vendredi 20 juillet 2012

Opéra de Paris, bilan 2011 (1)

Depuis l'époque Hugues Gall, l'Opéra de Paris a pris l'habitude de publier de manière plus ou moins claire, régulière et précise des rapports d'activité à destination du grand public : c'est évidemment la moindre des choses quand on reçoit 100 millions d'euros de subvention par an. Pour la deuxième année, Nicolas Joel a choisi la forme d'une brochure PDF, diffusée cette fois en toute fin de saison pour qu'on n'aille pas y mettre son nez de trop près, et dont j'ignore si elle existe aussi sous forme matérielle (si oui, autorisation à toutes mes connaissances de m'en mettre une de côté). Mais le PDF, en tout état de cause, permet d'en faire l'analyse.
Un des grands moments de la saison passée : le Faust ridicule mis en scène par Jean-Louis Martinoty. Je me suis dit qu'une tête de mort s'imposait au frontispice de cet article.


La première partie, constituée de textes et de photos, est l'habituelle auto-congratulation : aucun intérêt, bien sûr. On en arrive vite à ce qui compte vraiment aujourd'hui : les chiffres.

Les taux de remplissage

Je me suis déjà moqué par ailleurs des pratiques de république bananière des grandes maisons d'opéra du monde entier qui seraient prêtes à faire rentrer veaux, vaches, cochons, couvées dans les salles pour pouvoir présenter un taux de remplissage le plus proche possible de 100 % dans leurs bilans, 95 % de ventes réelles ne leur suffisant bien entendu pas. C'est évidemment en pleine conscience de ces manoeuvres, qui sont ridicules mais universelles, qu'il faut analyser les chiffres qui nous sont présentés ici.

Les chiffres 2011 de l'Opéra confirment ce qu'on savait parfaitement : à l'Opéra, le ballet est roi. 96 % de remplissage. Même le programme Mats Ek, qui avait fait un bide lors de sa première présentation, même Rain de Keersmaeker, avec son bouche à oreille exécrable (et très injuste pour Keersmaeker) ont atteint 95 %. On ne sait pas où s'arrêtera le goût du public pour la danse, ce qui est assez réjouissant; il faut dire aussi que l'augmentation déraisonnable du prix des places pour l'opéra rend le ballet par comparaison extrêmement attractif. Il est simplement réjouissant que la création prétentieuse et vaine de Wayne McGregor doive se contenter d'un score aussi modeste (mais il y a une bizarrerie : il y avait 11 représentations prévues, dont 2 annulées pour cause de grève - or la brochure n'en mentionne que 8...).

Côté opéra, en revanche, c'est la soupe à la grimace. Pendant longtemps, on a considéré que le ballet était le parent pauvre, tandis que l'opéra remplissait les salles. C'est Nicolas Joel qui a enfin réussi à ce que le score de l'opéra passe en-dessous (et désormais nettement) celui du ballet. Ce qui marque son échec plus que tout, c'est que les productions les moins plébiscitées par le public sont celles auxquelles il semblait tenir le plus : Francesca da Rimini (94 %) n'a ainsi pas fait le plein malgré Roberto Alagna, de même que le Faust (88 %) ridicule mis en scène par Martinoty, avec le même Alagna. Il y a certainement un impact des grèves, de même que pour Otello (88 %) avec Renée Fleming, mais ce n'est pas suffisant pour expliquer la désaffection du public pour ces spectacles, et ce d'autant plus qu'on ne peut même pas arguer que certains spectateurs aient pu préférer être remboursés que de voir la version de concert, puisque ce choix, je crois, ne leur était pas proposé. Et quand bien même : si vous me proposez une version de concert avec une star que j'aime, une Mattila ou un Kaufmann, je peste, certes, mais je reste !
Quant à Luisa Miller (89%), la production n'attirait déjà pas sous Gerard Mortier, bien sûr - mais alors, quel besoin de la reprendre ? Pour répondre à quelle demande ? Pour plaire à quel public ? Pour remplir quelle mission sociale ou culturelle ? Quant aux 94 % d'une reprise de Tannhäuser sous un chef médiocre, mais avec une distribution remarquable, c'est une honte inexcusable.
Ces scores ne sont pas glorieux pour eux-mêmes, mais ils marquent surtout l'échec de tout un projet pour la maison. Pour Nicolas Joel (et pas que pour lui) le monde de l'opéra a été confisqué depuis quelques décennies par une intelligentsia méprisant les goûts du public et imposant une version intellectuelle, élitiste de l'opéra. Il était donc temps, en ces années 2000, de rendre au public le répertoire qu'il aime et dont il a été si longtemps spolié. Sauf que... ça n'a pas marché. Au contraire : un lien est en train de se rompre avec le public ; les raisons économiques (augmentation drastique du coût des places en pleine crise économique) jouent un rôle, sans doute - mais si l'adhésion affective était si grande que cela, ne trouve-t-on pas toujours de l'argent pour ce qu'on aime vraiment ?

