Le titre de ce message est un peu vulgaire, c’est vrai, mais c’est évidemment fait exprès : les collections de DVD (ou de CD) portant ce genre de titres sont ainsi conçues qu’elles véhiculent les pires clichés sur l’opéra, grosses dames la main sur le cœur, prédominance du XIXe siècle et des grandes émotions stéréotypées qui n’existent que là, mises en scène au-delà du poussiéreux ; pour que survivent les préjugés, il faut bien que quelqu'un les nourrisse… Ici, la perspective sera légèrement différente, comme on peut s’en douter. NB qu’il ne s’agit pas ici de critiques complètes mais de brèves présentations de DVD tous chers à mon cœur*, bien connus pour certains, beaucoup moins pour d’autres.
NB : Les productions du Ring de Wagner en DVD sont toujours plus nombreuses. On cite notamment régulièrement le Ring de l’Opéra de Copenhague, que je n’ai pas vu ; je n’ai pas vu non plus le Ring monté à Valence par La Fura dels Baus, mais mes goûts me portent de toute façon peu à ce genre de théâtre très spectaculaire et assez superficiel. L’absence dans cette liste du Ring de Harry Kupfer, édité sous deux formes (j’ai vu la forme originelle, celle de Bayreuth années 80), est due quant à elle à la médiocrité de cette mise en scène, datée et ennuyeuse.
*Cher lecteur, si tu veux me faire plaisir en même temps qu’à toi-même, jette un œil bienveillant pour la version de l’Enlèvement au sérail de Mozart qui figure dans cette liste. Tout, dans la liste ci-dessous, est à mon sens remarquable, mais je sais que tu risques de passer à côté de celui-là en particulier.
Berg, Wozzeck
Patrice Chéreau
Staatsoper unter den Linden 1992 ( ?)
Ma première rencontre « en vrai » avec la puissance scénique de l’opéra (lors d’une reprise ultérieure) : un spectacle crucifiant. Chéreau a beaucoup évolué depuis son Ring de 1976 (cf. ci-dessous) ; le travail est ici beaucoup plus simple, avec des formes géométriques mouvantes qui donnent à chaque scène son individualité, et une scène vide pour l’une des plus belles scènes de l’opéra : Waltraud Meier seule, immobile, assise au milieu de la scène, avec sa robe rouge, pour la lecture de la Bible. Un moment d’éternité.
Interprétation musicale : Pas forcément mon interprétation de cœur, mais Waltraud Meier en Marie est au-delà de la perfection.
Gluck, Orphée et Eurydice
Robert Wilson
Théâtre du Châtelet (EMI)
Pour un tel opéra où l’action dramatique est très secondaire, la gestuelle lente et millimétrée caractéristique du travail de Robert Wilson fonctionne remarquablement. Loin de la raideur de certains de ses travaux récents, on assiste ici à une sorte de chorégraphie lente
Interprétation musicale : On peut regretter l’utilisation de la version de Berlioz plutôt qu’une version plus authentique, mais c’est vocalement (Kozena) et orchestralement (Gardiner) magnifique.
Haendel, Rodelinda
David Alden
Bayerische Staatsoper, Munich 2003 (Farao)
On est plus habitué de la part de David Alden à une profusion bigarrée et à une bonne dose de dérision. Rien de tel ici : tout se déroule en noir et blanc, dans une atmosphère profonde et concentrée. J’ai rarement vu une production haendelienne exploiter avec une telle intelligence la structure des airs à da capo pour approfondir les personnages et faire naître l’émotion, avec un refus aussi radical du remplissage.
Attention, ne pas confondre avec la version (plus facilement disponible) de William Christie et Jean-Marie Villégier, beaucoup plus quelconque.
Interprétation musicale : Sans doute la plus belle version de cet opéra magnifique, avec Dorothea Röschmann, Michael Chance et Felicity Palmer en forme olympique.
Haendel, Theodora
Peter Sellars
Glyndebourne (NVCArts)
Un spectacle à mi-chemin de la transposition réaliste (dans une sorte de démocratie populiste et militaire non sans rapport avec les Etats-Unis contemporains) et un univers poétique et abstrait (les formes de verre du monde des chrétiens). Le premier aspect se soumet au risque (sans doute mesuré) de la caricature, le second, avec un travail gestuel d’une précision chorégraphique, est superbe.
Interprétation musicale : Belle distribution dominée par une Lorraine Hunt inoubliable, sous la direction un peu trop lénifiante de William Christie.
Mozart, Die Entführung aus dem Serail
Johan Simons
De Nederlandse Opera 2008 (Opus Arte)
Johan Simons, c’est le mal-aimé de la scène française, peut-être en raison du hiatus apparent entre le clinquant du visuel et l’extrême sobriété du travail scénique. Ici, Simons joue sans complexe le jeu de la comédie, avec un travail d’acteur très fin relayé par des chanteurs très investis. Bonus intéressants, pour une fois (propos de Simons et de Kurt Rydl en particulier).
Interprétation musicale : On ne s’attend pas à grand-chose en entamant cette captation sans stars, on a tort : sous une direction très vivante (Constantinos Carydis), les chanteurs sont bons (la Constance de Laura Aikin, sans doute plus impressionnante en salle) à très bons (Kurt Rydl en Osmin).
Schumann, Genoveva
Martin Kušej
Opernhaus Zürich (DVD Arthaus)
Un objet un peu étrange, qui tient du rituel et de l’installation, avec un travail théâtral stylisé. On trouve au premier acte que c’est très joli, avant de se trouver franchement pris et ému.
Interprétation musicale : Un des rares opéras romantiques allemands à tenir la route musicalement et scéniquement, dans une interprétation magnifique dominée par Juliane Banse, bouleversante dans le rôle-titre.
