mardi 21 février 2012

Baroque à tous les étages

Il n'est pas vraiment encore tout à fait entièrement là dehors à votre fenêtre, mais il approche : le printemps, Mesdames et Messieurs. Le printemps, mais pas n'importe quel printemps : un printemps baroque, Mesdames et Messieurs. À Paris et ailleurs, le baroque sera LA grande tendance de la saison en France, Paris, Province, Nord et Sud, Est et Ouest.
Oui, quand on n'a pas grand-chose à se mettre sous la dent, on compense et on regarde vers l'AVENIR (forcément radieux, surtout après le 6 mai).

Costume de Bellone pour une reprise des Indes Galantes

Le tour d'horizon commence forcément à Bordeaux, où l'Opéra programme Alcina, dans une nouvelle production de David Alden. Alden est sans doute un des metteurs en scène les plus assidus chez Haendel, ce dont témoignent d'ailleurs pas moins de 3 DVD (Ariodante et Rinaldo chez Arthaus, et surtout une inoubliable Rodelinda chez Farao), sans compter son travail chez d'autres compositeurs baroques (Cavalli, Monteverdi). J'espère bien qu'il y aura quelques huées le soir de la première, ça fait partie du folklore, mais on est en droit d'attendre de la rencontre entre Alden et la magicienne de l'Arioste des perspectives passionnantes sur cet opéra qui est sans doute l'un des plus passionnants, du point de vue théâtral, de toute la production de Haendel. Alden a parfois donné dans le parodique, notamment pour Rinaldo, un opéra qui n'est il est vrai pas très facile à prendre au sérieux ; mais il l'a toujours fait avec intelligence, et il sera certainement assez avisé pour ne pas tomber dans un tel piège pour Alcina, où les scènes comiques se suffisent à elles-mêmes. Sa capacité à faire naître l'émotion sans tomber dans la parodie facile, il l'a aussi largement démontré, dans une esthétique où le kitsch est une marque de fabrique, mais où, un peu comme chez Christoph Marthaler, la laideur du décor à première vue est l'écrin des personnages. Sans doute les décors des spectacles des frères Alden ne sont pas du génie pur comme ceux d'Anna Viebrock, mais ils ont cette même qualité d'être de véritables lieux où les personnages vont vivre, et comment : Alden est un analyste brillantissime, qui n'abandonnera pas son personnage sans lui avoir retourné les tripes (pardon pour l'image).
Musicalement, il y a tout de même quelques points d'interrogation, à commencer par la fosse : faire jouer Haendel à un orchestre moderne, celui de l'Opéra de Bordeaux, c'est toujours un pari, et Harry Bicket, qui connaît bien ce répertoire mais manque parfois un peu de nerf, aura j'imagine un peu de travail. Côté distribution, je dois confesser mon ignorance : à part Sonia Prina, je ne connais pas grand-chose, sinon Isabel Leonard, déjà évoquée sur ce blog (pour une excellente Dorabella et pour un Sesto pas-si-mal-vu-les-circonstances).

Tout près de là (quand on regarde le Sud-Ouest depuis le Nord-Est, on a une autre vision des distances) et au même moment, on fêtera à Toulouse le grand retour des Indes Galantes de Rameau pour une nouvelle production qui ira ensuite à Bordeaux et à Nuremberg. Les Indes, c'est toujours un peu compliqué pour moi : quand j'ai appris à connaître cette oeuvre, l'absence d'unité dramatique et l'arbitraire complet d'un livret assez difficilement pardonnable ont mis du temps à devenir supportables à mes yeux ; mais à force de voir et revoir l'opéra à Paris (dans la pauvre production d'Andrei Serban, disponible en DVD), la musique a fini par l'emporter : tout ceci n'a pas beaucoup de sens, c'est certain, mais c'est une fête, après tout, et que demande-t-on à une fête, sinon de vous emporter ? J'ai passé ces dernières semaines à écouter et réécouter la musique de Rameau, et la tête me tourne toujours autant à l'écoute de certains passages, la chaconne finale ou l'étonnant quatuor Tendre amour, dont l'orchestration est un enchantement.
Côté interprétation, la fosse sera occupée par des spécialistes de la chose ramiste avec Christophe Rousset : quelques-unes de ses prestations opératiques, il y a quelques années (dont un navrant diptyque Haendel au Théâtre des Champs-Elysées), m'avaient pour le moins interloqué ; j'espère et crois sincèrement qu'en revenant dans ses terres françaises Rousset pourra retrouver un peu de l'allant qu'il a perdu. Côté distribution, il y a une faute de goût assez incompréhensible (Nathan Berg, dont la voix pâteuse ne nuit pas seulement à ce répertoire), mais le reste offre un panorama assez excitant de la génération actuelle des chanteurs baroqueux.

