vendredi 23 mars 2012

Menu de chef - la Cité de la Musique ou le Pantagruel gourmet

Menu de vrai gourmet à la Cité de la Musique, donc. Des dizaines de concerts alléchants qui vont du baroque au contemporain, avec même un opéra scénique, et tout ça dans une atmosphère concentrée, sans sacs Vuitton mais avec concentration et enthousiasme. Meilleure salle de concert de Paris, ça va sans dire. (Pas si) petit parcours.





Tout d'abord pardon à mes fidèles abonnés dont je floode la boîte aux lettres sans vergogne ces jours-ci, après une longue période de disette (oui, car si vous ne le savez pas, mes fidèles lecteurs s'abonnent en utilisant la petite case en haut à droite de cette page, pour ne rien manquer à mes élucubrations).

Kurtág/Bach

Je vous refais mon numéro ? Non, vous l’avez déjà lu avant-hier. Indispensable, comme vous l’avez compris.

Clavecin

Ce n’est pas un cycle, simplement deux concerts perdus au milieu de la programmation, à ne surtout pas manquer (les places partent vite !). La star, ici, ce ne sont pas les instrumentistes, c’est l’instrument : les deux concerts ont en commun de recourir au Hemsch, autrement dit le clavecin construit en 1761 par le facteur parisien Jean-Henri Hemsch, à cette époque où le clavecin, avant de mourir, montre ses muscles : une grosse cylindrée qui impressionne autant qu’elle séduit. Pour conduire le bolide, on fera confiance d’abord à Benjamin Alard dans un programme 100 % Bach (le 6 décembre), puis à Blandine Rannou, qui pour tout vous avouer ne fait pas vraiment partie de mon panthéon personnel, qui jouera les Variations Goldberg l’après-midi du 6 avril, en préambule au marathon Bach de John Eliot Gardiner.

Après ces obsessions personnelles, venons-en aux cycles de la saison – étant bien entendu que je m’abstiens de commenter ce qui n’est pas dans le champ de la musique classique (où je saute quelques éléments secondaires) et que chacun peut donc se faire une idée soi-même du reste.

Hommages (17-29 octobre)

L’hommage, attitude fondamentale dans la création musicale où se succèdent les échos et les réinventions : le propos est admirablement servi par le premier concert du cycle où Peter Eötvöt rend hommage à Pierre Boulez qui rend hommage à Stravinsky qui rend hommage à Debussy, le tout avec l’Ensemble Intercontemporain et Alejo Perez. On y rend hommage aussi à un mécène, Paul Sacher, avec la reprise par Alexis Descharmes d’une commande de Rostropovitch à 12 compositeurs : l’intérêt est aussi d’y lire un instantané de la musique contemporaine version 1976 ; certains sont totalement oubliés comme Conrad Beck, d’autres sont toujours là aujourd’hui (Dutilleux, Boulez, Henze, Holliger – joli palmarès), tandis que Britten est sur le point de mourir. J’aime aussi l’idée de ce concert en miroir où Andreas Staier et Alexander Melnikov se renvoie préludes et fugues, le premier sur clavecin, l’autre au piano, le premier de Bach, le second de Chostakovitch.

Intégrale Schumann (2-4 novembre)

