Quoi ! vous avez le front de trouver cela beau ? (photo P. Grosbois) |
Ce spectacle est l’apogée d’une guerre à l’intelligence. Je ne vais pas entrer dans les détails, j’ai déjà assez dit (à propos de Cadmus et Hermione, par exemple) tout le mal que je pensais de cette authenticité en toc, de ce XVIIe siècle de Lagarde et Michard.
J’aime passionnément Cavalli, comme Monteverdi, pas moins. Sans doute L’Egisto ne semble pas, même sans l’aide de Benjamin Lazar, posséder des qualités dramatiques aussi grandes que Le couronnement de Poppée, La Calisto, Xerse et d’autres, produits par des librettistes dont le sens dramatique et le talent sont à peu près sans égale dans l’histoire de l’opéra : cette gentille histoire de couples déchirés et recousus est en quelque sorte moins baroque que ces autres titres, si par baroque on entend une diversité de points de vue non réconciliables. Que pouvait-on en faire ? Je n'en sais rien, mais je répondrai tout de même : quelque chose plutôt que rien, "rien" décrivant bien le parti-pris de Benjamin Lazar.
Je n'aime pas dire que le metteur en scène aurait dû faire ceci ou cela, parce que j'aime des choses trop différentes pour pouvoir choisir et parce que, si j'avais l'imagination et la créativité scénique de Krzysztof Warlikowski, des frères Alden ou de Christoph Marthaler, ça se saurait. Simplement, il faut bien partir de quelque chose et en faire quelque chose, d'une manière ou d'une autre. Par exemple, il y a des personnages dans Egisto, on pourrait songer à en faire quelque chose. Il y a au coeur de l'histoire deux braves gens qui ont préféré oublier ensemble pendant que leurs ex-conjoints ont été capturés et sont esclaves : il y a là, je crois, comme l'esquisse du début d'une émotion possible.
Les jolis gestes qui font l'essence du "travail" de Benjamin Lazar ne veulent rien dire, n'évoquent rien, ne commencent nulle part pour aboutir au néant, et c'est la clef de son succès. L'image d'un monde bien propre sur lui, patiné, où l'argent se voit immédiatement, des costumes comme dans les tableaux : c'est tout, et apparemment ça suffit. C'est joli comme un tableau de peintre du dimanche, plein de jolies fleurs et de chatons tout mignons.
L'extrême-droite culturelle, c'est ça : le refus du sens, la primauté au décoratif sur la compréhension, le refus de la complexité ; cette idée certes largement présente que l'art est tout juste bon à servir de repos du guerrier, et qui va souvent avec une sorte d'exaltation mystique de l'art pour l'art. Pas étonnant que ce courant majeur, bien que largement minoritaire dans le monde de l'art, ait trouvé son port d'attache à l'Opéra-Comique, dont la programmation affiche clairement les couleurs du nationalisme. D'ailleurs, merci à Cavalli de ne pas être français : ça nous épargne les affres d'une prononciation restituée que les chanteurs sont systématiquement incapables de faire vivre.
Et d'ailleurs, le spectacle, et c'est presque le pire, est plutôt réussi musicalement : les quelques passages comiques tombent certes implacablement à plat faute d'investissement, mais les voix, toutes un peu semblables, sont agréables, de même que l'orchestre, qui souffre d'une certaine monotonie (l'enthousiasme pour les cordes pincées de Vincent Dumestre est louable, mais parfois un peu agaçant dans un continuo qui devient presque un accompagnement de rock).
Pour finir sur une note comique, signalons que Marie-Aude Roux, dans Le Monde, assassine à juste titre ce spectacle après avoir encensé l'Egisto de Marazzoli et Mazzochi, réalisé par un sous-produit de Lazar à l'Athénée : ben oui, la communication du second était réalisée par Opus 64, maison qui emploie Mme Roux, alors que l'Opéra-Comique se passe de ses services. C'est comme ça, mes bons amis, une bonne critique, c'est comme le reste : ça se paie !
*Les directeurs de l'Opéra-Comique se plaignent tous de subventions trop basses pour réaliser leurs projets. L'Opéra-Comique touche un peu plus de 10 millions d'euros de subvention ; avec ces 10 millions, il a réalisé en 2010 42 représentations lyriques et 45 concerts divers pour un total de 62 600 spectateurs, soit une subvention par place de 160 euros environ, et un prix moyen de la place supérieur à 60 € pour les spectacles lyriques, malgré la configuration catastrophique du théâtre, dont les places sans visibilité tirent vers le bas le prix moyen).
