mercredi 7 décembre 2011

Mozart massacré à la Scala triomphe au pays des Maultaschen

Dans le but de rehausser le niveau intellectuel et la conscience professionnelle du journalisme culturel français, je vais vous parler d'une représentation d'opéra dont j'ai écouté environ 45 minutes à la radio, qui plus est en me déplaçant, d'abord en train, puis à pied. Quand on voit ce qu'écrit Marie-Aude Roux sur le soi-disant journal de référence français, on a de toute façon oublié d'avoir honte. Et puis ces 45 minutes de radio n'étaient pas n'importe quelles 45 minutes : c'était une partie du Don Giovanni donné en ouverture de la saison de la Scala, avec Daniel Barenboim et un troupeau de stars, devant un troupeau de rich and beautiful people (too rich, mais pas assez beautiful, même la radio suffit à s'en rendre compte).

Ces 45 minutes furent intenses, je vous assure. Je suis donc tombé sur l'air du catalogue de Leporello, sans savoir qui chantait. J'ai donc entendu une chèvre bêlante faire assaut de vulgarité, le tout avec un orchestre crépusculaire qui tuait tout le drame, pontifiant, d'une sotte prétention. La chèvre bêlante, c'était donc - merci aux technologies modernes - Bryn Terfel. L'orchestre, c'était Barenboim et l'Orchestre de la Scala. Mais ce n'était pas fini. D'abord parce que le récitatif révèle une horreur supplémentaire : un de ces invraisemblables clavecins ferraillants qu'on a construit au début du XXe siècle avec l'idée de faire le plus de bruit possible. Ensuite parce que, même ces quelques phrases suffisent à me rappeler pourquoi je n'ai jamais aimé Barbara Frittoli, qui cela dit, tout compte fait, ne fait du moins pas baisser le niveau ici.
Passons sur une Anna Prohaska pas à l'aise (Barenboim en veut particulièrement à ses scènes, parce qu'elles ne vont pas très bien avec le corbillard désuet qu'il dirige), sur un Masetto aboyeur ; passons aussi, mais pour d'autres raisons, sur un Peter Mattei valeureux, mais un peu noyé par le contexte ambiant ; et venons-en au couple aristocratique. Enfin, aristocratique...
Moi, je veux bien : j'aime passionnément les mises en scène à l'opéra, ça veut donc dire, mécaniquement, que je n'aime pas la musique et que je n'y comprends rien. Soit. Mais enfin, tout de même : qui osera affirmer devant moi qu'Anna Netrebko, dans son récitatif accompagné, chante la musique de Mozart telle qu'elle est écrite ? Les notes ont une hauteur, soit, mais dans ma grande naïveté j'ai toujours cru que leur durée était également écrite sur la partition, et même qu'il y avait parfois des indications de dynamique, dans les partitions. Mme Netrebko s'en fiche, elle chante comme bon lui semble, avec des outrances excessives de dame patronnesse qui se lance dans le théâtre amateur : son chant viole Mozart et marque, avec toutes mes excuses pour les oreilles sensibles, la profonde stupidité de l'interprète. Mais après tout, puisqu'on s'extasie sur les vieux restes d'un Domingo qui chante comme une casserole, pourquoi pas ?
Après cela, que Giuseppe Filianoti s'égosille plutôt plus que la moyenne des Ottavio n'est qu'un détail... Ce qui m'agace le plus durablement, dans cette débâcle - que vous pouvez réécouter sur le site de France Musique, si vous avez ce courage -, c'est tout de même la direction de Barenboim, chef qu'on sait profondément inégal (je l'ai plus souvent entendu mauvais que bon), souvent par manque de travail, mais ici véritablement par ses choix interprétatifs, qui me font penser à ceux de Riccardo Muti dans son funeste Demofoonte de Jommelli vu à Paris. Le mot "stupide" ici aura encore une fois du mal à ne pas s'échapper de mon clavier. Honte à la Scala pour cette indignité.

Du théâtre, du vrai. Et de la musique !

