lundi 7 novembre 2011

Castellucci : les fachos ont gagné

La démocratie et la terreur ne font apparemment pas bon ménage : la réaction des pouvoirs publics aux troubles provoqués par quelques extrémistes autour du spectacle de Romeo Castellucci Sul concetto del viso di Dio est encore un encouragement donné aux terroristes, comme l'est depuis les attentats des années 90, puis le 11 septembre, le stupide plan Vigipirate. Mais parlons d'abord du spectacle.


Antonello da Messina, Salvator Mundi (Londres, National Gallery)

Christianophobie : le terme est imbécile en soi, par l'assimilation infâme qu'il fait entre les persécutions bien imaginaires dont seraient victimes les chrétiens dans ce pays et la réalité quotidienne d'actes d'antisémitisme et plus encore d'une discrimination constante contre tous ceux qui n'ont pas l'insigne privilège de descendre de nos ancêtres les Gaulois.

Le terme est imbécile en soi, mais son application au spectacle de Castellucci est renversante, vraiment. Il est bien regrettable de devoir parler de ce spectacle dans les conditions indignes réservées aux spectateurs-criminels, mais il est indispensable de dire que ce spectacle est d'abord un beau spectacle, émouvant, triste, digne. Tant pis pour les petits esprits qui n'aiment que strass et paillettes, qui refusent tout spectacle dont le but n'est pas, immédiatement, rubis sur l'ongle, de les divertir. Le spectacle parle d'un phénomène majeur de notre société, la déchéance physique de nos aînés qui entraîne avec elle déchéance morale, atroce sentiment d'inutilité, de n'être plus qu'un poids pour ceux-là même qui vous aiment. Et de l'atroce sentiment de ces derniers qui ne parviennent jamais à se sentir à la hauteur de l'amour qu'ils ont pour leurs aînés. Le sujet est dur, mais il est nécessaire, a fortiori dans notre pays qui tient absolument à prolonger au maximum les souffrances de ceux qui n'ont plus rien à attendre de la vie (merci, entre autres, à M. le Premier Ministre, dont l'argumentation ne va guère au-delà de la position de principe).

Le Christ dans tout ça ? Son image, plutôt : le beau Salvator Mundi d'Antonello da Messina, Christ humain, plus qu'humain, au regard indéfinissable : le regard plein de compassion, mais aussi mystérieux et distant du Christ nous regarde regardant l'irregardable. Le Fils de l'homme, dit-on : l'expression s'applique aussi bien à l'homme qui nous regarde qu'à celui, désemparé et affairé, que nous regardons. Il paraît que le spectacle présenté cet été à Avignon comportait une scène supplémentaire, des enfants bombardant (mais pas d'excréments !) le portrait du Christ : il faut vraiment être bien dépourvu de culture biblique pour ne pas y voir une allusion aux sévices subis par le Christ dans le palais de Pilate (surtout Jean, 19:2-4) comme à la parole du Christ en croix "Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font (Luc, 23:34) - culture biblique que l'athée que je suis aimerait parfois voir plus répandue chez ses frères chrétiens, cela dit en passant. Passons maintenant aux conditions dans lesquelles les spectateurs ont dû voir ce spectacle le week-end dernier au 104.
D'abord, le 104. Grand projet du directeur de la stratégie mode du groupe de luxe LVMH Christophe Girard, qui est à ses heures perdues adjoint à la culture de la mairie de Paris, ce Lunapark pour bobos installés dans un des derniers quartiers pauvres de Paris (rassurez-vous, on travaille à les virer, ces sales pauvres) est un échec financier et artistique sans appel, et c'est sans doute pour lui permettre de pomper un peu les subventions du Théâtre de la Ville qu'on a jugé bon cette année d'en déplacer quelques représentations à Boboland. Le sièges du Théâtre de la ville ne sont pas ce que j'ai connu de plus confortable dans un théâtre, mais je n'imaginais pas qu'on puisse créer des gradins aussi pourris que ceux subis au 104. Au moins, on sait que le trou du 104 n'a pas été creusé par les fesses des spectateurs. Ensuite, la "sécurité". Comme on dit plus ou moins dans un album du Génie des Alpages, à quoi bon le bonheur si vous avez la sécurité. Je ne fais que transmettre le lien vers le blog de deux journalistes du Monde spécialisés dans l'extrême-droite : la sécurité du 104 est assurée par une société dont le dirigeant est un militant violent d'extrême-droite, et ce bien sûr au titre de la Mairie de Paris. Garantie de professionnalisme, disent-ils ? Ah oui, bien sûr, le vigile qui fouille dans mon sac alors que c'est strictement interdit est un grand professionnel. Les connards employés par cette société qui causent tranquillement entre eux pendant le spectacle sont de grands professionnels. Combien d'argent public aura été dépensé pour cette mascarade ridicule ? Quels moyens de financement colossaux la Mairie de Paris a ainsi versé aux mouvements d'extrême-droite qui sont à l'origine des troubles ? Ce n'était pas deux ou trois vigiles qui étaient là, mais des dizaines pour une salle contenant à peine quelques centaines de places. Sans compter les dizaines de flics. On aurait voulu souligner l'importance qu'a pris ce mouvement criminel qu'on ne s'y serait pas pris autrement. En attendant, ce sont les spectateurs qui sont traités comme des criminels en puissance : on passe son temps à devoir montrer son billet, on subit une palpation (ne fréquentant ni l'opium du peuple que sont les manifestations sportives, ni les concerts de musique pour sourds, je n'avais jamais eu cette joie), on se fait presque engueuler pour avoir voulu sortir une minute de la salle d'attente bunkérisée qui est allouée aux spectateurs...
Notre société est comme ça : à la moindre petite menace, au moindre frémissement, tout est prêt pour sortir tout l'outillage de la répression pour votre bien, et bizarrement, en ces temps de disette financière, on trouve toujours de l'argent pour payer ces barbouzes malpolis, mal formés et inutiles (mais, juste retour des choses ?!!?, mal payés). Société de la peur qui justifie tout, société où la liberté est la dernière roue du carrosse...
Voilà le produit de 10 ans de Sarkozy : la peur instrumentalisée, les fachos encouragés, la répression comme seule arme.

