jeudi 18 septembre 2014

Bayreuth dernière

Il y a presque un an, j'avais fait part de mes doutes à propos de Bayreuth au moment même où je venais d'acheter mes places  ; il y a un mois, le "grand jour" est arrivé, celui où je rentrais pour la première fois dans l'"enceinte sacrée" du Festspielhaus. Je suis venu, j'ai vu, je ne reviendrai plus.

Enfin... Ce genre d'affirmations péremptoires est naturellement destiné à être démenti par les faits ; que le Festival confie le Ring à Krzysztof Warlikowski et vous m'y verrez courir, bien sûr. Mais ce que j'y ai vu cette année ne m'encourage pas vraiment à récidiver, d'autant que les nouvelles productions annoncées pour les prochaines éditions ne font vraiment pas envie (le Tristan de cette nullité artistique absolue qu'est Katharina Wagner, le Parsifal de Jonathan Meese).

Soyons juste, cependant : j'aurais mauvais gré à reprocher au festival le ratage total de la production du Vaisseau Fantôme par Jan Philip Gloger, que j'avais suivi pour ses débuts au Theater Augsburg, avec par exemple des Noces de Figaro délicieuses et diablement intelligentes. Les soeurs Wagner l'ont invité à Bayreuth, j'aurais fait de même à leur place. Que le spectacle qui en sort soit aussi anémique, aussi privé d'idées est très regrettable, mais je ne crois vraiment pas qu'on aurait pu l'éviter. Gloger commence par nous en mettre plein la vue, tendance "monde techno-déshumanisé", avant de tenter de développer un concept qui ne prend pas (le genre de cas où toute tentative pour faire avancer la chose ne fait que faire ressortir la vacuité de l'ensemble). Bon, dommage, mais n'épiloguons pas.
Musicalement, j'ai toujours tendance à dire qu'à l'opéra, quand le chef va, tout va. Là, le chef allait, mais rien n'allait à part lui. J'ai été à ma grande surprise totalement séduit par l'orchestre dirigé par Christian Thielemann, pour lequel je n'ai pourtant pas une grande estime. Ce que j'ai beaucoup apprécié, c'est le travail stylistique, grâce auquel on entendait vraiment un opéra des années 1840, dans le sillage de l'opéra romantique des décennies précédentes beaucoup plus que dans l'ombre des grandes œuvres futures de Wagner. Le tout de façon très naturelle, très fluide, très plaisant.
Le problème, ce sont les chanteurs. Je n'exclus pas que Thielemann ne se soit pas beaucoup préoccupé d'eux, ce ne serait pas très étonnant, mais ce n'était pas non plus patent. Les duos entre Ricarda Merbeth (Senta) et Tomislav Mužek (Erik) sont sans doute, avec Domingo dans Le Trouvère, ce que j'ai entendu de plus laid en matière de chant de toute la saison, entre le flou absolu de la première et la mollesse du second. Certes, les autres étaient mieux, mais Samuel Youn est oubliable, et Kwangchul Youn est tout de même bien meilleur quand il chante Gurnemanz !

Le lendemain, forcément, Lohengrin ne pouvait être que mieux. Je ne vais pas épiloguer non plus sur la production de Hans Neuenfels : certes, on n'a jamais vu de plus beaux rats sur une scène lyrique ; certes, tout ce qu'on voit sur scène est d'un design si soigné qu'on se demande ce qu'Ikea va pouvoir faire pour contre-attaquer ; certes, l'ensemble est rythmé, varié, intelligemment conçu et réalisé ; certes, le thème des rats ouvre la voie à toute sorte de réflexions ; mais il faut bien reconnaître qu'au bout du compte tout cela ne va pas très loin - ce qui, disons-le, était aussi le cas des mises en scène que j'avais pu voir de cette œuvre.
Côté musique, la représentation est naturellement beaucoup plus équilibrée, ce qui, dans le cas présent, veut dire aussi que la direction n'y est pas aussi marquante que la veille : Andris Nelsons ne fait rien de mal, tout est propre, mais un peu lisse, sans beaucoup d'accents personnels ; la distribution, elle, m'a paru dans l'ensemble correcte, mais vraiment sans brio : Klaus Florian Vogt m'est apparu moins éclatant qu'il y a un ou deux ans (Sigmund à Munich), Edith Haller (Elsa) a tout de même une voix bien dure, et on n'a jamais vu méchants aussi en retrait que ceux-là (Thomas J. Mayer et Petra Lang).

