vendredi 4 octobre 2013

L'Affaire Mälkkipoulos

L'Alceste ensablé d'Olivier Py et Marc Minkowski ayant échoué à faire l'événement qu'on attendait de lui (d'eux), il aura fallu tourner ses yeux vers une reprise pour trouver de quoi se satisfaire en matière lyrique en cette rentrée lyrique parisienne. Et, ô surprise, une reprise issue tout droit de l'ère Mortier.

Tout n'est certes pas parfait dans cette 3e série de la production créée en avril 2007 à l'Opéra Bastille : malheureusement, Nicolas Joel a cru bon d'imposer sa favorite Ricarda Merbeth dans le rôle-titre de cette Affaire Makropoulos de Janáček, un compositeur que Mortier aura particulièrement su mettre à sa vraie place, celle d'un des plus grands génies de l'histoire de l'opéra. Mortier avait choisi la flamboyante Angela Denoke, une de ces chanteuses qui font corps avec leurs personnages, et qui savent allier précision musicale et génie théâtral. Merbeth pèche sur les deux plans : scéniquement, elle est empotée ; musicalement, la prosodie bousculée de Janáček la dépasse et ne lui laisse en tout cas pas le temps d'imprimer sa marque à ce rôle superbe. Si Vincent Le Texier est cette fois à l'aise en baron Prus, ce n'est hélas pas le cas de Jochen Schmeckenbecher, vraiment pas au rendez-vous dans le rôle de l'avocat Kolenaty, ce bon bourgeois gonflé de son importance et goujat à force d'y mettre les formes. Mais, avec le gros point noir de Mme Merbeth, la distribution est dans l'ensemble satisfaisante - pas au point, naturellement, d'éclipser les deux grandes raisons de satisfaction de cette série.
La première est naturellement la mise en scène de Krzysztof Warlikowski, dont la densité et la poésie tranchent singulièrement avec tout ce qu'on a pu voir sur cette scène depuis que Nicolas Joel la retient en otage. C'est cohérent, c'est volontiers drôle, et Warlikowski sait construire comme personne ces personnages glamour à l'extérieur et misérables à l'intérieur. La seule petite réserve que j'aurais, c'est que malgré tout il ne s'agit pas du plus grand spectacle de ce génie du théâtre (entendons-nous bien : la pire mise en scène de Warlikowski, s'il en est une, vole à mille lieues au-dessus des bêtises de MM. Joel, Martinoty, Krämer, ou encore de Mme Serreau ou de - côté Mortier - La Fura dels Baus). Je crois que Warlikowski n'est jamais aussi exaltant que quand il n'est pas pris dans un carcan narratif imposé par la succession des événements : L'Affaire Makropoulos est donc un bon spectacle, mais moins passionnant que son Parsifal, son Tramway, son Roi Roger. Et bientôt, espérons-le, sa Femme sans ombre munichoise, un opéra qui devrait lui permettre de laisser libre cours à son imagination (espérons-le, parce que voilà bien un opéra où il vaut mieux ne pas se contenter du premier degré du livret).
L'autre grand plaisir, c'est l'orchestre. Lors des premières séries, c'était le jeune chef Tomáš Hanus qui avait affronté les fauves de l'Orchestre de l'Opéra, et ils l'avaient mangé tout cru, ces mal élevés inconscient qui n'ont cure de gâcher tout un spectacle pour peu qu'ils fassent la fine bouche sur le chef qui les dirige, voire sur le planning de répétition et de vacances qui leur est attribué. Cette fois, ils ont été domptés par la magnifique Susanna Mälkki, qui n'a certes pas pu les transformer en un orchestre de tout premier plan (les défaillances individuelles n'ont pas été rares), mais a su leur imposer sa volonté : voilà quelqu'un qui a non seulement les compétences techniques pour faire de l'addition des instruments autre chose qu'un mélange arbitraire, mais surtout le sens du rythme et de la couleur de cette musique.

Reste un grand regret, la salle vide. Ou plutôt, les premières catégories vides, parce que les "petites places", celles occupées souvent par les vrais amateurs, étaient bien pleines, ce qui montre bien qu'il y a un public pour un tel spectacle, qui a simplement le tort de n'être pas celui des riches touristes et des bourgeois oisifs à qui seuls a voulu parler Nicolas Joel. Dans quelques jours, le Royal Opera va jouer Wozzeck, avec Karita Mattila : les places les plus chères sont à 65 £ (77 €), et la salle sera bien pleine (il reste moins de 10 % de places vides pour la première le 31 octobre). À Paris, on s'obstine à vendre 140 € les places les plus chères, et on prend sa mine désolée pour constater l'échec commercial du spectacle et en conclure avec une secrète gourmandise que l'opéra du XXe siècle n'intéresse personne. À qui la faute, Philistins ?

1 commentaire:

  1. Entièrement d'accord avec votre analyse ! A Paris, on préfère laisser une salle vide plutôt que d'augmenter les places "petit budget" ! et c'est bien dommage ! quelle belle oeuvre, et quelle "chef d'orchestre" magnifique !

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