mardi 27 septembre 2011

Marthaler, Ratmansky, Boulez... : les artistes et les autres

Les week-ends parisiens d'un provincial peuvent réserver des surprises : lors de ce week-end étendu (Boulez oblige), la concentration de spectacles esthétiquement si opposés a quelque chose d'un peu déroutant. Que dire ? Que Paris m'apparaît du coup comme une scène artistique dynamique et stimulante ? Un peu. Qu'il y a quelque chose d'un peu rance au domaine de France ? Un peu aussi.


Premier épisode : Marthaler
Lieu : Théâtre de la Ville
Héros : Christoph Marthaler, sa décoratrice Anna Viebrock, sa troupe. Et Mahler, Duparc, Schubert, Brahms...

Le Théâtre de la Ville, sans aucun doute, fait partie des joyaux de la couronne parisienne, depuis combien de temps déjà ? Et le Festival d'automne, que quelques barbares voulaient faire rentrer dans le rang, aussi. Tous deux ont récemment changé de direction, quittant leurs dirigeants historiques pour un patron commun, le (pas très bon) metteur en scène Emmanuel Demarcy-Motta, qui joue visiblement sur la continuité (un peu trop, je pense, au Théâtre de la Ville). En faisant venir Marthaler place du Châtelet, le Festival d'automne réussit un joli coup, un peu au détriment des amoureux du Suisse qui - j'en suis - ne sont pas forcément ravis de se retrouver au milieu de ce public pénible, mais au bénéfice de sa résonance médiatique. Public pénible, parce que, vieille tradition, le public du Théâtre de la Ville est rétif à tout effort, quittant la salle sans discrétion s'il ne se retrouve pas dans le spectacle qu'il voit ; public d'abonnés qui occupent leurs sièges depuis au moins un quart de siècle mais semblent toujours n'avoir jamais rien vu et être surpris par tout (il n'y a pas de moyen plus efficace de réveiller ce public que de parler de pipi-caca) ; public en revanche de plus en plus bourgeois, snob, les profs et les classes moyennes cultivées chassées de Paris l'étant par la force des choses aussi des théâtres. Je préfère encore Bobigny.
Marthaler, sans doute, construit une œuvre d'une grande cohérence, ce qui après tout n'est pas un crime.

Deuxième épisode : Lifar/Ratmansky
Lieu : Opéra Garnier
Héros : quelques décors et costumes d'anthologie, et un Poutine-boy chorégraphe

Il me serait facile de détruire ce programme sans avoir à écrire : quelques photos bien choisies suffiraient à montrer que, contrairement à l'adage, le ridicule tue. Mais tout de même, causons un peu [NB : oui, ceci est largement une reprise de ce que j'avais écrit sur Dansomanie]
Sans doute Phèdre, le ballet de Lifar créé en 1950, n'est-il pas le ballet que j'aurais le plus rêvé de voir, mais je trouve qu'on va un peu vite en besogne en ne lui reconnaissant qu'un intérêt historique. D'abord parce que le refus de l'histoire de la danse qu'on distingue bien trop souvent y compris dans le monde de la danse classique est consternant, comme si tout ce qui comptait était les bonds athlétiques et vides de sens des Vasiliev, Osipova & co. (et Guillem autrefois...). Ensuite parce que cette pièce hors mode me semble toucher de bien plus près à la tragédie qu'une grande partie des ballets narratifs récents. Ce que, du reste, j'ai beaucoup mieux perçu avec Agnès Letestu, qui a la sécheresse de la tragédienne, qu'avec la trop glamour Marie-Agnès Gillot (difficile d'approfondir un rôle tout en faisant de la télé-réalité... Entre M6 et Lifar, il faudrait choisir...). Certes, les costumes sont majoritairement ridicules, certes, cette stylisation du mouvement n'est plus dans nos habitudes, mais c'est aux interprètes de la remplir, cette stylisation, et après tout une Myriam Ould-Braham parvient, elle, à se dépêtrer de l'invraisemblable queue de cheval d'Aricie quand Mathilde Froustey, imperturbablement scolaire, ne fait que réciter sa leçon.

Psyché, ensuite, ne relève certainement pas le niveau visuel. Certes, les costumes des personnages principaux sont plus supportables, encore que celui de Vénus prête aussi à sourire, mais en échange on "bénéficie" de l'un des plus laids costumes qu'il m'ait été donné de voir avec celui des 4 Zéphirs, et animaux comme fleurs (la feuille sur le ventre!!!) sont désolants. Mais ce n'est rien à côté des décors, pour lesquels on hésite entre le travail d'un peintre du dimanche et les décors de l'opérette de fin d'année dans une ville d'eaux d'il y a un demi-siècle. Qu'on ait pu consacrer ne serait-ce qu'un centime d'argent public à cette niaiserie sans excuse est confondant. J'ai trouvé ces décors encore pires que ceux déjà affolants de Mireille de Gounod en 2009, c'est dire, et il est sans doute significatif que le ballet marque ainsi son allégeance à l'esthétique antimoderne et sauvagement idéologique de Nicolas Joel.