Tout ceci n'est pas bien brillant, et même si je ne peux pas tout à fait cacher une certaine curiosité à l'égard du Ring mis en scène par Frank Castorf, je n'arrive pas à voir pour quelle raison je me rendrais à nouveau dans cette petite ville de Haute-Franconie, mal située, pratiquement dépourvue d'hôtels sérieux. L'acoustique ? Ce n'est pas ce qui m'intéresse le plus, considérant que l'idée d'une acoustique parfaite est une imbécilité, et de ma place de galerie je n'ai rien ressenti d'extraordinaire. Le souvenir du maître? Merci, j'ai sa musique, ça me suffit. La concentration du public ? Sans doute, elle est un peu meilleure qu'ailleurs, mais ce n'est guère déterminant.
Pas loin de moi, au Vaisseau fantôme, il y avait une brochette de quatre jeunes Français, venus visiblement aussi pour la première fois. À la fin du spectacle, à la dernière note de musique, on les sentait prêts à bondir : dès qu'ils ont pu, ils ont crié le plus fort qu'ils ont pu leur bonheur, comme quatre machines réglées à l'identique. C'est très bien, je suis pour l'expression spontanée des émotions, mais disons que cela faisait plutôt fans de Tokio Hotel [si ça existe encore !] que réponse adulte à ce qu'ils ont vu : oui, Bayreuth, Bayreuth, Bayreuth ; mais après une représentation de qualité aussi médiocre, où est le vrai respect du compositeur et de son œuvre ? Ce genre de comportement de béats conquis d'avance, immature et sonore, a toujours existé et existera toujours dans le monde classique, mais disons que cela ne m'encourage pas à revenir à Bayreuth.
Le Blog du Wanderer a récemment publié un long article où il défendait le festival contre tout ce qui pouvait faire du festival un lieu de production banal, productions ni pire ni meilleures qu'ailleurs, distributions ne pouvant être comparées à ce qu'on voit ailleurs : l'argument central, si je comprends bien, c'est qu'il attribue à Bayreuth un rôle de laboratoire et, en ce qui concerne les chanteurs surtout, de découvreur : je crois que cette vocation particulière n'est qu'un arrangement avec la réalité, parce que quand on fonctionne largement avec de jeunes chanteurs sous-payés il est bien fatal qu'une fois de temps en temps il s'en trouve des bons qui vont faire carrière ailleurs (encore que plusieurs de ses exemples soient un peu douteux, comme Iréne Theorin, qui a pallié en 2008 la défection de Nina Stemme et n'était en effet pas très connue, mais avait alors 45 ans ; et encore plus Kirill Petrenko, qui a été découvert bien avant qu'il devienne le chef du Ring de 2013 : souvenez-vous de ses Tchaikovski lyonnais ! et c'est dès 2010 qu'il a été nommé à Munich, où il avait d'ailleurs déjà dirigé). Que reste-t-il à Bayreuth, alors, à part ce qui marche le mieux dans le monde contemporain - une marque à merchandiser ?

5 commentaires:

  1. tokio hotel ici et dernièrement one direction... on voit bien le niveau de vos références. Je brûle d'envie de lire un compte-rendu de leur musique dans votre blog psychotique.

    Ceci dit, ouf ! nous voilà enfin rassurés sur ce qu'il faut penser de Bayreuth. Après deux spectacles vus en galerie, vous pouvez désormais railler ce pauvre inculte de Wanderer avec ses 37 ans de Bayreuth et son blog à deux balles.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah, mon vieux troll, ça m'aurait étonné que votre touchante fidélité ne trouve pas à s'employer ici ! Vous vous torturez, vraiment, en venant ici ! Je vous rassure, en dehors des noms, je ne connais à peu près rien des groupes cités, et de toute façon je ne parlais pas d'eux, mais de leurs fans ; et je n'aime pas que des gens qui ont le même comportement que les préados qui écoutent cette musique se jugent supérieurs parce que leur propre obsession se porte sur un objet "plus noble".
      Je vous plains, très sincèrement, en constatant que vous n'arrivez pas à faire la distinction entre désaccord et mépris. Où voyez-vous de la raillerie dans mon message? Bien sûr que ce que le Wanderer écrit est intéressant, intelligent et fondé sur une longue expérience ; ça ne m'oblige tout de même pas, j'espère, à être d'accord sur tout ! Vous êtes typique de la pensée dominante : j'exprime un désaccord ponctuel, donc je suis censé détester l'ensemble...