Pourquoi pas, après tout ? Rien de bien original : les symphonies et concertos de Schumann en un week-end, ce n’est pas non plus la mer à boire. Je suis assez réservé sur les interprètes de ce cycle : le Chamber Orchestra of Europe est un bon ensemble, fonctionnel à défaut d’être par lui-même très excitant (j’ai un souvenir historique de Claudio Abbado le dirigeant en cette même cité en 1999, à l’époque où il se remettait tout doucement de sa maladie, avec la Symphonie D. 944 de Schubert…). Le problème, c’est Yannick Nézet-Séguin, qui ne m’a jamais pleinement convaincu : un Don Giovanni misérable à Salzbourg, une Deuxième de Mahler bruyante et peu inspirée au TCE, et une Rusalka qui tenait la route à Londres, voilà de quoi susciter quelques doutes. C’est un peu le problème de la scène parisienne : une fois que quelqu’un y fait son trou, il y est en quelque sorte de droit, inamovible, consacré.
Domaine privé Marc Minkowski (8-13 novembre)
Complété par deux concerts à Pleyel dont j’ai déjà parlé, ce domaine privé met à l’honneur un chef qui, je trouve, n’est toujours pas assez mis en valeur dans son propre pays. Devenu avec Ivor Bolton indispensable à Salzbourg, Minkowski reste en France cantonné au baroque et à Offenbach, il est donc bien temps qu’on s’intéresse d’un peu plus près à son parcours. On pourra ainsi le voir comme bassoniste, comme chef baroque, comme chef du grand répertoire à la fois sur instruments anciens et sur instruments modernes (avec le Sinfonia Varsovia, dont il est directeur musical).

Futurismes (17-24 novembre)

Le passé du futur : voilà sans doute le cycle thématique le plus passionnant de la saison, avec une profusion d’œuvres provenant de tous les recoins modernistes du XXe siècle, aussi bien Varèse et Antheil que Ligeti ou Holliger en passant par les œuvres sonores de Kurt Schwitters. Le programme des solistes de l’Inter (le 21 novembre) est renversant, pour n’en citer qu’un.

B.A.C.H. (4-11 décembre)

Deuxième grand épisode Bach de la saison, cette fois avec une plus large perspective sur toutes les résonnances de la musique de Bach depuis près de 3 siècles. Il y a – côté authentique – le concert de Benjamin Alard dont j’ai déjà parlé ; il y a plusieurs concerts soulignant l’importance essentielle de Bach à l’époque romantique – au-delà des clichés qui voudraient envoyer Bach du côté de la raison et les romantiques du côté des sentiments – ; et il y a un beau concert de l’Inter renforcé par les jeunes du Conservatoire (qualité garantie !) qui est avant tout une excellente occasion de réentendre l’une de mes œuvres préférées de Boulez, l’étincelant Sur Incises, à ne pas manquer si vous souhaitez remettre une claque bien méritée aux médiocrités du jour façon Mantovani ou Dusapin (le ton de ce message risquant d’être trop uniformément positif, il faut bien que j’ajoute un peu d’acide).

Cage revisited (14-17 décembre)

Oui, pourquoi pas. Cage, c’est bien quand il y a les pièces de Merce Cunningham pour s’occuper ; moins quand une masse d’autres chorégraphes retentent le coup, et encore moins quand il est tout nu, sans la danse pour la faire vivre. Alors, oui, il y a le quatuor Arditti, c’est toujours bien. Bref, je serai ailleurs ces soirs-là.


Contes et fééries (14-20 janvier)

J’avoue, vraiment, que le sens de ce cycle, sa cohérence, ne me paraît pas totalement limpide : j’y vois plutôt un laborieux assemblages de choses d’intérêt variable qui montre les limites de la programmation par cycles à laquelle la Cité tient tant. Toute sorte d’œuvres plus ou moins narratives se font donc face, de Ma mère l’Oye de Ravel à un ballet de cour, de Shéhérazade de Rimsky-Korsakov aux comptines de Martinů et Janáček. Le paradis et la Péri de Schumann est une œuvre dont on peut volontiers se passer…

Revus et corrigés (26 janvier-3 février)

Là encore, cohérence moyenne pour un cycle qui n’en est pas moins plus intéressant. Les Arts florissants reviennent au répertoire encore trop rare de l’air de cour (l’occasion de découvrir Michel Lambert, si ce n’est déjà fait), en tout petit effectif donc ; à un autre bout de la chronologie, George Benjamin vient assurer avec l’Inter une création et une de ses œuvres, encadrées par la rarissime Messe de Stravinsky (austère, bizarre, mais à découvrir) et par Cummings ist der Dichter de Boulez, qu’il avait d’ailleurs dirigé in loco il n’y a pas si longtemps. La plus grande bizarrerie de ce cycle est sans doute l’idée d’y insérer la résidence bisannuelle du Festival de Jérusalem dirigé par Elena Bashkirova (cette fois sans son excellent fils violoniste Michael Barenboim) : je ne peux que recommander, sur la base de la résidence précédente, ce rendez-vous de musique de chambre dans la plus belle salle parisienne.