Du point de vue chorégraphique, c'est pour moi un soulagement qu'Alexei Ratmansky ait renoncé à son goût pour l'agitation permanente qu'avait si bien - si mal - incarné Flammes de Paris. Je crois qu'il y a un réel effort d'adaptation au style français, qui explique qu'une Dorothée Gilbert semble s'y trouver si bien (je ne l'avais pas trouvée aussi à son aise depuis longtemps, dans un rôle qui est certes loin de la profondeur des grands rôles classiques dans lesquels elle m'enthousiasme avec réserves). Cela dit, la vacuité de l'ensemble reste totale, et si au moins cette pièce-là ne peut être accusée de participer à la réhabilitation de Staline en cours en Russie, elle est loin d'échapper à la tendance dominante de fournir des divertissements où l'efficacité tient lieu d'argument ultime. L'écriture chorégraphique de Ratmansky est inutilement chargée, inexpressive, incapable d'établir la juste distance entre la musique et la danse. Immédiatement consommable, certes, mais aussi, Dieu merci, jetable. Si malgré tout Brigitte Lefèvre décidait de reprendre cette pièce, j'espère du moins que les décors iront d'ici là à la benne, ce serait déjà un progrès.
Par rapport à bien des ratages récents dans les créations du Ballet de l'Opéra, je reconnaîtrai du moins volontiers à celui-là le mérite de laisser le spectateur profiter des danseurs de la troupe : j'ai déjà parlé de Dorothée Gilbert ; dans un genre beaucoup moins rayonnant mais plus intense, j'ai évidemment également goûté avec gourmandise la danse de Clairemarie Osta, qui est peut-être aujourd'hui, à quelques mois de la retraite, la plus passionnante des étoiles de l'Opéra; du côté de la relève, je noterai surtout l'inévitable Alice Renavand, brillante aussi bien chez Lifar que chez Ratmansky.

Troisième épisode : Salomé 
Lieu : Opéra Bastille
Héros : Angela Denoke quand même et la Fondation pour le Mécénat de l'Organisation Interprofessionnelle des Industriels du Parpaing, sponsor de la production d'André Engel et Nicky Rieti

Parpaing et béton armé sont nos amis pour la vie. Photo Musicasola, qui s'ennuyait au point de prendre quelques photos

Angela Denoke quand même : oui, vous n'ignorez sans doute plus mon admiration profonde pour cette chanteuse ; mais contrairement aux alagnesques déchaînés qui adorent jusqu'à ses couinements les plus rauques, je dois bien reconnaître que je l'ai souvent entendue plus à son avantage. De là à dire, comme je l'ai trop entendu ces jours-ci, que le rôle n'est pas pour elle... Ce n'est pas, chers amis, parce qu'elle n'est pas à son mieux à Paris qu'elle ne l'a pas été ailleurs, par exemple à Munich où je l'ai entendue deux fois dans ce même rôle, avec le soutien particulièrement attentif de Kent Nagano qui est un luxe sans pareille pour les chanteurs dans ce répertoire.
Le décor de Ratmansky pouvait, toutes proportions gardées, se comparer à celui de Mireille ; pour rester chez Frigerio, celui de Salomé aurait plus à voir avec celui de La donna del Lago : lourd, sinistre, inexpressif. La production, sans doute, date d'il y a très longtemps, de l'époque mal embouchée entre la direction de Pierre Bergé (viré pour raisons politiques lors de la victoire de la droite aux législatives de 1993, certes, mais viré quand même au soulagement général) et celle d'Hugues Gall : il n'est pas utile d'épiloguer sur ce décor qui participe du goût d'alors pour des décors solidement construits, ni sur la direction d'acteurs qui fait rire (le Prophète qui enlève le sable de ses grolles, Narraboth avec son couteau...). Non, je préfère m'attarder sur les deux problèmes cruciaux que pose cette reprise :
Quelques-unes des centaines de places vides hier soir
  • L’œuvre et son interprète : je comprends bien qu'on programme des œuvres quand on peut trouver des chanteurs à la hauteur - mais ce n'est pas une raison pour négliger le reste. Une chanteuse ne fait pas une production. Nicolas Joel semble procéder ainsi : il veut faire entendre la Charlotte (Werther) de Sophie Koch, alors que l’œuvre a déjà été donnée la saison précédente ? Peut importe le coût, il dépense des fortunes pour louer la production londonienne. Angela Denoke en Salomé ? La production la plus loqueteuse qui soit sera bien assez bonne. Et peu importe, aussi, que Jochanaan (Juha Uusitalo), beugle sans pitié pour les oreilles des spectateurs.
  • Une gestion financière sans queue ni tête : tout le monde savait que ce spectacle serait vide. Donner à nouveau une œuvre qui a déjà été donné il y a deux ans devant une salle déjà mal remplie, sans qu'il y ait non plus une nécessité artistique absolue, c'est irresponsable. Allez dire à tous ceux qui se plaignent de l'augmentation du prix des places que c'est pour financer ce spectacle que personne ne veut voir qu'ils sont invités à se délester de leurs espèces.

Quatrième épisode : Pierre Boulez
Lieu : Pleyel
Héros : à votre avis ?


Ça, c'est ce soir : Pierre Boulez dirige un de ses plus grands chefs-d’œuvre, Pli selon pli. Pas d'excuses, la présence est obligatoire.

2 commentaires:

  1. je tiens à confirmer l'excellente performance de l'ensemble Intercontemporain, et surtout de la soprane Barbara Hannigan ; j'ai eu l'occasion de voir 'Pli selon pli' à Munich, je ne connaissais pas la pièce et en suis sorti ébloui. D'ailleurs, un intéressant festival à suivre: Musica Sola, avec une programmation qui s'annonce passionnante.

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  2. je parlais de 'musica viva' évidemment, mais cette confusion est intéressante...

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