dimanche 15 juillet 2012

Marins londoniens (2) - Billy Budd, King of the birds

J’aurais peut-être dû commencer par là, ça aurait évité qu’on me prenne pour le râleur de service. Je suis allé à Londres pour Les Troyens, mais c’est bien la tragédie du beau Billy qui aura fait le prix de ce voyage – sans parler, du moins pour le moment, de danse.
D’abord – ce n’est jamais inutile de le rappeler –, ce qui fait le prix d’une représentation d’opéra, c’est… non, pas les chanteurs… non, pas la mise en scène… non, pas le chef… oui, c’est ça, c’est l’œuvre. Britten le moderniste pragmatique n’est pas aimé des lyricomanes de base, il est volontiers méprisé par les bouléziens de stricte observance : j’appartiens beaucoup plus à la seconde catégorie qu’à la première, mais j’aime les opéras de Britten, de Peter Grimes au Viol de Lucrèce, du Turn of the Screw à Billy Budd, sans même parler du Songe d’une nuit d’été où chaque note est un bijou. Le livret de Billy, avec son manichéisme volontaire, sa manière presque innocente de poser un problème moral, est une formidable machine dramatique qui met en lumière des problèmes sociaux, et donc politiques, de façon à la fois engagée et convaincante. L’opéra est plein de tendresse et d’admiration pour le très humain Captain Vere ; mais il ne laisse pas ignorer qu’il n’y a pas de Captain Vere sans John Claggart. La bonne âme de Sechuan en version Royal Navy, si on veut.
L’immense plaisir de cette nouvelle production de l’institution la plus britténienne du monde, l’English National Opera, c’est d’abord l’orchestre, curieusement non nommé sur la fiche de distribution, et son chef Edward Gardner. Gardner n’est pas inconnu du public français : Gerard Mortier avait invité ce chef pour la première fois en 2005, pour du ballet, puis pour L’elisir d’amore et The Rake’s Progress. Il n’avait pas alors fait grande impression, mais on finit par comprendre la rengaine : l’orchestre de l’Opéra n’accepte de travailler qu’à certaines conditions – deux en fait : vous devez déjà être un chef reconnu et vous ne devez pas perturber les bonnes vieilles habitudes. Ici, dans ce Billy Budd, le résultat est tout simplement magique : la clarté exceptionnelle de la musique de Britten, ses complexités insondables, sa puissance émotionnelle en clair-obscur, tout est là dans ce qu’on entend dans la fosse. Décidément : pas de bonne représentation d’opéra sans grand chef. Ici, ce qu’on entend dans la fosse aurait, je crois, suffi à mon bonheur même avec une distribution médiocre et une mise en scène plate.
Or la distribution, justement, n’était pas médiocre. Je ne suis guère convaincu par le Captain Vere de Kim Begley, qui remplaçait Toby Spence dont la grave maladie ne lui a pas permis de faire ici le retour qu’il espérait, et nous aussi. On l’a déjà entendu dans ce rôle à Paris en 1998 et 2010, selon le bon principe que Joel ne fait jamais que copier ce qu’avait fait Gall, mais Begley, correct en 1998, a décidément pris de l’âge et le résultat n’est pas très agréable, tout en sauvant l’essentiel. Tous les autres, en revanche, font très bien l’affaire. Benedict Nelson est suffisamment charismatique, même si le timbre est un peu érodé, en Billy, la longue litanie des seconds rôles est d’une qualité constante bien agréable, mais c’est pour moi Matthew Rose en Claggart qui domine les débats, avec une voix qui ne sombre pas dans le charbonneux, qui se permet la subtilité, et qui fait tenir le personnage par l’intelligence plus que par la force brute – son « Let him crawl » fait froid dans le dos précisément pour cela.
Quant à la production, disons-le : ce n’est certainement pas le travail le plus personnel de David Alden, loin de sa Rodelinda (DVD !), de son Retour d’Ulysse ou de son Ring. Mais le travail est propre, honnête, compétent, et il rend assez bien compte du contenu de l’œuvre. Le contexte maritime ne l’intéresse pas plus que cela, mais il rend compte de l’aspect concentrationnaire du navire avec pertinence et efficacité.
Dommage que l’English National Opera, avec sa politique commerciale stupide (vendre les places trop cher puis les brader en dernière minute par les circuits les plus improbables), ne réussisse pas à vendre plus de 60 % de la salle : voilà une production qui aurait bien mérité de faire salle comble. Bien plus que l’escroquerie des Troyens.

2 commentaires:

  1. Merci pour ce CR! Dommage que j'ai du louper ça.

    Je suis allé voir Les Troyens et rentré complétement dégouté du ROH, de McVicar, de Pappano, et de l'opéra en général. Quelle boucheriade lamentable!

    Et tu as bien raison: il fallait aller à l'ENO pour limiter les dégâts. Too late...

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  2. tout à fait d'accord sur ce compte-rendu de Billy Budd. Matthew Rose est un futur "grand" et son Claggart m'a laissé des traces. Quant à la direction de Gardner, elle est la plus inventive que j'aie entendu dans cette oeuvre. C'est notamment la première fois que j'ai entendu autant de subtilités, de nuances, de clair-obscurs dans une partition où la plupart des chefs ont trop tendance à privilégier le spectaculaire (ce qui n'a pas empêché à Gardner de nous scotcher au fauteuil pendant la scène de la bataille...)

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