      Supprimer
  2. De quel "troll" parlez-vous ? Le préado qui se dit prêt à revenir dans le temple wagnérien pour y voir tokio-Warli et One-Marthaler ? Je suis venu, j'ai vu, je ne reviendrai plus... on croirait entendre un autre préado bientôt d'actualité ! Piétiner ses jouets et publier ses crises, voilà bien l'horizon lamentable de ce "regard acide et indépendant sur le spectacle vivant".
    Je sais bien que vous êtes de la race de ceux à qui "on ne la fait pas", pas dupe pour un sou de la veulerie commune dans laquelle se vautre la populace. Qu'attendiez-vous au juste de cette visite à Bayreuth ? Ecouter en fond de galerie deux spectacles qui en sont à leur 3e ou 4e année et s'estimer autorisé à dire que tout fout le camp et qu'il faut être bien naïf de se rendre encore à Bayreuth et de surcroît... applaudir ? Gardez votre argent et vos préjugés ; d'autres, moins anonymes, ont déjà exprimé ce qu'il convient d'appeler une pensée dominante. A trop chasser le mondain et prendre systématiquement le contrepied de l'opinion publique, on finit par devenir soi même mondain et sectaire. Quelle place accordez-vous aux formes d'expression contemporaines ? au cinéma ? aux musiques du monde ?

    RépondreSupprimer
  3. Relisez la définition du troll... Vous en avez tout à fait les techniques classiques : prendre un détail et en faire une généralité (vous n'avez pas commenté mon message sur les concerts salzbourgeois, comme pour tous les messages où je dis du bien des spectacles concernés) ; faire dire à l'autre ce qu'il n'a pas dit (je n'ai pas dit qu'à Bayreuth tout fout le camp, je n'ai exprimé aucun avis sur l'évolution du festival, j'ai simplement commenté deux spectacles - depuis le 1er rang de galerie, pas depuis le fond - mais apparemment vous méprisez les gens qui voient les spectacles ailleurs qu'aux meilleures places?).
    Si vous voulez une liste complète des gens que j'admire et qui sont aussi admirés par la "populace", n'hésitez pas, même si vous n'auriez pas beaucoup de mal à l'établir vous-même à partir de ce blog. Quant à votre dernière phrase, elle est bien trollesque aussi : vous imaginez-vous donc que ce dont je parle sur ce blog constitue l'intégralité de ma vie ?
    Si vous voulez que je continue à publier vos messages, merci de commenter ce qui est écrit dans les messages, pas ma personnalité, mavie-monoeuvre-moncaractère : parlez des spectacles, c'est ce qui m'intéresse.

    RépondreSupprimer
  4. Pascal Gottesmann6/10/14 12:06

    Mon cher Rameau, je vous lis toujours avec le même plaisir et intérêt mais nous sommes vraiment différents. Je fais partie de ceux qui estiment qu'on applaudit pas assez et qu'on devrait plus remercier les artistes de ce qu'ils ont pu nous offrir.
    Je trouve souvent le public trop timoré et voudrait voir plus d'ovations, de bis réclamés (et accordés évidemment) de chanteurs en larme devant le rideau rouge face à l'enthousiasme des spectateurs. Les applaudissements instaurent une véritable communion dans la salle et je considère comme un honneur d'avoir les mains douloureuses et la voix un peu éraillée en sortant de la salle.
    Voila, mon cher, encore une différence entre nous. Nous sommes en fait des antagonistes.

    RépondreSupprimer

Une petite râlerie ? Une pensée en l'air ? Une déclaration solennelle à faire ? C'est ici !

NB : Les commentaires sont désormais modérés en raison de problèmes de spam. Je m'engage à publier tous les messages qui ne relèvent pas du spam, même à contenu désagréable

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...