Ainsi commence une nouvelle série sur ce blog. Contrairement à ce que cette première livraison pourrait laisser entendre, elle sera consacrée essentiellement à des musiciens vivants. Je parlerai un autre jour de l'admiration, qui se distingue de l'idolâtrie en ce qu'elle est amour et raison réunis en un seul sentiment.
Carlos Kleiber: pendant longtemps, cela n'a été pour moi qu'un nom, et peut-être un ou deux disques, peu et mal écoutés. Un nom environné d'un mystère un peu agaçant, agrémenté de reproches - vrais ou faux, en tout cas sans intérêt - sur l'avidité supposée du musicien*.
Je l'ai découvert par un disque Orfeo, qui publiait pour la première fois l'enregistrement de son unique interprétation de la 6e de Beethoven, cette Pastorale si rabattue qu'on a un peu tendance à la ranger dans la catégorie des tubes qu'on connaît trop bien pour vouloir encore les écouter. C'était à l'été 2004: j'ai eu l'impression que je n'avais jamais écouté cette symphonie. Là où les autres chefs interprètent Beethoven qui devient leur Beethoven, Kleiber joue la musique et elle seule, et le Beethoven qu'on entend est le Beethoven de Beethoven. A-t-on jamais entendu l'Orage ainsi joué, terrifiant, à la fois naturaliste - selon les conceptions parfois un peu naïves de la nature dont est tributaire Beethoven - et métaphysique, cataclysme d'un monde qui perd ses repères?
Pendant ce mois de juillet 2004, je n'ai jamais pu écouter ce (court) disque sans le réécouter aussitôt. Je me souviens d'une fois où je l'ai écouté en marchant dans la rue : arrivé à destination, je suis resté dehors, sur une petite place silencieuse, sous un arbre, et l'ai réécouté entièrement avant de faire les dix derniers mètres. Pendant ce temps, comme je l'appris plus tard, mourait Carlos Kleiber.
Ce que Kleiber m'a appris, outre son absolue fidélité à l'esprit et à la lettre de la musique, c'est une chose très simple: mieux vaut pas de musique du tout que de la mauvaise musique. Kleiber dirigeait très peu, trop peu sans doute. Mais il ne dirigeait que pleinement, qu'en pleine possession de ses moyens. Caprice de star, soit. Mais c'est respecter à la fois la musique et le silence que de préférer le silence à la mauvaise musique.
Une telle conception pourrait paraître une critique acérée contre bien des routiniers de la baguette, de Barenboim à Mehta, de Masur à Muti. C'est surtout un enseignement pour le mélomane que je suis, qui me fait apprécier plus profondément les moments où la musique est ce qu'elle doit être.
* La source principale de cette histoire est un concert donné à Ingolstadt, ville-coffre-fort abritant le siège d'Audi, qui aurait obtenu ce concert en promettant au chef une voiture de luxe de sa marque.
samedi 18 août 2007
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Voici un moment que je viens lire vos critiques. Très souvent d'accord avec vous d'ailleurs !
RépondreSupprimerLà je veux simplement m'associer à l'admiration que vous portez au Maitre. J'ai moi aussi le grand regret de ne pas lui avoir porté plus d'intérêt de son vivant.
Merci pour cet éloge mérité... et votre esprit juste.