lundi 23 août 2010

Salzbourg 2010 : les concerts (1)

J'ai parlé dans le message précédent de Salzbourg côté opéra, en sachant bien que c'est en général tout ce qu'en retiennent les Français, en parfaite conformité d'ailleurs avec les mondains. Mais Salzbourg, ce n'est pas qu'un festival d'opéra, je dirais même que c'est en minorité un festival d'opéra : il y aussi du théâtre (je n'ai vu qu'une pièce, mais remarquable, j'en parlerai plus tard), et il y a surtout plus de cinquante programmes de concerts différents : ce n'est pas les Proms (qui durent plus longtemps, d'ailleurs), mais on n'en est pas si loin dans l'étendue de l'offre proposée. Orchestre, musique de chambre, récitals, tout y est, à l'exception regrettable du baroque. Suivez le guide...

Enfin, le guide, façon de parler : je vais vous parler de ce qui s'est passé à Salzbourg 2010, mais j'espère bien que ça donnera à quelques-uns l'envie d'aller voir sur place...

I. Les concerts mondains : l'Orchestre Philharmonique de Vienne
Les Viennois ne sont pas ma tasse de thé, mais ce n'est pas par hostilité à leur égard que je qualifie leurs concerts de mondains : mondains ils sont, tout autant que l'opéra, et la salle est pleine de gens qui pensent que seul cet orchestre est digne d'eux ; c'est autant une histoire de marque que de qualités réelles. Les concerts sont donc chers et très prisés, mais quand on parvient à trouver des places pas trop chères, pourquoi pas... Le premier concert de cette saison, avec Daniel Barenboim à la direction et au piano, était très attirant (un concerto de Beethoven, du Boulez et du Bruckner), mais je n'y étais pas ;  les deux concerts que j'ai vus sont ceux de Riccardo Chailly et d'Herbert von Karajan, donnés traditionnellement aux alentours du 15 août. Herbert von Karajan se fait maintenant appeler Riccardo Muti, je ne sais pas pourquoi, mais tout est resté comme avant : les rites, le style de direction, le culte de la personnalité. Ses concerts ne sont pas mauvais, du reste, bien au contraire, mais ce n'est pas forcément mieux - cela dit, j'avais pris beaucoup de plaisir l'an passé à sa Faust-Symphonie de Liszt, moins cette année avec le pesant Ivan le Terrible bidouillé d'après Prokofiev.
Pour une critique plus détaillée de ces deux concerts, c'est sur Resmusica :
Riccardo Chailly (Rihm; Bruckner)
Riccardo Muti (Prokofiev) [à venir]

II. Le triomphe de la jeunesse : David Afkham et le Gustav Mahler Jugendorchester
Avouons-le : quand on va au concert d'un jeune chef qui vient de gagner un concours dont ce concert est le prix le plus visible, on peut vite avoir l'impression de participer à une œuvre de bienfaisance : allons donc soutenir ce brave jeune homme de notre bienveillance éclairée. Avec David Afkham, avec le GMJO, c'est un peu raté : ces jeunes gens ont vite fait de vous renvoyer dans vos cordes et vous faire sentir que c'est vous qui recevez un cadeau extraordinaire.
Libre de choisir son programme, le jeune chef n'a pas eu peur : Atmosphères de Ligeti, le 3e concerto de Beethoven, la 10e symphonie de Chostakovitch. On sait bien qu'il est aussi difficile de confronter le public aux affres de l'inconnu qu'au risque du trop connu : Afkham fait les deux à la fois.

Mais arrêtons de parler de lui un moment : si ce concert est une telle réussite, c'est aussi parce que le plateau est occupé par un orchestre hors du commun. Ce n'est pas la première fois que j'entends cet orchestre de jeunes fondé par Claudio Abbado :  à chaque fois, l'enchantement est le même. C'est amusant : voilà un orchestre formé de gens destinés à n'y pas rester (on ne reste pas jeune indéfiniment), mais qui réussit à garder non seulement un niveau de qualité constant, mais également une identité sonore stable. Il y a l'enthousiasme de la jeunesse, bien sûr, et c'est infiniment touchant de voir ces jeunes gens et jeunes filles s'embrasser et se réjouir ensemble à la fin du concert au lieu de sortir la queue entre les jambes comme les orchestres établis ; mais la jeunesse n'explique pas tout : il ne suffit pas du désir de bien faire pour délivrer des solos aussi parfaits, à la flûte, à la clarinette, partout ; ni pour atteindre ce son lumineux, transparent, d'une vibrante intensité ; ni pour avoir ce sens du rythme jusque dans les moments les plus délicats. (mais n'oublions pas : la musique classique se meurt, ça n'intéresse plus que les vieux, les jeunes n'aiment que les choses faciles, d'ailleurs les salles se vident... ben voyons !).

