vendredi 3 octobre 2008

Doch was noch nie sich traf,/ danach trachtet mein Sinn

Aimer l'opéra d'aujourd'hui, c'est parfois un peu difficile. Vous allez voir une œuvre, vous en voyez, au mieux, une seconde représentation, et puis - c'est fini : quelques œuvres, c'est vrai, ne meurent pas immédiatement après leurs créations, ainsi Angels in America de Peter Eötvös, qui a connu plusieurs productions depuis sa création et en connaîtra encore une la saison prochaine, à Francfort ; mais dans bien des cas, il faut faire son deuil de l'œuvre sitôt le rideau baissé. Là est, bien entendu, la grande faiblesse de l'opéra contemporain : le temps de faire connaissance, de s'apprivoiser mutuellement ne nous est que trop peu donné. Ce n'est pas, bien sûr, que la production elle-même de ces œuvres, dans certains cas, n'ait pas de responsabilité : le plus redoutable écueil de la création lyrique contemporaine est certainement le devoir que s'imposent compositeurs et, le cas échéant, librettistes, de créer une sorte d'œuvre ultime, d'œuvre-monde englobant toute une civilisation* (c'est un peu le syndrome Wagner) ; cela n'empêche pas que la musique puisse être de très haute qualité, mais cela ne suffit pas quand il s'agit aussi d'une œuvre théâtrale : on pense ici par exemple au Saint François d'Assise de Messiaen, dramatiquement peu convaincant ou, à un tout autre niveau, aux ratages des opéras de Dusapin (Perelà, Faustus) ou de Matthias Pintscher (L'Espace dernier) - que Pintscher soit un bien meilleur compositeur que Dusapin ne changeait rien à l'ampleur du désastre. Oui, il y a un risque à aller voir de l'opéra contemporain, mais qu'est-ce que la culture sans un peu de goût du risque ?
Il est en tout cas rassurant de constater que le flux de créations ne se tarit pas : certes, un clan d'incultes a tué le lieu qui, à Paris, assurait cette respiration culturelle indispensable (pardon, ils ont créé The Fly de Howard Shore, d'après le film de Cronenberg : soupe fade mais plantureuse, à en juger par la diffusion radio), au nom d'un populisme qui a plus à voir avec l'extrême droite qu'avec la gauche - mais je m'égare. Donc, mieux vaut aller en province ou à l'étranger : inutile de rappeler les mérites de l'Opéra de Lyon dans ce domaine ; il y a quelques jours, l'Opéra de Nancy a créé une comédie charmante, Divorce à l'italienne de Giorgio Battistelli : sans doute, la musique aurait peut-être pu être plus variée, plus inventive, mais la comédie est efficace et, ma foi, soutient mieux l'attention que bien des œuvres du grand répertoire. On pourrait dire que l'Opéra de Nancy, ici, se montre relativement timoré, en choisissant le genre de la comédie, et un compositeur au langage accessible : mais il est important que l'opéra contemporain préserve, voire développe la diversité des genres, où la comédie compte autant et même, si possible, plus que le gloubi-boulga philosophique ; et il est important qu'un public varié puisse constater, sans compromissions artistiques puisse constater que l'opéra contemporain, ce n'est pas un pensum, mais un plaisir...

