchir les Pyrénées, ce qui n'enlève rien aux mérites intrinsèques de cette programmation. Louanges soient rendues à Mortier de rester fidèle à Johan Simons, qu'il avait invité à Paris pour deux productions (un beau Fidelio et un sublime Simon Boccanegra) qui avaient été parmi les plus mal reçues de son mandat, bien à tort. Ce sera cette fois Boris Godounov, à mille lieues évidemment des stéréotypes nationalistes et de la grosse production à laquelle on s'attend. Il n'est pas nécessaire de s'agiter beaucoup pour faire du grand théâtre.
Le reste de la saison, outre le Così fan tutte déjà évoqué, est moins flamboyant, en partie parce qu'il y a peu de productions inédites : le Don Giovanni passionnant et dérangeant de Dmitri Tcherniakov vient d'Aix-en-Provence, son Macbeth inabouti mais stimulant de Paris, comme le Wozzeck de Christoph Marthaler (pas vraiment sa meilleure production lyrique) ou Il Prigioniero de Dallapiccola. Mortier crée certes un nouvel opéra de Phil Glass, ce qui est à peu près égal à zéro (le foin qu'on fait ces temps-ci autour de la reprise d'Einstein on the Beach m'agace), mais on sent bien les limites d'un système où tout est rendu périlleux par les difficultés financières.
Puisqu'on est en Espagne, passons rapidement par Barcelone, une maison qui n'a jamais vraiment su se créer une identité et a consciencieusement recyclé des dizaines de productions venues d'un peu partout : la crise récente qu'a connu la maison, qui a failli annuler une partie de sa saison, rend d'autant plus dérisoire l'idée d'inviter, en version de concert, des spectacles de Bayreuth, comme si Bayreuth avait son mot à dire en matière d'interprétation wagnérienne. Le reste de la saison est d'un intérêt artistique modeste : rendez-vous compte, ils récupèrent la production de La Force du Destin parisienne, les veinards ! Ni le répertoire, ni les metteurs en scène, ni les chefs, ni les chanteurs (Villazon !) ne donnent vraiment envie de faire le voyage, et les prix sont aussi sympathiques qu'à Madrid... Seule la Rusalka de Stefan Herheim, un metteur en scène dont je me méfie fortement malgré sa cote aujourd'hui presque inatteignable, apparaît comme une modeste concession à la modernité : mais vous pouvez en ce moment la voir sur le site de La Monnaie, l'un des coproducteurs du spectacle...

Dresde, Semperoper

Plus modeste, Dresde est un peu le sommet de ce continent invisible que sont ces maisons allemandes qui fonctionnent encore selon le principe de la troupe, ne recourant qu'occasionnellement aux chanteurs invités pour combler les trous. Dirigée depuis quelques années par une émule de Sir Peter Jonas à l'Opéra de Munich, Ulrike Hessler, qui avait d'ailleurs - mal - assuré l'intérim après le départ de ce dernier, la maison s'est récemment assuré un peu de résonance en s'attachant les services de l'ultra-réac Christian Thielemann, attiré certainement plus par la réputation de l'orchestre maison que par l'opéra lui-même. De même que Jürgen Flimm, médiocre intendant à Salzbourg, est devenu un remarquable directeur à Berlin, Ulrike Hessler semble s'être grandement améliorée depuis Munich. Certes, elle participe elle aussi au culte de Stefan Herheim, certes, il faut subir Thielemann, mais le programme y est incroyablement varié, abondant et original. Je peine à faire un tri dans cette offre surabondante ; j'aimerais infiniment aller découvrir le second essai lyrique du jeune Jan Philipp Gloger, créé cette saison et repris au printemps 2013, après ses Noces de Figaro dont je vous ai déjà rebattu les oreilles, et avant le Vaisseau Fantôme  de Bayreuth 2012 : cette fois, c'est Alcina - car le baroque a droit de cité, dans cette ville, encore heureux : la nouvelle production d'Orlando par Andreas Kriegenburg me tenterait bien, tout comme le cycle autour de Hans Werner Henze, ou l'importation de La Juive créée à Stuttgart par Jossi Wieler, et que j'ai toujours raté jusque là.
Il serait bien sûr totalement hors de propos de signaler que Dresde est deux fois plus petite que Marseille avec ses trois douzaines de représentations lyriques par an et sa petite dizaine de titres.

6 commentaires:

  1. Raffaello2/4/12 19:30

    Bien cher Rameau,

    Nous sommes nombreux sûrement à avoir décortiqué le passionnant programme concocté à l'intention du public bruxellois par l'éminent Peter de Caluwe. C'est ainsi que tous ceux-là vous feront remarquer que le nouvel opus lyrique de Mernier est tiré de "La dispute" de Marivaux (non de "La tempête" de Shakespeare). Et tous ceux qui connaissent comme moi toutes les œuvres de ce digne successeur de Boesmans vous assureront qu'elles valent le détour. Parmi ses dernières pièces, je relèverais son fort beau quatuor à cordes poétiquement intitulé "La guêpe et l'orchidée",créé il y a deux ans à Bruxelles par le Quatuor Danel.

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  2. Eh oui, je ne sais pas lire... J'avoue que La Tempête de Shakespeare est une référence beaucoup plus importante pour moi que La dispute de Marivaux, j'ai un peu tendance à tout ramener à cette pièce-monde - mais évidemment, il n'aurait pas été très sage de réadapter à l'opéra cette pièce déjà mise en musique il y a quelques années par Thomas Adès !

