vendredi 20 août 2010

Salzbourg 2010 : les opéras

Jürgen Flimm, au cours des quatre années peu enthousiasmantes de son mandat-éclair à la tête du plus grand festival du monde, n'a pas tout raté : en 2008, il avait présenté une magnifique Rusalka mise en scène par Jossi Wieler et tout aussi réussie musicalement que scéniquement, et l'Eugène Onéguine (Daniel Barenboim/Andrea Breth) qui avait ouvert son mandat en 2007 était paraît-il une belle réussite (mais je ne l'avais pas vue et n'ai pas non plus vu le DVD). En 2010, désolé : si je n'avais pas envie que vous continuiez à lire cet article, je dirais qu'il n'y a rien à voir.

D'ailleurs, c'est un peu injuste : d'abord parce que la création de Wolfgang Rihm Dionysos, handicapée par une mise en scène plate (eh oui, Pierre Audi...), valait vraiment qu'on y laisse traîner une oreille (j'en ai parlé longuement là). Ensuite parce que le spectacle le plus attendu des mélomanes peut difficilement être qualifié d'échec.

C'est de Lulu que je veux parler : sous la direction de Marc Albrecht, c'est Vera Nemirova qui mettait en scène avec des décors du peintre Daniel Richter. Le facteur glamour, indispensable à Salzbourg pour de l'opéra, était fourni par Patricia Petibon : disons-le franchement, je n'en attendais pas grand-chose, et ce que j'ai entendu ne m'a pas du tout convaincu. Bien sûr, à chaque fois qu'une chanteuse ose affronter Lulu, pour peu qu'en plus elle ait le jeu de jambes adéquat, on crie au miracle : ce qui fut fait pour Mademoiselle Petibon. Maintenant, si on a le malheur de s'intéresser un peu à la partition, les choses changent : ce qui frappe, c'est surtout qu'elle chante tout le spectacle ou presque dans un état de crispation qui montre avant tout que le rôle n'est pas du tout acquis. Les quelques pitreries qui sont sa marque de fabrique n'y changent rien, d'autant plus qu'elles la conduisent souvent à en oublier la partition - quant à l'accent français parfois très prononcé, il est peut-être charmant aux yeux des germanophones, mais il me gêne beaucoup.
Je vous épargne le reste : un fragment du seul décor correct. © Salzburger Festspiele / Monika Rittershaus



L'événement de cette Lulu est ailleurs. Pas du côté de la mise en scène, non, encore moins des décors : Vera Nemirova, abonnée des réceptions houleuses lors des premières, a ici livré un travail très sage, sans beaucoup d'attrait, où seule l'idée idiote de faire jouer le début du 3e acte dans la salle et non sur la scène a de quoi irriter. Les décors, eux, sont à la fois paresseux (de grandes toiles peintes simplement plantées là, en fond de scène), même si celui du 3e acte (la suite) n'est pas sans intérêt : Daniel Richter est une des grandes impostures du marché de l'art actuel. Il incarne tellement bien ce que j'appelle l'art pour oligarques russes qu'il va jusqu'à peindre des moujiks à balalaïka dans la taïga : on cherche dans quel coin peut bien être le logo du sponsor Gazprom. Mais ne nous énervons pas : c'est simplement très médiocre, et c'est au fond amusant de voir les magnats d'aujourd'hui acheter les croûtes de demain.

Une fois qu'on a admis qu'il n'y avait rien à attendre de l'aspect scénique ni de la titulaire du rôle titre, tout va bien. Mais si, je vous assure : d'abord parce que le reste de la distribution est épatant, à commencer par Pavol Breslik dans le rôle du peintre (qui en général n'intéresse personne, mais évidemment, avec un tel chanteur...) et Michael Volle en Dr. Schön, sans parler du vieil Heinz Zednik, savoureux dans deux petits rôles. Ensuite parce que le spectacle est un enchantement orchestral, ce que le Philharmonique de Vienne ne m'apporte pas très souvent, il faut bien le dire. Le chef était Marc Albrecht : certains se souviennent peut-être avec horreur de son très médiocre De la maison des morts à l'Opéra-Bastille (je lui en avais beaucoup voulu) ; tout porte à croire que, cette fois-là comme tant d'autres, l'échec était sans doute à mettre du côté d'un orchestre récalcitrant plutôt que du chef, certes jeune et peu expérimenté. Les Viennois, c'est bien la seule qualité que je leur reconnaisse de façon pérenne, ont au moins l'honnêteté de toujours donner (ce qu'ils imaginent être) le meilleur d'eux-mêmes ; ici, ils ont visiblement collaboré très correctement avec ce chef qui sait ce qu'il veut.
Et ce qu'il veut, ma foi, est fort intéressant. Les amateurs de représentations lisses où tout est bien mais rien n'a de relief peuvent passer leur chemin : ça cahote parfois assez sévèrement, mais on redécouvre tellement de choses passionnantes, de détails cachés sous la surface de l'orchestre, de rythmes stimulants qu'on peut bien accepter de s'ennuyer un quart de seconde par ci par là. On a souvent l'impression de passer de l'esquisse à l'œuvre finie, et pourtant la multiplicité des détails révélés ne ternit pas la lisibilité de l'ensemble. Ce n'était peut-être pas la peine de la filmer, cette production, mais ça valait certainement le coup de l'entendre, même avec Mlle Petibon.

Des deux autres nouvelles productions de ce festival, je ne parlerai pas en détail ici. Je n'ai pas vu, vous vous en doutez bien, l'Orphée et Eurydice : les alanguissements étouffe-chrétien de Riccardo Muti dans le répertoire du XVIIIe siècle, j'en ai eu ma dose avec ce terrible Demofoonte de Jommelli à Garnier, et on connaît trop son goût pour les mises en scène 100 % poussière pour éviter la catastrophe - la précaution n'était pas inutile, comme l'a révélé la presse autrichienne. Quant à Elektra (Daniele Gatti/Nikolaus Lehnhoff, je l'ai bel et bien vue, avec d'ailleurs une remplaçante ; vous pourrez lire les détails sur Resmusica (l'article va sortir, je mettrai le lien ici) : le résumé est simple à faire, hors Waltraud Meier et René Pape, point de salut.


Sinon, que faisiez-vous, dimanche soir ? Ah, vous classiez vos vieilles factures ? Eh bien, je vous envie : pour ma part, j'étais à Don Giovanni, reprise de 2008, c'était beaucoup moins intéressant que vos factures. Là aussi, Resmusica à venir, donc pas de critique détaillée ici, mais vraiment, vive les factures.

Abonnez-vous ! (vous pouvez aussi vous abonner par mail (case en haut à droite)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Une petite râlerie ? Une pensée en l'air ? Une déclaration solennelle à faire ? C'est ici !

NB : Les commentaires sont désormais modérés en raison de problèmes de spam. Je m'engage à publier tous les messages qui ne relèvent pas du spam, même à contenu désagréable

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...