mercredi 17 août 2011

Salzbourg 2011 : l'opéra

Une fois n’est pas coutume : je commence cette fois mon compte-rendu salzbourgeois par l’opéra, d’autant plus que ça ira relativement vite...
La Reine Denoke et ses soupirants (photo W. Mair)

Je n’ai en effet vu qu’un seul opéra en version scénique cette année, et je l’ai vu pour Resmusica : vous trouverez donc dans les tout prochains jours ma critique de L’Affaire Makropoulos de Janáček sur Resmusica, et vous verrez que si Angela Denoke (que j’ai interviewée pour Resmusica) et la production de Christoph Marthaler m’ont pleinement convaincu, il n’en a pas été de même pour ce bon vieux Philharmonique de Vienne, indigeste même sous la baguette d’Esa Pekka Salonen (une chose rigolote est que, depuis ma place de presse, j’ai pu mieux observer l’architecture de la Grande salle du Festival construite en 1960 pour Karajan : on y voit, comme c’est étrange, presque autant le chef que la mise en scène – le star system ne date pas d’aujourd’hui !).
Le reste du programme lyrique du festival, du moins dans son aspect scénique, n’avait guère de quoi m’enthousiasmer : j’avais déjà vu les trois opéras de Mozart mis en scène par Claus Guth et déjà maintes fois repris (les belles Noces de 2006 et les ineptes Don Giovanni de 2008 et Così fan tutte de 2009) ; et m’abaisser à ne serait-ce qu’assister au culte de Riccardo Muti et à la célébration de sa haine du monde moderne (ici via Macbeth de Verdi mis en scène par Peter Stein), non merci. Le chapitre lyrique n’est pourtant pas clos pour autant : le Festival ayant décidé tardivement d’ouvrir au public, pour un tarif plus modéré que les concerts eux-mêmes et sous un vague prétexte charitable, la générale du diptyque Le Rossignol (Stravinsky)/Iolanta (Tchaikovski), j’ai fini par me décider à passer outre ma lassitude face aux aspects les plus mondains du festival et prendre une place pour ladite générale.
Mieux vaut un bon Bolton qu'une quelconque Netrebko (photo W. Lienbacher