Johann Strauss, Die Fledermaus (La Chauve-souris)
Hans Neuenfels
Salzburger Festspiele 2001 (Arthaus)
Une mise en scène contre l’œuvre, utilisée comme bélier contre les non-dits de la société autrichienne (et pas seulement) d’hier et d’aujourd’hui : ce qui n’est pas gênant vu la qualité modeste de cette œuvrette pas très drôle. Le spectacle est éblouissant et d’une efficacité redoutable ; on ne peut pas dire qu’il a perdu de sa pertinence depuis.
Interprétation musicale : L’« œuvre » ne sort pas indemne du traitement de Neuenfels, mais les interventions restent mesurées et la direction de Marc Minkowski est idéale pour cette œuvre, avec une distribution de bonne qualité.
Jossi Wieler, Sergio Morabito
Staatsoper Stuttgart 200? (Euroarts)
Le meilleur volet d’un Ring confié à quatre metteurs en scène différents, par un duo de génies de la transposition (on espère que les mêmes monteront un jour un Ring intégral…). La manière dont est restituée l’humour de l’œuvre est remarquable, et on admire constamment la musicalité du travail.
Interprétation musicale : Si l’Opéra de Stuttgart est une des scènes les plus inventives d’Europe, elle n’est pas nécessairement la mieux dotée financièrement. Pas de stars donc, mais des honnêtes chanteurs et un honnête chef (Lothar Zagrosek) qui ne gênent pas l’oreille.
Wagner, Der Ring des Nibelungen
Patrice Chéreau
Festival de Bayreuth, 1980/1981 (Deutsche Grammophon)
La mère de toutes les batailles : un scandale d’une rare intensité suivie par une conversion massive. Une production exemplaire pour son approche de l’œuvre, expurgée de toute tradition interprétative (y compris l’héritage de Wieland Wagner) mais profondément appuyée sur un vaste contexte intellectuel et historique. L’esthétique générale a un peu vieilli et le choix d’une reconstitution hors représentation pèse sur l’ensemble, mais l’analyse de l’œuvre et la construction du discours scénique restent d’une acuité frappante.
Interprétation musicale : Certainement pas une référence, avec quelques interprètes franchement problématiques, mais il faut en passer par là, et ce n’est pas si terrible après tout !
Wagner, Tristan und Isolde
Christoph Marthaler
Bayreuther Festspiele 2009 (Opus Arte)
Je n’ai pas vu, mais ça m’intéresse :
Mozart, Le nozze di Figaro/Don Giovanni/Così fan tutte – De Nederlandse Opera (Wieler/Morabito – Opus Arte)
Les manques : des vidéos existantes, mais non éditées en DVD pour des raisons mystérieuses (ou pas)
Moussorgski, Boris Godounov – Salzburger Festspiele 1998 (Wernicke)
Strauss, Ariadne auf Naxos – Salzbourg 2001 (Wieler/Morabito)
Szymanowski, Roi Roger – Opéra de Paris 2009 (Warlikowski)
Verdi, La Traviata – Opéra de Paris 2005 (Marthaler)
Je suis d´accord avec cette liste . Peut-être on ajouterais les Noces de Figaro ( Harnoncourt, Claus Gus , Salzburg 2006 )et le Tristan et Isolde ( Barenboim , Chereau , La Scala 2008 ).
RépondreSupprimerJe suis d´accord avec cette list de premiere grandeur. ´Je ajouterais : Les Nozze di Figaro ( Harnoncourt, Claus Gus , Salzburg 2006 ) and Tristan und Isolde ( Barenboim, Patrice Chereau, La Scala 2009 )
RépondreSupprimerSurtout le Tristan de Baremboim et Chereau. À mon avis, j'ajouterais aussi le Ring de Copenhague, exemplaire en matière de creativité et avec une qualité musicale remarcable.
RépondreSupprimerEn plus, il ne faut surtout pas oublier le Fidelio de Karl Böhm (1970 - Deutsche Oper Berlin). Peut etre, ce n'est pas un exemplaire de "regietheater", mais pour moi, c'est une des plus emouvantes transpositions d'opera en DVD que j'ai vu.
Beuh ta liste fait vraiment tres leger... Ou est le Ring de Copenhague? Alcina par Jossi Wieler? Die Zauberflote & Don Gio par Martin Kusej; Wozzeck et Don Giovanni par Calixto Bieito; Lohengrin par Konwitschny (qui etait revolutionnaire et meme aujourd'hui il respire l'audace). Et puis tu oublies (?) Iphigenie en Tauride par Warlikowski, qui etait probablement le plus poignant de ces spectacles parisiens.
RépondreSupprimerSinon, je ne suis evidemment pas d'accord avec Anonyme sur Tristan par Chereau. C'est un travail fonde sur une grosse experience d'un grand regisseur, mais c'est en rien une production "cutting edge". C'est un spectacle taille pour plaire le plus grand public. Celui de Marthaler est beaucoup plus "troublant" et reflechi (j'ai dit un blaspheme?!), mais clairement moins plaisant visuellement.
Par la force des choses, je n'ai pas tout vu, et je manque structurellement de temps pour les DVD. Le Ring de Copenhague, notamment, j'ai bien mentionné que je ne l'ai pas vu. Pour Iphigénie/Warlikowski, il n'a malheureusement été ni édité en DVD, ni - je crois - filmé. Pour les DVD de Bieito, je m'y mettrai certainement. En ce qui concerne enfin les deux Kusej que tu cites, je n'ai vu que DG, que j'aime beaucoup, mais je ne voulais pas non plus multiplier les titres et j'ai déjà cité Kusej pour Genoveva, un spectacle à mon avis encore plus splendide à partir d'une oeuvre pas évidente à mettre en scène...
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