Mais revenons à Paris : non certes, Paris n'est pas sur le point de redevenir une capitale d'un mouvement baroque désormais trop discret, mais tout de même, réjouissons-nous de ce qu'on nous propose. La Didone de Cavalli n'est certes pas une nouveauté (la production a été créée à l'automne à Caen, où elle a d'ailleurs été filmée et diffusée sur Internet), mais sa présentation au Théâtre des Champs-Elysées permet d'espérer effacer le souvenir calamiteux des deux premiers épisodes d'une Cavalli-Renaissance embryonnaire (Calisto défigurée par Macha Makaieff, tandis que Londres avait la chance d'hériter d'une production de David Alden provenant de Munich ; et bien sûr le récent Egisto). Je ne m'aventurerais pas à commenter l'oeuvre elle-même, que je ne connais que par l'enregistrement pas très réjouissant de Fabio Biondi, mais ma confiance presque aveugle en Cavalli me pousse à ne pas manquer cette troisième tentative parisienne.
Je n'attends pas grand-chose de la production, signée par un acteur de la Comédie-Française, Clément Hervieu-Léger, qui ne m'a jamais vraiment convaincu et me semble représenter assez la mollesse actuelle de la maison de Molière ; néanmoins, je suis certain que son travail ne peut être aussi médiocre que ceux de Makaieff ou Lazar : c'est beau, une telle confiance. William Christie, que je n'ai pas vu depuis une éternité, devrait tout de même assurer un accompagnement orchestral de qualité, et la distribution donne au moins envie d'en connaître un peu plus sur tous ces jeunes gens, dont certains qu'on avait pu voir lors des concerts du Jardin des voix où il leur manquait encore beaucoup de maturité.

Le baroque à Paris, décidément, est très provincial : l'Opéra de Paris importe lui aussi, cette fois de Toulouse, sa participation printanière, avec un Hippolyte et Aricie (Rameau) mis en scène par le critique Ivan Alexandre et accueilli par une critique dithyrambique lors de sa première présentation. J'avoue accueillir cette unanimité avec quelque perplexité : sans doute cela est très beau et très élégant, mais ce que j'en lis ne me donne pas l'impression que nous allons vivre un grand moment de théâtre. Nous verrons.
Pour la musique, mon espoir est que l'incompétence marquée de Mme Emmanuelle Haïm, patente lors de son lamentable Haendel à l'Opéra de Paris sera moins nuisible dans la musique française. Dans la distribution, j'avoue avoir des attentes nettement plus élevées chez les hommes que chez les dames : le timbre d'Anne-Catherine Gillet ne m'agrée pas ; elle devra me prouver ses compétences en matière baroque, mais également faire preuve d'un engagement dramatique dont son personnage (Aricie) a particulièrement besoin. Sarah Connoly, elle, a un timbre mieux séant, mais un tempérament dramatique également modeste. Chez les hommes, Topi Lehtipuu, même décevant dans la récente Flûte du Théâtre des Champs-Elysées, est un interprète intelligent et compétent ; quant à Stéphane Degout, c'est bien simple : avec le talent et la voix qu'il a, on ne se satisfera que d'une prestation exceptionnelle - si Mme Haïm ne vient pas tout gâcher.
La critique de Mehdi Mahdavi pour Altamusica, qui ne parvient pas pleinement à me rassurer pour la mise en scène, donne de l'interprétation musicale une vision heureusement et malheureusement proche de mes attentes...

J'ai repéré deux autres productions baroques en France, qui n'auront cependant sans doute pas l'honneur de ma visite : à Dijon et à Lille, c'est l'inévitable Emmanuelle Haïm qui dirige Le couronnement de Poppée, dans une mise en scène de Jean-François Sivadier. J'ai déjà vu Mlle Haïm diriger cette oeuvre : c'était au Conservatoire de Paris en 2001, à l'époque où elle faisait ses débuts de chef qui allaient la transformer, de continuiste géniale, en moulin à vent déboussolé. A l'époque, ce n'était pas si mal, ne serait-ce, sans doute, qu'en raison du rôle déterminant du continuo dans cette oeuvre, mais de là à faire le voyage... Comment diable une maison comme l'Opéra de Lille peut-elle s'associer ainsi avec une pareille imposture ?
Plus intéressant, Strasbourg (et Mulhouse, par voie de conséquence) propose Farnace de Vivaldi : l’œuvre est magnifique (très bel enregistrement de Jordi Savall), dramatiquement plus intéressante que le tout-venant de la production vivaldienne, qui souffre souvent de livrets plats. La chorégraphe Lucinda Childs, invitée quasi-permanente du Ballet du Rhin, semble avoir l'intention de mettre de la danse là-dessus, ce qui ne me paraît pas absolument évident (pourvu que cela ne serve pas à "meubler" les airs à da capo, comme trop souvent !), mais après tout... La distribution compte notamment Vivica Genaux, qui n'est pas la pire interprète de ce répertoire, et le chef George Petrou, qui dirigera Concerto Köln, est certainement un des plus stimulants jeunes chefs baroqueux.

Laissez tomber les perruques et les redingotes, le baroque, ça déménage !

1 commentaire:

  1. Ces trucs de Vivaldi sont trop longs pour moi. Quant au Hyppolite, après toutes ces horreurs que j'ai pu voir à l'ONP comme nouvelles productions, j'ai maintenant "trop peur" d'y aller.

    En revanche merci de nous signaler Alcina à Bordeaux. Difficile à battre la formidable production de Jan Glogger à Dresde mais Dave peut être très-très bien aussi. J'y serai alors ;)

    RépondreSupprimer

Une petite râlerie ? Une pensée en l'air ? Une déclaration solennelle à faire ? C'est ici !

NB : Les commentaires sont désormais modérés en raison de problèmes de spam. Je m'engage à publier tous les messages qui ne relèvent pas du spam, même à contenu désagréable

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...