lundi 13 août 2012

Salzbourg 2012 (2) - La Flûte enchantée, Harnoncourt et les autres


Si Ariane à Naxos aura été une cruelle déception, La flûte enchantée du Festival de Salzbourg aura été, dans l’ensemble, plutôt une bonne surprise – je n’en attendais, je l’avoue, pas grand-chose – j’avais, d’ailleurs tout comme pour Ariane, eu la prudence de me munir d’une place debout.



Alexander Pereira a manœuvré habilement en choisissant de confier la mise en scène du spectacle à Jens Daniel Herzog, qui comme la plupart des artistes qu’il engage a déjà travaillé pour lui à Zurich. Herzog n’est pas de ces metteurs en scène qui n’ont d’autre salut que dans le passé, et sans nul doute il fait le travail nécessaire d’analyse de l’œuvre qui lui est confié. J’avais déjà vu de lui, à Zurich, une mise en scène moyennement inspirée du chef d’œuvre Königskinder de Humperdinck (j’en avais parlé ici), et surtout une très sympathique et vivante réalisation de la Turandot de Schiller (car oui, entre Gozzi et Puccini, il y a Schiller). Herzog, c’était donc le moyen efficace de ne pas trop effrayer les traditionnalistes tout en s’assurant la magnanimité des amateurs d’un théâtre musical plus vivant, et ce sans voler la vedette aux raisons d’être de ce spectacle.
Ces raisons d’être, il y en avait deux : l’une est un monument vivant, l’autre est un monument tout court. Commençons par le monument de pierre : depuis longtemps, des spectateurs se plaignent que les spectacles organisés à la Felsenreitschule, autrement dit au Manège équestre dans la roche, prennent un malin plaisir à masquer les trois séries d’arcades de roche qui constituent le fond de scène et qui étaient destinées à accueillir les spectateurs des démonstrations équestres qui y étaient organisées. C’est d’ailleurs incontestable : aussi bien Katie Mitchell (Al gran sole carico d’amore de Nono) que Vera Nemirova (Lulu) n’avaient rien voulu faire de l’esprit du lieu, et pour un profit théâtral d’ailleurs très mince. Avec Herzog, hourra, on voit les arcades, et même quelques effets pyrotechniques y sont produits. De là à dire qu’il s’empare véritablement du lieu… En utilisant un décor peu haut, il se contente en fait pour l’essentiel de ne pas masquer les arcades : c’est sans doute suffisant pour beaucoup, mais pas pour tout le monde puisque, à ce que j’ai compris, la mise en scène n’a pas été très bien accueillie. Pour ma part, convaincu dès les premières notes de l’ouverture de laisser mon oreille s’emparer de toute mon attention, j’ai suivi avec quelque distraction ce qui se passait devant mes yeux ; l’idée de faire de Sarastro et de son monde une sorte de société scientifique n’est pas mauvaise, elle n’est cependant pas exploitée bien profondément, et on se contente pour l’essentiel de suivre tranquillement les évolutions des blocs de décor qui ménagent des espaces scéniques variés et assez efficaces. Bon, vous avez compris, même si je m’astreins à faire semblant d’avoir un avis : le spectacle n’est pas désagréable, mais mon indifférence bienveillante devra tenir lieu ici d’argumentation.
Le second monument, vivant celui-là, c’est bien sûr Nikolaus Harnoncourt, l’ex-proscrit devenu Messie en son pays. C’est très autrichien : l’Orchestre Philharmonique de Vienne a lutté tant qu’il a pu contre son influence ; maintenant, non seulement il en est un des chefs les plus fréquents, mais on peut même l’inviter à Salzbourg avec tous les honneurs, et même avec son Concentus Musicus, sur ces instruments anciens qui ne sont pourtant qu’une vile production malsonnante de l’esprit moderne.
Pour une perversion malsonnante, il faut bien reconnaître que ces gens-là sonnaient terriblement bien, même dans l’acoustique un peu étrange, mais cette fois pas désagréable, de la Felsenreitschule. Ils sonnaient même tellement bien que j’en ai été enivré pratiquement dès la première seconde. Il y avait bien de quoi réfuter tous les procès en bizarrerie, en brutalité qu’on a pu mener, pas toujours à tort, contre Harnoncourt : la douceur du grand âge peut-être, mais une douceur qui ne se perdait jamais en mollesse. Qu’il y avait plus de science mozartienne, en cette fluidité naturelle, que dans les « traits de génie » d’un René Jacobs dans cette même œuvre !
C’est mon péché mignon, je le confie volontiers : quand l’orchestre va, tout va. Pour un peu, je ne vous aurais même pas parlé de la distribution, parce que, eût-elle été moins bonne – dans les limites du raisonnable ! – elle n’aurait pas franchement gâché mon plaisir. Mais comme elle était pour le moins agréable, ce ne serait tout de même pas très poli : la jolie Pamina de Julia Kleiter n’est pas une surprise (même si elle ne me fait pas oublier la sublime Sandrine Piau cette saison au Théâtre des Champs-Élysées) ; le bon Tamino de Bernard Richter est plutôt une confirmation ; et si les trois enfants ont fait frémir à plusieurs reprises les oreilles éprises de justesse, on a trouvé avec Mandy Fredrich une Reine de la Nuit qui devrait rendre longtemps de bons et loyaux services ; certes, son premier air était le 4 août beaucoup trop pâle, mais j’ai rarement entendu le second air chanté avec une telle efficacité et avec un tel esprit mozartien jusque dans la pyrotechnie. Une distribution équilibrée certes entièrement mise au service du maître Harnoncourt : mais encore une fois, qu’importe ?

4 commentaires:

  1. "Al gran sole carico d’amore" de Nono…

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  2. "le spectacle n’est pas désagréable, mais mon indifférence bienveillante devra tenir lieu ici d’argumentation"... avez-vous vraiment conscience de ce que vous écrivez ?

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  3. Quelle ringardise généralisée cette production... À vous observer applaudir hier soir devant Les Soldats, j'imagine avec quelle béatitude vous avez accueilli cette partition amputée de son électronique et des intentions (très explicites) de B.A.Zimmermann

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  4. @Rafsan : toutes mes excuses, ça fait partie de mes coquilles préférées...
    @Anonyme 1 : oui, merci, je comprends encore le français, même quand c'est moi qui écris... Si vous voulez, j'explicite : cette production, je m'en fiche, elle ne m'a pas dérangé, je ne vais pas perdre mon temps avec ça...
    @Anonyme 2 : Ringardise généralisée... tout dépend d'où on se place. Comparez avec ce qu'on voit à Paris, côté ONP ou côté Opéra-Comique (ou côté Châtelet, à sa façon) : la production de Herzog en devient presque un chef-d'oeuvre. Presque, j'ai dit !
    En ce qui concerne Les soldats, je vous ai en quelque sorte répondu sur le fond hier soir ; sur la forme, je ne sais pas si vous vous rendez compte de l'extrême impolitesse de votre seconde phrase et de votre attitude...

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