lundi 21 mars 2011

La province a encore frappé, mais Paris a de la ressource

Partir en vacances, rien de plus simple. Le plus difficile, c'est d'en revenir, comme chacun sait. Par exemple quand on a pu constater qu'il vaut mieux aller voir Giulio Cesare de Haendel à Ravenne, dans un pays pourtant notoirement sinistré culturellement, plutôt qu'à Paris.
Une Scala en miniature : le Teatro Alighieri à Ravenne

D'abord parce qu'on y paie beaucoup moins cher (45 € en première catégorie contre 180 € au Palais Garnier), tout en pouvant acheter sa place le jour même. Mais aussi parce que, là où le spectacle parisien, sinistré par Emmanuelle Haïm, était bien en dessous du minimum de décence et d'honnêteté artistique que même son adversaire le plus acharné (moi) ne peut refuser à la majorité des spectacles produits par Nicolas Joel à l'Opéra de Paris, on se trouve rassuré à Ravenne de constater qu'il est encore possible sans disposer de moyens considérables* de faire des représentations d'opéra de qualité. De qualité, j'ai bien dit, pas de génie : d'abord parce qu'on aurait préféré éviter Sonia Prina dans le rôle titre, là où à Paris Lawrence Zazzo réussissait malgré Haïm à laisser percer son insolente supériorité ; ensuite parce que le metteur en scène Alessandro Pizzech ne peut rien faire d'autre que d'essayer de "faire moderne" sans disposer de l'imagination nécessaire pour faire vivre ses modestes idées (rassurez-vous, à Ravenne aussi on a sa dignité, il a été hué, encore qu'avec modération) ; enfin parce que la direction d'Ottavio Dantone n'atteint pas tout à fait les mêmes hauteurs que René Jacobs lors d'une inoubliable version de concert à la salle Pleyel il y a deux ans.
Sonia Prina, Maria Grazia Schiavo
Mais enfin, quel plaisir de voir enfin vivre des chanteurs en liberté, compétents, concernés, et surtout soutenus ! Jane Archibald, honorable chanteuse, est ainsi écrasée par la Cléopâtre émilienne, Maria Grazia Schiavo (pour ceux qui ne s'intéressent qu'à l'essentiel : pas de seins en vue, mais un décolleté tout de même fort honorable), et il en va de même pour José Maria Lo Monaco, Cornelia d'une belle dignité qui fait oublier instantanément la valeureuse Varduhi Abrahamyan : on y retrouve même un personnage véritablement habité, étonnamment jeune, là où la plupart des chanteuses se contentent du rôle statuaire de la matrone en deuil. Et puis, mon Dieu, l'orchestre ! Des couleurs, de la consistance, du son, de la variété : l'Accademia Bizantina, comme les chanteurs, bénéficie certainement des dimensions modestes du Teatro Alighieri, mais je doute que cela suffise à expliquer le fossé qui la séparent du gris uniforme des musiciens d'Emmanuelle Haïm.
José Maria Lo Monaco
Et puis, comme un bonheur n'arrive jamais seul, j'ai été bien inspiré de m'arrêter par Paris au retour, pour assister aux trois concerts donnés par des musiciens du Philharmonique de Berlin à la Salle Pleyel : pas moins de six grands quintettes du répertoire, avec l'aide à vrai dire peu inspirée de la pianiste Yuja Wang, qui gagnerait à découvrir toutes les merveilles de subtilité que permet le piano pour peu qu'on s'intéresse à ce qu'on appelle le touché. Donc pas de très grands solistes qui font venir les foules sur leur seul nom, mais des musiciens d'orchestre en rupture de ban, sous la férule du merveilleux violoniste Guy Braunstein, qui ont atteint des hauteurs presque suffocantes de dépouillement chambriste dans un Quintette D. 956 de Schubert qui fera encore longtemps causer dans les chaumières. On avait déjà vu Braunstein à Paris cette saison, dans les concerts du Festival de Jérusalem à la Cité de la Musique, avec Michael Barenboim (autre merveilleux musicien) et sa maman Elena Bashkirova.
Le point commun de ces deux séries de concerts, outre les moments de grâce qu'ils ont offert au public et la présence de Braunstein, c'est qu'ils ont accueilli un public nombreux et enthousiaste, dans lequel on n'avait pas besoin de beaucoup chercher pour trouver des jeunes gens : on a tellement craint pour la musique de chambre, tellement pleuré sur la faiblesse de la programmation de ce type à Paris que voir ces salles pleines (plus, disons, que l'Opéra de Paris pour certaines productions récentes), entendre ces ovations longues et nourries, ma foi, ça fait bien plaisir, et en ces temps parfois décourageants ça redonne un peu confiance en l'avenir.


*Le spectacle est coproduit par les opéras de Ferrare, Modène et Ravenne, la plus modeste des trois salles, qui ne le donnait que deux fois.

Oui, je sais, je dois vous parler encore de la prochaine saison de l'Opéra, et puis de la Monnaie, du Teatro Real à Madrid, de Pleyel, etc., etc. Un peu de patience, ça vient...

4 commentaires:

  1. Je me fais l'impression d'arriver non pas du Paradis à l'instar du Spectre de la Rose, mais de je ne sais quelle planète à découvrir votre univers seulement à l'instant grâce aux multiple redirections de liens FB& co'!! :-D
    Je vois des gens et des sites que je ne connais que trop bien dans vos blogrolls qui plus est!
    Bref, tout ça pour dire, j'aime votre tonalité ici, nous avons a priori le même ressenti des choses lyriques à Paris et ailleurs et je me fais une joie de penser revenir vous éplucher par le menu, puisque c'est bien là l'occasion de l'exprimer ainsi!

    Ravie et à bientôt.

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  2. Merci pour la précision sur le décolleté, je me suis bien évidemment posé la question dès que mes yeux sont tombés sur la photo. Condoléances pour Prina.
    Tu as vu que la saison de la Cité de la musique est sur leur site?

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  3. C'est à ça qu'on reconnaît les vrais mélomanes...
    Oui, j'ai vu pour la Cité, il y a vraiment beaucoup de choses. J'en parlerai en détail dès que j'aurai un peu de temps (vendredi ?).

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