En boucle (6-16 février)


Ah, le voilà. Ouf : Pierre Boulez est bien là dans cette prochaine saison, et on espère qu’il pourra assumer ce concert, contrairement à celui d'hier soir : plusieurs générations de compositeurs français qui valent bien tous les discours officiels de ces dernières années sur l'identité nationale et les soutiens au marché de l'art. Le spectre chronologique démarre parune exploration des ostinati de l'époque baroque, folias hispano-américaines et chaconnes européennes, se poursuit avec un intéressant concert de l'ensemble à géométrie variable Les Dissonances - du quatuor au grand orchestre - dont le ciment est la variation, avant de parvenir au répertoire contemporain avec le concert de Boulez, mais aussi avec Reigen de Philippe Boesmans, un des "tubes" de l'opéra contemporain, par l'un des compositeurs majeurs en ce domaine : ce sont les jeunes du conservatoire qui s'y collent, avec un bon spécialiste à la baguette, et même une mise en scène. Indispensable, donc, en ces temps de Nicolas Joel.

Berliner Philharmoniker (1er-2 mars)

Ce n'est plus une résidence, c'est un débarquement : en plus des deux concerts d'orchestre et de la série Brahms/musique de chambre à Pleyel, les Berlinois s'installent aussi à la Cité, avec un programme Bach version baroqueuse et un programme unissant Brahms (encore) la musique française.

L'opéra version contemporain (19 mars)

L'opéra de Boesmans ne suffit pas, voilà que la Cité invite hors cycle un spectacle que Paris aurait sans doute gagné à accueillir en version scénique, l'adaptation par Luca Francesconi de la pièce cruelle que Heiner Müller avait tiré des Liaisons dangereuses, Quartett. Je n'ai pas écouté cet opéra créé à la Scala de Milan (merci Stéphane Lissner), mais c'est intriguant.

Gardiner/Marathon Bach (6-7 avril)

Je n'ai rien en particulier contre l'élégant John Eliot, mais il faut bien avouer que ses concerts Bach achoppent sur un problème essentiel qu'est la médiocrité des solistes. En les prenant dans son chœur, il s'imagine sans doute se rapprocher des pratiques de l'époque de Bach, qui disposait des chanteurs locaux de niveau très variable ; mais quand on a entendu tellement mieux, c'est un peu difficile, je trouve. Reste les concerts solistes de la violoniste Midori Seiler et de Blandine Rannou, ou le concert purement orchestral du samedi après-midi...

Schoenberg/Stravinski (6-13 avril)

Bonne idée de confronter ces deux figures centrales de notre conception de la modernité, si différentes, si hostiles parfois. Stravinski a toujours été fêté ; Schoenberg, après avoir longtemps fait fuir les publics, cesse enfin de faire peur : la dominance, ici, est fortement orchestrale, mais aussi chorale avec des œuvres qui, comme la Messe déjà citée, méritent vraiment d'être tirées de l'oubli que leur avait valu leur austérité. Le cycle est un exemple idéal du travail en profondeur mené par la Cité depuis toujours (se souvient-on que cette salle n'a que 17 ans ?) pour élargir le répertoire en direction d’œuvres exigeantes, qu'il faut donner à entendre pour qu'elles puissent enfin séduire...

Kaija Saariaho

Ce cycle, c'est un peu une évidence - Saariaho est une compositrice majeure, très influencée par la musique française, et finalement souvent jouée à Paris. Mais c'est en même temps une sorte de surprise : Saariaho fait tellement partie du paysage qu'on n'avait, je crois, jamais songé à Paris à lui consacrer un cycle un tant soit peu consistant de concerts. Je ne connais pas la plupart des œuvres présentées, mais j'espère bien en profiter pour compléter mes lacunes. Saariaho, c'est délicat, irisé, impalpable : ce n'est pas une musique des abîmes, mais c'est infiniment séduisant.