Le choc est violent, et ce d'autant plus que j'ai eu l'immense plaisir de revoir il y a quelques jours les merveilleuses Noces de Figaro du jeune Jan Philipp Gloger au Théâtre d'Augsbourg, dont je vous avais déjà parlé il y a un an. Vous savez, Gloger, c'est le petit nouveau qui va affronter l'été prochain le festival de Bayreuth  pour Le Vaisseau Fantôme. Eh bien, mon plaisir pour ces Noces n'a pas été moindre que l'an dernier - bizarrement, la mise en scène qui m'avait beaucoup fait rire l'an passé m'a cette année paru beaucoup plus mélancolique. Et - plaisir supplémentaire - j'ai eu le plaisir énorme d'une interprétation mozartienne presque sans faille. Je vais nommer, pour le plaisir, et même si vous ne les connaissez pas, les cinq principaux chanteurs, parce que je souhaite vraiment rendre hommage à ces no-name de l'opéra qui sont mes vrais héros : Giulio Alvise Caselli (Le Comte) ; Victoria Granlund (La Comtesse, invitée à Augsbourg) ; Cathrin Lange (Susanna) ; Dong-Hwan Lee (Figaro) ; Stephanie Hampl (Chérubin), avec une excellente direction, vive et spirituelle, de Samuele Sgambaro.
Je sais qu'aucun de mes lecteurs n'ira à ce spectacle (et j'en suis bien désolé), parce que nous sommes tous trop orientés vers les grandes maisons, et que nous avons tous trop de choses à faire. Mais le spectacle se donne encore le 22 décembre à Augsbourg (5 h de train de Paris), avant d'être invité au Théâtre de Heilbronn pour 5 dates entre le 30 mars et le 2 juin. Si quelqu'un d'entre vous avait le courage de me faire confiance et d'aller à l'une de ces représentations, j'en serais ravi et je suis sûr qu'il me remercierait. Osez sortir des sentiers battus, surtout quand le prix d'une place en première catégorie à Heilbronn vaut 28 € : vous aurez la place, le train et l'hôtel pour à peine plus cher qu'une place de première catégorie à Paris, pour une qualité incomparablement supérieure. Je crois que je vais saisir l'aubaine, ce sera déjà ça.

Le spectacle sur le site du Théâtre d'Augsbourg (avec galerie de photos)
Le spectacle sur le site du Théâtre de Heilbronn

9 commentaires:

  1. Pascal Gottesmann8/12/11 11:52

    Pas du tout d'accord avec vous au sujet du Don Giovanni de la Scala. La soirée que j'ai passé hier sur arté était sensationnelle. Passons sur Filianotti probe mais loin des canons des meilleurs ténors mozartiens. Mais pour les autres, quel régal absolu. Oui Nétrebko a une voix lourde et peux mozartienne mais le timbre est définitivement l'un des plus somptueux que l'on puisse entendre et l'artiste a eu un triomphe des plus mérités. Le duo maître valet fonctionnait parfaitement et il fallait voir Mattei et Terfel ( tous deux vocalement excellent d'ailleurs) évoluer l'un classieux et arrogant, l'autre gauche et dévoué. Je ne sais où vous avez entendu une chèvre mais pour moi l'air du catalogue était un régal d'autorité vocale et de drôlerie jamais déplacé. Le reste du cast était également très bon : Fritolli composant une donna Elvira passionnée les touchante et les paysans formant un couple des plus charmants et Youn étant un commandeur terrifiant comme on les aime. Il faut ajouter à cela la brillante direction d'acteur que l'on doit à Robert Carsen.
    En bref, des stars oui mais surtout des chanteurs de premier ordre au sommet de leur art qui offrent au public une bien belle soirée d'opéra. Cela a du vous choquer mais j'ai été heureux d'entendre de "grosses" voix comme Netrebko ou Terfel servir Mozart alors que celui ci est trop souvent dévolu aux plus petits gabarits.