Peut-être du reste, malgré le problème des reprises beaucoup trop rares, l'opéra contemporain se voit aidé par un allié de poids : le DVD, dans quelques cas, permet de se familiariser avec des œuvres nouvelles, et on peut se demander si, à terme, ce nouveau mode de diffusion ne serait pas de nature à bouleverser le répertoire, qui en a bien besoin. Le CD l'a toujours fait, certes, mais le DVD apporte une dimension supplémentaire, celle de l'image et - ce qui n'est pas négligeable - du sous-titrage. Evidemment, ce n'est pas la dimension visuelle qu'on retiendra pour Alice in Wonderland de l'excellente compositrice coréenne Unsuk Chin, élève de Ligeti : la mise en scène d'Achim Freyer est redoutable, et on peine à comprendre comment un grand homme de théâtre comme Freyer a pu signer un pareil spectacle qui rend illisible la narration et le propos de l'oeuvre. Le DVD a plutôt tendance à améliorer ce que j'avais pu voir en salle, mais il n'en faut pas moins une certaine distance pour écouter une musique de grande qualité, lire les sous-titres pour suivre le déroulement de l'œuvre, et ne pas trop regarder la mise en scène. C'est en tout cas nettement préférable, pour ne prendre qu'un exemple, au Faustus de Pascal Dusapin, disponible également en DVD : la mise en scène y est certes idoine, mais ce n'est pas forcément un compliment quand il s'agit d'une œuvre aussi prétentieuse et aussi vide, musicalement comme intellectuellement.
Le second DVD dont je voulais parler ici, lui, est au contraire une réussite totale. Je ne suis pas le premier à le dire, et je suis sans doute encore moins le dernier : Julie de Philippe Boesmans est un chef-d'œuvre absolu. Un opéra de chambre d'une heure et quart, trois personnages seulement, un livret qui suit étroitement un chef-d'œuvre du théâtre fin de siècle : la recette est éprouvée, et le résultat stupéfiant d'intensité et de poésie, jusque dans une séquence onirique comme aveuglante pour tout ce qu'elle révèle sur l'univers des protagonistes. Finie cette vieille obsession debussyste des compositeurs aussi français que belges : ici, grâce aussi à l'allemand, la diction a de la chair, du sang, de l'allant, loin des alanguissements qui ont plombé des décennies d'opéra français à l'imitation (servile) du pourtant inimitable Pelléas.
Rarement on aura eu aussi, à l'écoute d'un opéra contemporain, la certitude de se retrouver face à une interprétation exceptionnelle de l'œuvre nouvelle. Ici, c'est évidemment la mezzo suédoise Malena Ernman qui frappe immédiatement le spectateur : bien loin de l'image de la frêle névrosée, elle impose une présence sculpturale, avec une aisance corporelle digne des monstres sacrés du cinéma américain d'autrefois. Sa voix n'est pas moins extraordinaire, cette voix de mezzo sombre, trouble, en même temps comme innocente dans l'aigu.

Le hasard, qui comme chacun sait fait bien les choses, veut que paraisse ces jours-ci un autre opéra récent en DVD, lui aussi adapté d'un chef-d'oeuvre de la littérature allemande fin de siècle, lui aussi auréolé d'un triomphe lors de sa création, Frühlings Erwachen (L'Eveil du Printemps, d'après Wedekind) de Benoît Mernier. Je ne l'ai pas encore vu, mais ma curiosité, c'est peu de le dire, est très forte pour cette nouvelle œuvre, de même que pour la future création de Philippe Boesmans, Yvonne, princesse de Bourgogne à l'Opéra de Paris : j'espère bien assister à la création le 24 janvier prochain...

*Je ne parle pas des opéras "contemporains" américains, qui font du sous-Puccini (!!!) au kilomètre...

DVD cités:
Chin,
Alice in Wonderland (Medici/Euroarts)
Dusapin,
Faustus (Naïve)
Boesmans,
Julie (Bel Air Classiques)
Mernier
, Frühlings Erwachen (Cyprès), avec enregistrement CD de l'œuvre
Il convient d'ajouter un autre titre récent que je n'ai pas vu: Birtwistle,
The Minautor (Opus Arte)

Titre du message : Wagner, Die Walküre, acte II : "mais ce qui ne s'est jamais trouvé, c'est à cela que mon esprit aspire".

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Une petite râlerie ? Une pensée en l'air ? Une déclaration solennelle à faire ? C'est ici !

NB : Les commentaires sont désormais modérés en raison de problèmes de spam. Je m'engage à publier tous les messages qui ne relèvent pas du spam, même à contenu désagréable

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...