mercredi 15 août 2007

Indifférence


Il y a une polémique éternelle dans le monde de l'opéra: faut-il, peut-on, doit-on, ne doit-on pas huer? Je veux dire par là huer les chanteurs, car les metteurs en scène, eux, cela ne fait pas le moindre doute qu'on peut se déchaîner à coeur joie, parce qu'il paraît que les chanteurs, eux, sont de petits êtres sensibles alors qu'il paraît que les metteurs en scène, eux, non. J'ai dit: il paraît.
Je parlerai peut-être un jour plus en détail de cette polémique, et du fait que les huées que j'ai entendues ne tombent pas toujours sur les bonnes personnes (comment le public munichois peut-il en un même mois faire une ovation à Mme Gruberova qui ne respecte ni le texte, ni les hauteurs, ni le rythme, et huer Camilla Nylund qui chante une Eva [Wagner, Les Maîtres Chanteurs] certes un peu terne, mais musicalement juste et professionnelle?).

Mais il me semble que les huées ne sont qu'un faux problème par rapport à un autre problème beaucoup plus important - et qui, pour le coup, concerne toute la sphère de la musique classique, voire l'ensemble du spectacle vivant. Je veux parler de l'indifférence. Bien sûr, le public ne manque pas dans les concerts classiques, et encore moins à l'opéra: cela fait maintenant plusieurs décennies qu'on gère la pénurie de places plus que la pénurie de spectateurs. Donc tout va bien? Non, tout ne va pas bien. Je suis lassé de voir tant d'applaudissements automatiques, qui sont sans doute en partie sincères, mais trop souvent de l'ordre du réflexe pavlovien. L'oeuvre est finie: j'applaudis. Et quand l'oeuvre finit en force, j'applaudis encore plus fort. J'entends un air connu: j'applaudis.

Il y a là certainement une imprégnation en provenance directe des publics serviles de la télévision, qui n'ont pas honte de venir faire la claque aux yeux de tous - et sans se faire payer, les naïfs... Mais c'est une explication, pas une justification valable. Il n'y a pas d'art là où il n'y a pas d'exigence, et là où il y a consommation passive il y a souvent absence d'exigence. Où est l'exigence quand on applaudit autant un bon pianiste qu'un mauvais? Cette indifférence, pourrait-on dire, est regrettable, mais qu'ai-je à m'en plaindre, si de mon côté, égoïstement calé dans mon fauteuil, je goûte mon petit plaisir individuel? C'est que cette indifférence mine toute l'"industrie" de la musique classique, en la livrant pieds et poings liés aux as du marketing.
On va me dire que je défends une conception élitiste de la musique et de la culture en général. Soit. Peut-être. Bon. Mais à une condition: que l'élite dont il s'agit ne soit pas une élite sociale, mais une élite culturelle. Parce que l'indifférence dont je parle est une maladie, et que cette maladie est particulièrement répandue dans le public actuel de la musique classique, qui est en étroite coïncidence avec les élites sociales.
C'est bien à tort que la musique classique est associée à un certain conformisme. Ce qui y est dit et exprimé est incroyablement plus divers, plus audacieux, plus vivant que les chanteurs du jour (j'ai entendu un jour une chanson d'Emilie Simon, l'une de ces chanteuses labellisées Telerama et idolâtrées par les intellos dans le vent. Si les intellos aiment ça, on est mal partis. Il y a Vincent Delerm, aussi, pour changer). C'est une musique qui exige la patience, l'écoute, la capacité à se taire, le sens de la longue durée - une musique contre le zapping. Une musique aussi où il faut savoir accepter l'ennui: on ne va pas à un concert classique pour visiter une icône comme tant de concerts pop, et on ne sait jamais si le concert sera intéressant: là où il n'y a pas de risque, il n'y a pas de vie.
L'indifférence d'une partie des publics de la musique classique est une réaction contre ce risque, une manière de se rassurer en s'applaudissant soi-même d'être venu. J'allais écrire que c'était un danger mortel pour le spectacle vivant, mais c'est parfaitement idiot : le public n'est pas près de disparaître, malgré les éternelles fausses Cassandres, d'abord parce que cette musique est au coeur de notre civilisation (mortelle certes, mais pas encore mourante, je crois), ensuite parce que les conformistes, mais aussi les passionnés ne cesseront pas d'exister...

1 commentaire:

  1. il y a tout de même une différence entre huer un chanteur et huer un metteur en scène. Certes, il peuvent tous les deux être de petits êtres fragiles mais l'un, s'il est malade le soir de la représentation, s'en fiche complètement car il a fait son travail en amont, alors que l'autre est sujet aux aléas, pardon pour la formule, du direct et peut très bien être excellent un autre soir. Cela dit, tes arguments sont comme toujours très intéressants.

    RépondreSupprimer

Une petite râlerie ? Une pensée en l'air ? Une déclaration solennelle à faire ? C'est ici !

NB : Les commentaires sont désormais modérés en raison de problèmes de spam. Je m'engage à publier tous les messages qui ne relèvent pas du spam, même à contenu désagréable

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...