Et bien oui, moi j'ai l'affront de trouver ça beau, et même splendide. Je vois dans cette photo une recherche admirable dans les décors, les costumes et surtout les éclairages. Alors, ne vous en déplaise, ce n'est pas joli comme l'oeuvre d'un peintre du Dimanche, c'est beau comme un tableau de maître.
RépondreSupprimerEh, mais ce n'est pas vraiment la première fois que nos goûts diffèrent diamétralement...
RépondreSupprimerCe qui me fait penser que j'ai oublié de mentionner LE Cavalli en DVD qui est absolument indispensable si on veut comprendre toute la richesse ici sous-exploitée de cette musique et de cette dramaturgie : la sublime Calisto mise en scène en 1993 à La Monnaie par Herbert Wernicke, dirigée de façon beaucoup plus vivante par René Jacobs...
article presque drôle : vos expressions, votre ton comminatoire, vos regret d'un continuo "rock", votre attaque contre l'Opéra-Comique et ses subventions, l'expression de "sous-produit" pour désigner le travail de l'Athénée, tout cela sent pour moi l"extrême-droite" à plein nez... A croire, voyez-vous, qu'on est toujours le poujadiste de quelqu'un...
RépondreSupprimerMais bien sûr, je comprends ça parfaitement. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, sauf les méchants qui font rien qu'à provoquer le pauvre monde, là tous ces étrangers, Warlikowski, Simons, Marthaler et les autres avec leurs mises en scène prise de tête.
RépondreSupprimerBen oui, désolé, si vous voulez du béni-oui-oui, je crois qu'il va falloir aller voir ailleurs. Il y a une politesse du conformisme que je ne peux supporter, et comme j'ai un mauvais caractère certifié, forcément, ça se voit. Cela dit, je suis assez heureux que toute la presse officielle qui a soutenu de façon éhontée l'OC ces derniers temps a largement critiqué ce monument d'ennui.
Quant au mot "poujadiste", je vous conseille d'en vérifier le sens.
Si je suis un peu caricatural (je suspecte une forme de poujadisme dans votre rejet des "notables" ou des "intellectuels" médiatisés de la restitution baroque - je connais le terme, merci), peut-être est-ce parce qu'évoquer l'extrême-droite à propos du travail de B. Lazar ou de J. Deschamps est gravement déplacé... Je n'avais pas apprécié Cadmus, mais j'ai trouvé Egisto (comme le Landi) assez enchanteur malgré quelques déficiences vocales... D'autre part, la redécouverte du répertoire français n'est pas un nationalisme réactionnaire (même et surtout à l'opéra-comique) : heureusement qu'il y eut, il y a quelques temps, des découvreurs qui vous permettent d'écouter et de voir aujourd'hui les oeuvres de celui à qui vous empruntez votre nom. Enfin, vous n'avez pas le privilège d'admirer le travail des "étrangers", dont les mises en scène novatrices sont essentielles. Mais voyez-vous, Les deux approches ne sont pas incompatibles. Incroyable : on peut aimer Egisto et le Roi Roger! C'est votre vision caricaturale et manichéenne qui me semble la plus menacée de conformisme. En même temps, ça m'énerve que vous me mettiez en boule et me forciez à prendre moi-même un ton qui me déplaît, comme si j'avais des leçons à donner... voilà voilà : je vous laisse les leçons, je retourne à des occupations plus modestes, et bonne soirée...
RépondreSupprimerIl y a une chose qui m'amuse depuis longtemps mon cher Rameau. C'est que vous qui appelez haut et fort (et à raison) à une redécouverte d'oeuvres oubliées vous hurlez au poujadisme quand on remontre des oeuvres que vous ne voulez pas voir au répertoire. Tout ça pour dire que la programmation de Rameau ou d'Ambroise Thomas résulte d'une meme prise de risque dans la programmation et d'un meme esprit d'ouverture du répertoire en faisant découvrir des oeuvres inconnues au public. Voila qui va certainement vous faire hurler mais c'est mon avis Deschamps programme à l'opéra comique une très grande quantité d'oeuvres peu ou pas jouées et vous devriez soutenir cette initiative
RépondreSupprimer@B.P. Excusez-moi, mais me suspecter d'anti-intellectualisme, on ne me l'avait jamais fait... d'habitude, c'est plutôt d'avoir un coeur sec et de n'aimer que les prises de tête... Non, sérieusement, c'est la démarche de Lazar qui est profondément anti-intellectualiste, et c'est ce que j'essayais de développer dans mon message.