La musique pendant l'Occupation (12-18 mai)

Voilà encore un cycle utile, parce que critique, qui ne se contente pas d'aligner de la jolie musique avec de bons interprètes mais s'intéresse aussi à sa fonction sociale, quitte à aller fouiller dans des arrière-boutiques peu délicates. Hymne au Maréchal et Ode à la France blessée, donc, mais aussi Quatuor pour la fin du temps, ou encore chansons d'époque : the show must go on.

Emprunts et citations (15-23 mai)

3 concerts seulement, avec un programme assez attendu (la Sinfonia de Berio, ce chef-d’œuvre irrésistible, était en effet obligatoire), et la présence pour Les illuminations  de Britten de la délicieuse Juliane Banse. On retrouve une fois encore Les Dissonances, dans un programme qui peine à m'enthousiasmer.

Biennale d'art vocal

Entre les années à biennale quatuor, voilà la biennale voix, qui ne s'intéresse pas tant à la voix lyrique qu'au choeur, mais aussi pour la première fois au Lied. Je ne suis pas un grand amateur de chœur, mais la place de Monteverdi et de Mendelssohn dans la programmation est intéressante (par Hervé Niquet et Jean Tubéry). Si le concert salzbourgeois de cet été m'enchante, j'aurai une nouvelle chance d'entendre le cycle de Heinz Holliger sur des poèmes de Hölderlin ; côté Lied, on pourra enchaîner Nathalie Stutzmann (dans un programme qui ne m'enchante pas) et le grand Christoph Prégardien chez Schubert. Sans compter un concert de quatuor vocal emmené par Ruth Ziesak et consacré lui aussi à Schubert : un répertoire qu'on croit connaître mais qu'on n'entend encore et toujours pas assez, a fortiori en France !
Et voilà, j'en ai fini... Merci de votre patience...

2 commentaires:

  1. Pour le clavecin, je vais plutôt pencher vers Blandine Rannou (entendue une seule fois il y a six ans, bon souvenir) que vers Benjamin Alard (dont je garde un mauvais souvenir d'un concert plus récent).
    À propos des concerts du COE, le plus gros point faible est peut-être plutôt dans le choix de certains des solistes. (Je m'abstiendrai pour le concerto pour violoncelle de Schumann !)

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  2. La programmation consiste à jouer toujours plus ou moins les mêmes choses en les glissant dans des cycles aux noms aguicheurs pour donner l'impression de nouveauté et de "réflexion".

    Une saison de l'EIC, affligeante de conservatisme, et qui semble considérer Boulez mourant (vite, jouons toutes ses oeuvres tant qu'il peut être encore dans la salle), Boulez qui nous sort un programme ridicule qui nous montre que oui il est déjà d'un autre temps (si c'est ça la musique française, eh bien vivement qu'elle disparaisse !), un cycle futurisme qui arrive à faire jouer du Levinas et du Yann Robin mais pas à placer les futuristes russes, encore du Cage après déjà des concerts cette saison alors que c'est un compositeur totalement dépassé et inutile, un cycle Schönberg/Stravinky qui nous refourgue la même chose que tous les ans sous couvert d'une fausse exigence qui s'arrête au concept et ne titille guère la pensée musicale, un cycle "Emprunt et citation" dont on peine à comprendre pourquoi il est nommé ainsi à part pour nous refaire cette oeuvre ridicule qu'est la Sinfonia de Berio...

    On peut toujours cracher sur l'Opéra de Paris, mais c'est au fond la même chose, pour un autre public : du conservatisme pour les bobos. On trouvera toujours plus de choses intéressantes, mais qu'on nous fasse pas le coup de la réflexion et de la cohérence, c'est de la pensée de musée appliquée à un art vivant, une saison qui aurait été du sens en 1985 peut être, et encore.

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