mercredi 4 février 2009

L'héritage Noureev à l'Opéra (4) - Le sens des gestes

On s'en plaint assez, chez les lyricomanes surtout : faire applaudir le public de l'Opéra de Paris au-delà des simples formes de politesse est un défi considérable (non que les applaudissements soient tellement indispensables, d'ailleurs). On devrait donc se réjouir des ovations tumultueuses qui saluent chaque représentation du Boléro de Maurice Béjart, en ce moment à l'affiche de l'Opéra Garnier : on a, de fait, rarement vu cela pour un spectacle de danse à Paris.
On peut s'en réjouir : pour ma part, cette réaction m'atterre.

Londres/London, Royal Opera House, Covent Garden

J'avais parlé en détail, il y a quelques mois, d'Artifact Suite de William Forsythe, donné à l'époque à l'Opéra Bastille, accueilli favorablement, mais sans délire par un public sans doute quelque peu perplexe devant la complexité et l'abord quelque peu abrupt de la pièce. Au coeur de la pièce de Forsythe se trouvait une interrogation sur la psychologie de la foule, sur les phénomènes d'enthousiasme collectif (amoureux ou haineux), sur la tyrannie du collectif sur l'individu. Il y a certainement, dans ce travail de Forsythe, le souvenir traumatique qui est celui de toute notre société, celui du fascisme, de sa force d'entraînement sur des sociétés si cultivées soient-elles, de la manière dont le collectif peut conduire à la monstruosité. Il n'y a pas de perspective historique, pourtant, chez Forsythe, beaucoup plus une réflexion sur un phénomène humain qu'une période historique a mis en pleine lumière, mais qui est toujours là, en nous.

Assister, dans cette perspective, au délire du public pour ce Boléro - chorégraphiquement proche de zéro -, c'est évidemment glaçant. Béjart utilise ce pouvoir de manipulation, sans arrière-pensée, sans conscience - art sans conscience, après tout, n'est pas moins ruine de l'âme. Cette absence de conscience, au-delà de tous ses poses humanistes, c'est peut-être la plus grande constante de l'oeuvre de Béjart, on a pu le constater encore récemment par son Oiseau de feu à l'Opéra Bastille : récupération sans scrupules d'une imagerie révolutionnaire - on est alors en plein Vietnam, en pleine Révolution culturelle chinoise, dans les suites des mouvements de 1968 -, mais en quelque sorte abstraite de tout contexte, se gardant bien de prendre toute position. C'est une oeuvre d'un pur opportunisme : mais c'est bien moins grave, à mon sens, que la manipulation, d'autant plus dangereuse qu'elle est efficace, commise par Béjart dans son Boléro. Le pire serait-il moins loin qu'on ne le pense ? On parle peut-être trop de crise économique, et trop peu de crise culturelle...

Photo : Royal Opera House, Londres

2 commentaires:

  1. "Chorégraphie proche de zéro" une chose est sure, vous n'êtes et n'avez jamais été danseur!

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  2. Je ne sais pas ce que vous avez compris de ce que j'ai écrit, mais je n'ai naturellement pas écrit que c'était facile pour les danseurs. Par ailleurs, je trouve particulièrement mal embouchée l'idée qu'il faudrait être danseur pour avoir le droit de parler de danse, musicien pour parler de musique, etc. Comme écrit à peu près partout sur ce blog, je revendique une seule légitimité, celle du spectateur. Si vous êtes danseur, a fortiori danseur professionnel, je comprends bien que ce point de vue vous indiffère. Le spectateur, n'est-ce pas, à quoi sert-il donc?

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