Une conséquence secondaire de la politique de Joel, pas du tout négligeable, c'est qu'une telle politique, populiste mais non populaire, éloigne les spectateurs aussi du répertoire plus exigeant qui reste programmé à la marge. Après les années Mortier, il aurait été possible de faire un peu mieux que 71 % pour Lulu et 82 % pour Katia Kabanova, deux spectacles d'ailleurs infiniment plus réussis que les joelleries.

Ce qui garde donc la faveur du public, et ce n'est pas très glorieux (ça dit merveilleusement la force répulsif que Joel a eue sur le public cultivé de l'ère Mortier), ce sont les vieilleries les plus radicales. L'inusable médiocrité de la Tosca autrefois mise en scène par Werner Schroeter : 100 %. Le Così fan tutte dégoulinant d'ennui de Toffolutti : 100 %. On a le public qu'on peut.

Ma patience a des limites, mais restez devant votre écran : je n'ai pas fini, et la prochaine fois, on parle d'argent, dit-il en se frottant les mains d'un air cupide.

4 commentaires:

  1. Musica sola... Sola stultus.

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  2. Bien triste, d'autant plus que Cosi et Tosca appartiennent à mes moins bons souvenirs de cette saison (et je ne parle pas de Faust, mais là, tout le monde est d'accord)

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  3. Bonjour Rameau,

    j'ai hate de lire la suite! On remarquera aussi qu'il en va de la segmentation des publics comme du découpage éléctoral, et que l'on met ainsi dans le même sac les spectateurs entre 20 et 39 ans, sans doute pour faire grossir le chiffre des "jeunes" venant à l'opéra.

    Les chiffres qui comptent sont évidemment absent, notamment
    - la jauge financière: on a rempli à 94% physique mais cela ne signifie pas que toutes les places sont parties à plein tarif
    - le suivi des publics jeunes: on nous dit que 62.000 places ont été vendues à des -28 ans dont la moitié emmenés par leurs profs - programmes pédago - et la moitié à tarifs préférentiels, mais qu'en est-il du taux de conversion de ce public, revient-il à plein tarif, voire revient-il tout court? Il serait bon de s'interroger là dessus pour s'assurer du renouvellement du public et de l'efficacité des offres jeunes.
    - les données dynamiques clés: age moyen pour l'opéra 49 ans, ça rajeunit ou ça viellit? Je crois me souvenir que Mortier affichait clairement la baisse de l'age moyen et la fréquence de visite (ce qui lui permettait de montrer que ce n'étaient pas toujours les mêmes abonnés qui venaient à tous les spectacles), là où Joël semble se féliciter de son exploitation pas très développement durable de la maison!

    Licida

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  4. "ne trouve-t-on pas toujours de l'argent pour ce qu'on aime vraiment?" C'est bien là le problème: on ne trouve de l'argent (et encore, ça atteint aussi ses limites) que pour ce qu'on aime. Pas pour la découverte, l'aventure, le risque de ne pas aimer. ça, du coup, c'est pour le ballet - et avec les belles découvertes que tu cites, Rain et Appartement; le premier surtout a été vraiment un choc.

    Licida, je ne peux vous donner que mon expérience, mais non, on ne revient pas - pas autant. Je me suis goinfrée tant que j'ai pu, jusqu'à voir toute une saison danse ET opéra (pour moi c'est une des définitions du luxe :) mais maintenant je sélectionne beaucoup plus. Et je profite de l'été allemand.

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