Rien que le programme a suffi à vous mettre la puce à l’oreille : oui, la raison d’être de ce diptyque était bien Anna Netrebko, infaillible argument commercial du Festival. Le Rossignol se passait pourtant très bien d’elle, à vrai dire surtout grâce à la magnifique direction d’Ivor Bolton, qui montre avec son Orchestre du Mozarteum qu’on a bien tort d’en faire un spécialiste exclusif du répertoire XVIIe-XVIIIe – et c’est tellement agréable d’échapper pour une fois à la mainmise de Gergiev sur ce répertoire… La distribution m’a moins enthousiasmé, en particulier chez les dames : ni le Rossignol pesant de Julia Novikova, ni la Cuisinière terne de Julia Lezhneva (vous savez, la nouvelle poupée qu’on essaie de vous vendre comme colorature de l’avenir) ne m’ont convaincu, alors que ces messieurs, notamment le Pêcheur, étaient beaucoup plus à la hauteur de leurs rôles, il est vrai plus secondaires.
Quant à Iolanta… Il était assez drôle de voir la confusion qui a régné pendant tout le concert sur la durée de cette œuvre : il n’est a priori pas très difficile de vérifier sur un CD que l’œuvre dure environ 90 minutes, mais visiblement le renseignement n’avait pas été fourni au personnel, si bien que la plupart des spectateurs, croyant que l’œuvre durerait grosso modo autant que Le Rossignol (45 minutes), ont passé pas mal de temps le nez sur leur montre en se demandant quand cela pouvait bien finir… Cela dit, l’œuvre a tout de même assez de séductions pour faire passer le temps de façon agréable : le livret manque sans doute un peu de tension dramatique dans la première moitié, mais cette histoire de fille de roi aveugle qui ignore tout de la lumière, de la beauté, me semble avoir de quoi stimuler l’imagination d’un metteur en scène qui saurait faire vivre tout cela. Malheureusement, tel n’était pas le but ici ; il s’agissait simplement de célébrer Anna Netrebko, seule chanteuse à avoir eu le droit de revêtir une robe claire (il ne s’agit pas que les autres chanteuses aient l’audace de lui faire de l’ombre).
Dans aucun pays sans doute le culte d’Anna Netrebko, à qui on a offert la nationalité autrichienne, n’est-il aussi intense (il y aurait de quoi faire tout un développement sur la déliquescence intellectuelle et morale des élites autrichiennes). Il est sans doute sacrilège de remettre en cause sa royauté, mais franchement, expliquez-moi : j’ai bien entendu une bonne chanteuse, à la voix un peu passe-partout, pas vraiment très soucieuse de caractériser en détail ce qu’elle chante, pas la souveraine partout célébrée. Netrebko n’est pas une pure escroquerie (contrairement à son compagnon Erwin Schrott, vrai mauvais chanteur), elle a une voix qui lui assure une place méritée dans des distributions de bon niveau des grandes maisons d’opéra du monde ; mais vraiment, me la vendre comme une grande chanteuse, surtout cet été où j’ai pu entendre Harteros, Schäfer, Denoke et d’autres, il y a des limites au marketing. Mais la distribution ne se limitait pas à une princesse de pacotille : j’ai particulièrement apprécié, plutôt que le Roi inutilement caverneux de John Relyea, l’impeccable Piotr Beczala en héros salvateur, et surtout Evgeny Nikitin dans le rôle du médecin maure – il n’est pas mauvais, après tout, que le rôle le plus intéressant de la partition soit confié à un des chanteurs les plus intelligents d’aujourd’hui (les Parisiens se souviennent sans doute de son Klingsor, qui m’avait ébahi dans le Parsifal monté par Krzysztof Warlikowski). Le tout toujours admirablement tenu par un Bolton qui démontre ce que compétence veut dire…
La suite au prochain numéro : de l’art de séduire le public salzbourgeois avec la musique contemporaine (et encore de l’opéra).

4 commentaires:

  1. Pardon, j'ai supprimé par erreur un message de Pierre-Jean me demandant s'il y avait des fuites sur ce que sera l'édition 2012... Oui, Alexander Pereira a jugé bon de laisser fuiter toute sa prochaine saison (et une partie de la suivante...): j'en parlerai en détail après la conférence de presse finale du festival, qui donne toujours des infos sur l'année prochaine, mais je peux déjà dire que ça va de La Bohème (avec Netrebko...) aux Soldats de Zimmermann en passant par La Flûte...

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  2. Depuis que j'ai lu cette appréciation "vrai mauvais chanteur" je m'interroge sur ce 'vrai'.
    Pour être 'vrai' mauvais il faut sans doute l'être tout le temps, tandis que 'mauvais' serait seulement dans telle interprétation? Vos éclaircissements sont les bienvenus, d'autant que j'ai pu entendre ce Leporello le dernier soir de Don Giovanni à Salzburg. Il a peu chanté et pas mal 'parlé'. Son timbre est assez écrasant, sombre pour ce rôle. Il fut très drôle y compris aux saluts.

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  3. J'avais vu Schrott pour ma part l'année dernière, déjà en Leporello, et sans doute il fait beaucoup d'efforts de comique, mais je trouve ça terriblement vulgaire, et musicalement c'est la Berezina : comme vous le dites, il parle plus qu'il ne chante, mais ça réussit quand même souvent à être vraiment faux. Votre explication de mon "vrai mauvais" est la bonne...

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  4. Merci! C'est une très bonne formule que je retiens... En effet le comique à tout prix est déplacé là.Il en fait un peu trop!

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