RépondreSupprimerPour la redécouverte du répertoire ancien : c'est un peu un amalgame que vous faites, là ; j'estime extrêmement, bien entendu, ceux qui ont participé à la redécouverte du répertoire baroque, bien entendu, que ce soit Harnoncourt, Leonhardt (même s'il n'est pas parfaitement chanté [hum...], il est bien regrettable que son enregistrement de Zaïs soit indisponible depuis des années !), Jacobs (qui pour Cavalli a quand même effectué un travail considérable sur lequel se greffe sans complexe celui de Dumestre, avec moins de talent), Minkowski, Rousset, voire plus modestement Bolton et bien d'autres. Ces gens-là n'ont pas que je sache eu la bêtise de choisir les oeuvres en fonction de leur nationalité, mais simplement de leur qualité musicale - et d'ailleurs il serait temps de signaler en France que si Rameau, Lully ou Campra sont des génies, Keiser et Telemann aussi...
Quand à votre argument "on peut aimer X ET Y", je l'ai entendu mille fois, et je n'en suis pas plus convaincu pour autant. Voyez-vous, j'ai la faiblesse de penser que chacun est responsable de ses goûts... Mais c'est un vaste débat !
@Pascal : Bien sûr, bien sûr, je suis d'accord avec vous : élargir le répertoire même par des oeuvres qui ne me plaisent pas, c'est une bonne chose en soi. Mais chacun est responsable de ses choix (bis) et on ne peut pas ignorer la cohérence des choix programmatiques de Deschamps. Et on ne peut pas ignorer que ces "résurrections" sont éphémères du fait du nombre absurdement réduit de représentations et sont aussi souvent (malgré l'argent !) incroyablement mal montées (cf. cette Etoile d'ouverture, tellement ennuyeuse que je n'en sais pas plus sur l'oeuvre depuis !); c'est un peu désolant, mais les deux spectacles qui m'ont le plus plu à l'OC version Deschamps, c'est... Pelléas et Didon et Enée, justement des oeuvres du répertoire, parce que montées par des gens compétents et intelligents !
Pour vous titiller un peu, mon cher Rameau. Sachez les opéras de Monteverdi remontés au début des années 80 par Harnoncourt que vous avez cité étaient mis en scène par...Jean Pierre Ponnelle que vous vouez régulièrement aux gémonies.
RépondreSupprimerC'est vrai; j'avoue ne jamais avoir réussi à les regarder (et pour le coup, pour Monteverdi, Harnoncourt n'est pas ma référence !). Cela dit, le problème de la résurrection de Ponnelle, ce n'est pas tant la valeur intrinsèque de la production (je ne juge pas ce qu'elle pouvait valoir en 1968, pour La Cenerentola), mais cette mythification d'une production en quelque sorte décongelée, au détriment du travail théâtral vivant !
RépondreSupprimerJe pense que c'etait surtout Benjamin Lazar qui avait perdu avec cet anti-spectacle sans interet.
RépondreSupprimerSi les progressistes ont deja pu voir son travail par le passe et s'appercevoir qu'il s'agissait d'un porte-drapeau de la nouvelle generation de la ringardise francaise, "les vieux" l'avaient adopte et ont admire sa facon "a l'ancienne" de monter des spectacles, avec cette esthetique "passe-partout" qui fatigue au bout de 20 minutes et ne communique essentiellement rien. En lui ils ont vu une continuation de la tradition de ce gout particulier (niais?).
J'ai un peu lu la reaction de la presse et j'ai vu que meme ceux qui l'avaient adore par le passe etaient tres agaces par les bombes d'ennuie infini. C'est pour ca que je dis que c'est Lazar sortira perdant de ce spectacle.
Je n'etais pas decu. Quelque part je voulais etre positivement surpris, mais a la fin j'ai eu exactement ce a quoi je m'attendais. La lecon c'est qu'il faut tout simplement eviter toutes ces creations parisiennes qui sont pretentieuses, anti-artistiques et le fruit d'une politique d'exclusion menee par des gens incompetents, et souvent betes. Malheur c'est qu'ils occupent desormais tous les postes importants et ont transforme Paris en "Les Choregies d'Orange".