Salzbourg, paradis de la musique contemporaine ? Mais
oui, parfaitement. C’est le prodige qu’a réussi à faire Markus Hinterhäuser,
responsable des concerts de 2007 à 2011 et intendant pour la seule édition
2011. Hinterhäuser, pianiste de son état, est un récidiviste. Déjà, de 1992 à
2000, il avait animé avec un complice une sorte de festival parallèle appelé
Zeitfluss, à l’invitation de l’intendant de l’époque, un certain Gerard Mortier
(lui-même maintes fois convaincu d’avoir dérangé avec préméditation d’honorables
citoyens dans l’accomplissement lyrique de leurs fonctions digestives). Depuis
2007, le brave homme croule sous les éloges que lui vaut sa programmation, pas
seulement pour la musique contemporaine, mais aussi pour la musique contemporaine. La nouveauté de cette année
(on y reviendra), c’est qu’en plus de remporter un succès critique et de
séduire les convaincus comme moi il aura réussi à montrer que la musique
contemporaine pouvait plaire.
Prometeo à la Kollegienkirche : Mais que vois-je ? Du public ! (photo Silvia Lelli) |
J’avoue avoir pensé cette année qu’il était parfaitement fou
de programmer Prometeo de Nono et Macbeth de Sciarrino à raison de deux
dates chacun, fût-ce en l’intime Kollegienkirche (environ 500 places) : du
contemporain, mais qui plus est deux compositeurs particulièrement peu goûtés
du grand public en général. Et que ce passa-t-il ? La totalité des places
a été vendue sans le moindre problème, bien avant la date des concerts (donc
pas à l’innocent touriste de passage), et les panneaux « cherche
place » fleurissaient avant les concerts. Même pour un concert d’œuvres de
Claude Vivier, encore moins familier pourtant au public salzbourgeois, les
places vides étaient loin d’abonder.
Le programme de cette année était en quelque sorte construit
comme une sorte de regard rétrospectif sur les quatre « Continents »
qui avaient précédé ce cinquième et dernier, consacrés dans l’ordre à Scelsi,
Sciarrino, Varèse et Rihm, et sur les années Zeitfluss. Prometeo avait été, en 1992, le premier projet réalisé par
Hinterhäuser débutant dans l’art de la programmation. L’œuvre, sous-titrée
« Tragédie de l’écoute » en opposition à un théâtre musical que Nono
jugeait trop dominé par l’aspect visuel, reste encore aujourd’hui assez
cryptique (que reste-t-il aujourd’hui des idéaux politiques et artistiques de
cet idéaliste sans concession), et on aurait pu souhaiter que quelques éléments
visuels (ne serait-ce que de sommaires projections sur le sens de chaque scène)
viennent aider le parcours. Reste donc une expérience purement sonore, qui
n’est pas sans tomber dans les périls de la longue durée (2 h 15 sans pause,
cela peut paraître long !)
Macbeth de Sciarrino, créé en 2002, est une expérience bien plus aisément
digestible, parce qu’il y a une histoire – déjà connue qui plus est – qui vient
donner une structure à l’ensemble, pour peu qu’on veuille bien faire l’effort
de suivre le livret (excellent) dans le programme. Certains ne l’ont pas fait,
mal leur en a pris. J’ai fait une critique pour Resmusica de ce concert, je ne
vais donc pas me répéter, mais il me faut quand même redire à quel point cette
musique est fascinante, à quel point elle possède de gigantesques qualités
dramatiques, à quel point elle mériterait d’être montée sur scène. Quel regret,
aussi, que Paris ait dû prendre contact avec Sciarrino par le biais de Da gelo a gelo (Opéra de Paris 2006),
avec cette mise en scène esthétique mais sans nerf de Trisha Brown, où tout se
perdait dans les trop vastes espaces du Palais Garnier !
Marino Formenti et son ami Stockhausen (photo Silvia Lelli) |
Ce Continent m’aura donné aussi l’occasion de revoir Continu de Sasha Waltz, que j’avais déjà
critiqué pour Dansomanie, mais qui était donné dans une version légèrement
différente, sans remettre pour autant en cause les équilibres globaux de la
pièce ; j’ai eu l’occasion aussi de conforter mes préjugés (eh oui…) sur
Claude Vivier, compositeur canadien déjà pas mal oublié et très franchement
oubliable (cette spiritualité premier degré très années 70…) ; et
Hinterhäuser s’est fait le plaisir de confier à son collègue Marino Formenti
une intégrale des 11 premières pièces pour piano (dont la IX, que Maurizio
Pollini joue régulièrement en concert) de Stockhausen (composées entre 1952 et
1961), devant un parterre cette fois plus clairsemé, complétées par une des
dernières pièces, purement électronique, du même devenu entre-temps gourou
paranoïaque : une belle occasion de retrouver par contraste ce qu’a été le
Stockhausen des débuts de sa carrière, avec ces pièces extraordinairement
inventives, des premières pièces toutes guindées de sérialisme (mais avec cette
espèce de passion sous-jacente des théoriciens enthousiastes) à des
constructions beaucoup plus libres.
On comprend donc bien que
le public ait fait un triomphe à ces concerts si inventifs – mais attendez la
suite : vous croyez qu’en pleine année Mahler il n’est pas possible de
faire du neuf avec l'enfant gâté de l'année ? Eh bien, vous vous trompez…
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