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  2. Ce n'est pas une question de gabarit, c'est une question de style et de respect de la partition (et d'usure dans le cas de Terfel). Si on a le droit de ne pas tenir compte du rythme écrit sur la partition parce qu'on est capable de beugler façon Netrebko, où va-t-on ?
    Et c'est quand même aussi une question de style, et pour employer un mot désuet, de goût, dans le sens que le XVIIIe siècle donnait à ce mot. Cette Anna de grand-guignol n'a rien à voir avec Mozart. Quant à son timbre... mais c'est la 8e roue du carrosse, le timbre ! Quand on en fait ce qu'elle en fait, ça n'a plus aucune importance !
    Pour la mise en scène, je ne l'ai pas vue (radio!) et ne la verrai pas parce qu'il est hors de question que je subisse en intégralité ce concert outrancier et vulgaire.

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  3. Je suis assez de votre avis mais je m'étonne qu'un "passionné de scène"n'ait pas cherché à regarder le spectacle sur Arte;j'admets aussi que 45'en disent long à un mélomane averti mais vous ne pouvez exclure d'avance les 5',qui ,selon Truffaut,sauvent meme un film médiocre...

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  4. C'est vrai, j'aurais pu, mais j'ai deux bonnes raisons: d'abord, je n'ai (momentanément?) pas de télévision; ensuite, maintenant que j'ai eu le son, je n'aurai plus le courage de supporter cela, même pour l'image, pendant trois heures! En outre, j'estime beaucoup Robert Carsen, mais j'ai vu tellement de mises en scène de lui que je peux attendre ses spectacles moins naufragés musicalement !

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  5. Tes raisons ne sont pas recevables car la vidéo de ce Don Giovanni est en accès libre sur le site de Arte jusqu'à mercredi.
    Et en plus tu peux directement aller à la plage qui t'intéresse.

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  6. Bon, alors deux autres bonnes raisons:
    -Je n'ai pas le temps : je préfèrerai toujours voir un spectacle en vrai qu'une vidéo (les DVD en attente chez moi en témoignent...).
    -Encore une fois, pas question de réaffronter les approximations de Mlle Netrebko et la nullité de Terfel ! C'est trop pour moi...

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  7. Bonjour
    je vous trouve un peu sévère sur cette production, alors que je partage souvent vos colères ou vos réserves. Non que nous ayons là un Don Giovanni exceptionnel, mais l'ensemble m'est apparu plus digne de la grande série que du massacre. Bryn Terfel a un style, qu'on peut discuter, mais efficace en Leporello, la Netrebko aussi, sans être exactement en phase avec son statut de star, tout comme la Frittoli. Barenboim fait du Barenboim, un jour bien un jour mal, mais de lui on ne peut attendre du René Jacobs. Au total, des moments ennuyeux, certes, une mise en scène de Carsen c'est à dire du supermarché de luxe. Dire qu'il y a eu massacre, je ne crois pas, tout juste déception. Il y a eu pire je crois dans le genre.
    Guy (Blog Wanderer)

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  8. Juste une remarque. Votre vision d'un Mozart délicat comme un sonnet de Villon ou comme une demoiselle éduquée à Notre Dame des Oiseaux n'est-elle pas le fruit d'un XIXème siècle bien pensant. Si je ne m'abuse, Mozart était plus démoniaque et passionné que la vision que l'on en a souvent. Qu'une artiste aille explorer cette piste n'est pas mal en soi, même si Voltaire n'est pas Rabelais. Sur le fond je vous suis, mais vous me semblez avoir une position très puriste alors que le domaine de l'art devrait être celui de la rupture des frontières; Mais alors, comme vous, je serai féroce si la tentative est ratée.

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  9. Euh... c'est plus compliqué que ça. En ce qui concerne par exemple le cas Netrebko, ce n'est pas un problème de délicatesse, de volume, etc. : elle pourrait à la fois respecter la partition ET avoir le volume qui est le sien, ça ne me gênerait pas. Et Barenboim pourrait diriger crépusculairement sans pour autant tuer autant toute tension. Je n'ai pas une vision nécessairement si délicate de Mozart que ça, même si évidemment j'imagine difficilement un Mozart véritablement convaincant aujourd'hui de la part de quelqu'un qui refuserait radicalement d'écouter (pas d'imiter, simplement d'écouter) ce qu'ont pu dire les baroqueux...

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