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  3. Ulrike Hessler fait une espece de revolution en velours au Semperoper --contre tant d'hostilite des ultra-conservateurs locaux-- pour faire rajeunir le Semperoper, lui donner une nouvelle impulsion.

    Monter le Tannhauser de Konwitschny pour le vendredi saint (avec un message final realiste mais non-chretien) et de plus dans sa version parisienne a Dresde -- c'est vraiment avoir du courage et defier ceux qui sont farouchement contre elle.
    Le programme artistique qu'elle propose est parmi les plus passionnants et les plus diversifies en Europe en ce moment. Cette saison seulement elle a ose et a introduit le baroque dans le grand theatre (contre tous!) en confiant le boulot a un tres jeune metteur en scene, encore meconnu (J-P.Glogger) ---> le resultat etait Alcina, un des plus beaux spectacles que j'ai pu voir l'annee passee et meme en general.

    Il est vrai qu'a Dresde il n'y a plus de defiles des stars, mais qu'on me montre 1 (un) meilleur Tannhauser que Stephen Gould, ou 2 chanteuses au monde en ce moment capables de chanter Elisabeth mieux que Marjorie Owens...

    Avoir parmi ses 'permanents' Georg Zeppenfeld (amha actuellement le meilleur chanteur au monde) ou Tatiana Monogarova (jamais aussi bien qu'en ce moment), qui sont humbles et completement au service des oeuvres, des roles qu'ils incarnent -- c'est pour moi tres bien.


    Tout n'y est pas parfait bien sur. Mais meme dans ton adore Bayerische Staatsoper j'ai vu pas mal de spectacles mediocres (La Cenerentola, Rosenkavalier, les 3 operas du cycle da Ponte, Tosca, Tannhauser, Carmen, Don Carlo... et meme Lohengrin) qui s'appuient uniquement sur la forte presence des stars ;)

    Hessler et SO c'est bien!

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  4. D'abord, arrête de me faire envie avec l'Alcina de Gloger, du moins tant que je ne suis pas sûr à 100 % de pouvoir y aller lors de la reprise (ce qui est ma plus ferme intention, mais on ne fait pas toujours ce qu'on veut...).
    Ensuite, la Bayerische Staatsoper suscite chez moi des sentiments de plus en plus ambivalents. Certes, c'est une maison (et déjà une salle) que j'adore, mais comme toi j'ai vu trop de mauvais spectacles - et notamment de spectacles de grands metteurs en scène bizarrement réduits à l'impuissance par je-ne-sais-quoi dans cette maison sous la direction actuelle (tu ne parles pas du Fidelio de Bieito, des Contes d'Hoffmann de Richard Jones !). Même si je ne suis pas d'accord sur Lohengrin et sur Don Carlo (efficacement étouffant, je trouve que la production porte bien son âge). Enfin, à côté de Vienne...
    J'ai bien l'intention d'essayer de réorienter ma présence germanique sur d'autres villes, notamment Berlin bien sûr, mais pourquoi pas Dresde aussi...

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  5. Gottesmann Pascal6/4/12 16:28

    Ça n'a absolument rien à voir mais je suis tombé sur l'excellent site d'un baryton à la longue carrière mais assez peu connu (du moins pas de moi) qui s'appelle Armand Arapian. Il est l'auteur de ce texte que j'ai trouvé d'une rare pertinence et qui m'a immédiatement fait penser à vous, cher Rameau qui accordez une telle place à la mise en scène.

    "Dans un restaurant gastronomique, imaginons le plateau de fruits : il y a au moins une cinquantaine de fruits différents, une bonne dizaine connus et magnifiques et les autres, étranges, venus de contrées lointaines et à l'aspect bizarre et, peut-être, peu engageant. L'orange est tellement belle et la banane aussi que je vais les choisir et je vais m'en régaler. Mais une fois rassasié de mon envie de fruits connus, je vais penser aux autres que je ne connaissais pas et que je n'ai pas choisis pour cette raison. Ma curiosité va me forcer à retourner dans ce restaurant extraordinaire pour goûter, cette fois-ci, aux autres fruits et découvrir ainsi des saveurs inconnues qui vont faire évoluer mon goût dans un sens ou dans l'autre. En tous cas, je ne serai plus le même en sortant de ce restaurant. 

Une bonne mise en scène doit ressembler à ce plateau de fruits. Elle doit suivre le sens des mots et s'en éloigner en même temps. Tout l'art du bon metteur en scène devrait aboutir à donner un sens et une raison à tout ce qui se passe sur scène (mots, lumière, action, décors, etc..), il devrait même arriver à inventer des fruits qui n'existent pas encore! Et dans ce cas là, bien sûr, l'opéra ne se meurt plus. Au contraire, il devient l'Art Total, il peut aller bien plus loin que le théâtre quand il est servi par des chanteurs-acteurs et des chefs d'orchestre engagés."

    Donc tout droit réservé, comme on a l'habitude de le dire.

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  6. "Sandrine Piau en Mélisande, quelle bonne idée ! (Mais pourquoi la faire alterner avec Monica Bacelli, qui est très loin de son niveau ?)"

    I am wonder very much in which way the autor of this text got found such exciting information about "niveau" of Monica Bacelli:))) Her last performance (december 2011) in Geneve (Isolier in "Le Comte Ory") was superb! It is a pity that such irresponsible opinions use to appeare in internet. It cannot however change a simple fact: Monica Bacelli is the wonderful mezzo and I will listen her voice as Melisande in La Monnaie, not Ms Piau.

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