Oui, quand on est flic et qu'on doit sauver le monde, le meilleur endroit pour stationner est un passage piéton à l'endroit précis où on peut bloquer la voie de vélo.
En bonus, je vous offre deux questions écrites au gouvernement déposées les 20 septembre et 11 octobre dernier par M. le député Christian Vanneste, membre du groupe UMP, qui s'était déjà plaint dans une autre question que la liberté d'expression dans notre pays "autorise la publication régulière des critiques les plus outrées à l'encontre, en particulier, de la personnalité du Président de la République" :

"M. Christian Vanneste attire l'attention de M. le ministre de la culture et de la communication sur les atteintes multipliées à la religion, faites au nom de la culture. La ville d'Avignon s'est illustrée dans ce domaine lors de deux évènements, précisément "Piss Christ" et le spectacle "Le vrai visage du fils de Dieu" de Roméo Castellucci. La dénomination d'oeuvre d'art tient-elle à la violence de l'outrage exprimé dans la réalisation artistique ou bien à la qualité de la technique ainsi qu'à la teneur du message ? Puisque ces oeuvres inspirent le dégoût pour le sujet représenté du fait des matériaux employés pour leur réalisation, et qui par ailleurs traduisent un mépris du spectateur, il demande quelles sont les mesures prises en compte par le Gouvernement pour que la liberté de religion soit respectée par les manifestations dites culturelles."


"M. Christian Vanneste attire l'attention de M. le ministre de la culture et de la communication sur le financement de manifestations soit disant culturelles et qui s'avèrent être anti-chrétiennes. Après l'exposition du « Piss Christ » à Avignon, dans le cadre d'une exposition de la collection Lambert, deux autres spectacles anti-chrétiens sont programmés à Paris à l'occasion du festival d'automne de Paris et dans plusieurs villes de France. Si le caractère tout à fait scandaleux et complètement blasphématoire de ce type de manifestations a déjà pu être évoqué dans une question précédente, il aimerait avoir plus d'informations concernant l'origine de leur financement. D'abord, la collection Lambert bénéficie depuis de nombreuses années d'un fonctionnement à 100 % public, soit plus d'un million d'euros par an. Ensuite, au regard des informations inscrites sur le site internet des deux spectacles en question, on retrouve de nombreux « partenaires institutionnels » parmi lesquels le ministère des affaires étrangères, le ministère de la culture et de la communication, l'Institut national de l'audiovisuel, le conseil régional d'Île-de-France, la mairie de Paris ou encore la Commission européenne... Il est en effet surprenant de constater que les deniers publics servent à financer des manifestations dites culturelles portant atteinte à la liberté religieuse de chacun. Il souhaiterait avoir son avis sur le financement public de ce type de spectacles."

... "dites culturelles", c'est le mot... Le ministre n'a pour le moment pas répondu, hélas.

2 commentaires:

  1. Pascal Gottesmann7/11/11 22:51

    Nous voila revenu en pleine affaire du Tartuffe et rien n'a changé en trois siècles. Dieu, s'il existe, doit rire jaune en les voyant, ridicules humains, monter sur leur grand chevaux en défendant ce qu'il est censé être et penser. Dieu, comme Yahvé ou Allah d'ailleurs n'est qu'un paravent pour sacraliser toute les peurs et tous les préjugés de ces gens. Comme le dit l'acteur Jacques Boudet dans Marius et Jeanette de Guedidjan "Ces gens parlent de Dieu comme s'ils déjeunaient avec lui toutes les semaines"
    Si les hommes de valeur, comme j'espère qu'il en existe encore, ne se mobilisent pas pour défendre la liberté d'expression ces gens auront gagné et ce sera bientôt toute la communauté chrétienne, dont je fais partie, qui sera assimilée à cette extrême droite puante et de plus en plus dangereuse. Cette "race des chauvins, des porteurs de cocarde, des imbéciles heureux qui sont nés quelque part" si bien décrite par Brassens. Si monseigneur Vingt Trois se prononçait sur ce sujet et condamnait vigoureusement ces gens, ce qu'en son temps aurait surement fait monseigneur Lustiger, ces individus se trouveront irrémédiablement marginalisés.
    Alors, hommes de bonne volonté mobilisez vous, gueulez un bon coup et faites les taire une bonne fois pour toute.
    Merci pour votre article, Rameau. Salut et à bas les c..s

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  2. Un forum http://www.actu-politique.info/viewtopic.php?f=29&t=5035 qui présente une masse d'article de presse et un petit débat sur le sujet...

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