Mais revenons à leur chef. Dans la courte laudatio prononcée à la fin du concert (ouf, on a échappé aux discours), Franz Welser-Möst a dit, et ça veut dire beaucoup, qu'Afkham avait ceci de particulier qu'il dirigeait toujours les musiciens, pas le public (tiens, ça vous fait penser à Muti ?) : la fougue de la jeunesse n'est pas forcément démonstrative. On aurait aimé un peu plus d'écoute dans le public pour l'œuvre de Ligeti, pourtant vraiment accessible ; difficile d'entendre le travail d'Afkham dans ces conditions, mais on peut au moins voir à quel point les contrastes dynamiques sont travaillés. Voilà quelqu'un pour qui la musique contemporaine, c'est tout bêtement de la musique...

Vient ensuite le concerto de Beethoven, avec un soliste, Till Fellner qui semble un véritable alter ego musical du jeune chef. On se dit, en écoutant l'oeuvre, que ce chef a tout autant entendu la musique du XXe siècle que les réinterprétations des baroqueux : pas de sentimentalité de pacotille, pas de cet esprit de sérieux qui veut montrer à chaque note qu'attention, c'est de l'art, mais une approche alerte, à la fois humble et ambitieuse de la partition. Ce qu'Afkham dirige, ce n'est pas une interprétation d'un tube que tout le monde connaît, c'est le fruit d'une analyse d'une partition comme neuve : il a ainsi reconnu l'importance qu'il accordait aux passages de pur accompagnement comme aux voix médianes, bref à ce qu'on traite souvent comme du remplissage mais qui peut éclairer toute la structure musicale. Le résultat frappe donc d'abord par sa limpidité, par son allant simple, et le jeu très marqué de Till Fellner, qui préfère la clarté classique à un certain flou romantique, s'allie à merveille avec cette remarquable interprétation qui est, à bien des égards, un dévoilement.

En deuxième partie, la 10e symphonie de Chostakovitch, celle qui prend acte de la mort de Staline. Les critiques l'ont souligné à juste titre : ce qui est frappant dans l'interprétation d'Afkham, c'est le refus de la surenchère, de la débauche d'énergie comme tenant lieu de réflexion sur l'oeuvre (Gergiev...). Je crois que c'est ce qui peut arriver de mieux à une oeuvre comme celle-là : travailler la construction globale, le détail instrumental, le discours articulé plutôt que de traiter la chose en bloc sous le prétexte de l'énergie. C'est là que le mot de Welser-Möst prend son sens : Afkham n'est pas spectaculaire à voir diriger, même dans les moments de déferlement orchestral massif il garde toute la maîtrise de son corps, peut-être pas autant que Boulez qui reste impassible par tous les temps, mais il y a quelque chose comme ça. C'est peut-être ce que certains stigmatisent en parlant d'approche intellectuelle : mais il y a mille fois plus de musique dans ce soi-disant intellectualisme que dans la soi-disant spontanéité instinctive d'autres chefs.


On ne peut donc que féliciter David Afkham pour cette récompense dont on n'imaginait pas qu'elle trouverait un aussi digne récipiendaire. Pour lui, maintenant, commence le plus dur : à travers le travail quotidien, sur des années, avec des orchestres qui n'auront pas tous les jours la même envie stimulante que les jeunes du GMJO, il va falloir transformer la promesse...

Ceux qui veulent entendre David Afkham au plus vite auront l'occasion de le faire prochainement :
-À proximité immédiate de la France, en tout premier lieu pour les Lorrains comme moi, David Afkham dirigera l'excellente Deutsche Radio Philharmonie à Kaiserslautern le 26 août, à Sarrebruck le dimanche 29 à midi pour un concert familial (gratuit) avec un programme Mendelssohn (notamment Les Hébrides)/Liszt (premier concerto)/Humperdinck. Sarrebruck, il faut bien le dire, est une ville fort laide, mais je ne manquerai pas le concert du 29 !
-Pour les Parisiens, David Afkham sera au Théâtre des Champs-Élysées le 2 décembre, avec la même symphonie de Chostakovitch et le concerto pour violon de Khatchatourian. Et, malheureusement, un orchestre nettement moins bon que le GMJO...

Suite des concerts salzbourgeois à venir...

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