mercredi 29 août 2012

Salzbourg 2012 (4) - Les concerts, vue d'ensemble

Ceux qui me lisent régulièrement le savent bien : pour moi, Salzbourg, ce n'est pas que l'opéra, c'est aussi, et avant tout, les concerts. J'ai vu pour cette année une bonne vingtaine de concerts, certains très prestigieux, d'autres pas du tout, certains très pleins, d'autres beaucoup moins ; je ne vais pas, évidemment, écrire trois pages sur chacun d'eux, mais je vais vous en parler en deux parties : la première plus institutionnelle, concernant la programmation et la manière dont j'ai pu en vivre la réalisation (message très critique, comme vous verrez), la seconde plus personnelle, où j'ai pris le parti héroïque de ne parler que des moments exceptionnels que m'a offert cette année, malgré sa direction, le festival.

Ce n'est sans doute pas très glamour, mais je prends donc les concerts du festival série par série. Notez que beaucoup de concerts font partie de deux séries à la fois, ce qui n'est pas toujours très pratique...

Ouverture spirituelle

Conçue comme une ouverture méditative au festival qui commence donc cette année dès le 20 juillet, cette série est pour moi une des pommes de discorde principale, tant son but me semble être de mettre en évidence une Autriche essentiellement chrétienne, dans lesquelles les autres religions, y compris le judaïsme, n'ont droit qu'à des strapontins, parfaite illustration de cette Autriche "nationale-catholique" que n'a cessé de dénoncer Thomas Bernhard. Cela dit, je n'ai vu aucun concert de cette série en raison de sa précocité, alors même qu'au moins l'un d'entre eux suscite mes regrets éternels : la grande messe D. 950 de Schubert par Claudio Abbado.

Wiener Philharmoniker

Passage obligé de la programmation salzbourgeoise, la série des Wiener est réduite cette année, avec seulement 4 programmes réunissant tout l'orchestre, et un programme réservé aux vents et intégré dans la programmation autour de Heinz Holliger. Je n'ai pu voir le concert de Gergiev (mais ce n'est pas bien grave) ni celui de Bernard Haitink (c'est plus regrettable). Celui de Muti, comme les années précédentes, se distingue par un programme d'une grande originalité, mais cette fois je n'ai pas du tout été convaincu : les deux poèmes symphoniques de Liszt en première partie n'avaient pas la subtilité de la magnifique Faust-Symphonie présentée par Muti en 2009 ; et la Messe solennelle de Berlioz n'est qu'un tintamarre vulgaire et sans intérêt : il faut parfois faire confiance aux compositeurs qui décident de détruire leurs œuvres !
Heureusement, Mariss Jansons vint : si la première partie du programme ne m'intéressait pas beaucoup (même si Nina Stemme est un luxe bienvenu pour les Wesendonck-Lieder), la seconde a été à la hauteur des attentes. La première symphonie de Brahms n'est certes pas une œuvre rare (et Jansons la dirigera au printemps avec les Berlinois), elle n'en est pas moins précieuse quand elle est portée par une telle humanité, par une telle chaleur, par une telle richesse sonore. Pour une fois, rien à redire sur cet orchestre que je n'aime pas beaucoup d'habitude : c'est l'effet Jansons...

Orchestres invités

Comme souvent, je n'ai rien vu : l'essentiel de la série s'est passé soit avant, soit après mes semaines salzbourgeoises...

Salzburg Contemporary

Principe : regrouper tout ce qui a moins de quelques décennies pour que le public conservateur ne risque pas de se retrouver confronté à ce genre de choses tout à fait effrayantes. Les Continents des années précédentes étaient des portes ouvertes, Salzburg Contemporary est un ghetto, dont la fermeture est d'autant moins nécessaire que rien de tout cela n'est de nature à provoquer un choc particulièrement violent. Deux axes principaux se distinguaient dans cette programmation.

Bernd Alois Zimmermann

C'est normal : quand il y a un opéra "récent" à l'affiche du festival, on profite de la série contemporaine pour éclairer l'ensemble de sa création. L'ensemble, ici, possède un intérêt assez limité, et je ne suis pas sûr d'avoir une meilleure vision de sa production ni de pouvoir véritablement mieux situer ce compositeur emblématique de l'après-guerre allemande dans son temps. J'ai pris plaisir à découvrir ses sonates pour violon, pour alto et pour violoncelle par Thomas Zehetmair et al, beaucoup moins à un très superficiel concert consacré à des musiques pour le cinéma et la scène, et j'ai honteusement séché le concert où figurait sa massive Ekklesiastische Aktion. Bref, malgré l'admiration que je peux avoir pour Les Soldats ou pour Photoptosis (bizarrement absent de cette programmation), je dois avouer que je me retrouve encore et toujours face à un trou noir...

Heinz Holliger

Un compositeur vivant, tout de même. Âgé, certes, mais bien vivant - et admirateur de Zimmermann, d'ailleurs. C'est un grand plaisir, sinon une sinécure, de découvrir son grand cycle choral et orchestral Scardanelli, du nom que se donnait le poète Friedrich Hölderlin dans ses dernières années : marqués par un état psychologique incertain, ses poèmes assez cryptiques ne sont pas de ceux qui se laissent aisément appréhender, a fortiori pendant un pareil concert, mais les interludes orchestraux et la beauté du chœur permettent du moins une première approche d'une œuvre qui mérite certainement qu'on s'y intéresse de plus près (le concert est redonné à Paris, à la Cité de la Musique, avec l'Ensemble intercontemporain le 30 mai prochain).
Il est regrettable que la création de son très beau double concerto Janus ait été placé dans le cadre d'une Mozart-Matinee : le cadre très traditionnel de ces concerts du reste délicieux a obligé à écouter l'oeuvre dans une mauvaise ambiance, une bonne partie du public marquant une résistance silencieuse mais résolue au travail de Holliger. Heureusement, l'un des concerts de la série s'est révélé une pleine réussite, celui consacré à la musique de chambre : Heinz Holliger y jouait, avec le quatuor Zehetmair, les quatuors avec hautbois de Mozart et Carter, deux chefs-d’œuvre merveilleusement rendus, et y ajoutait en guise de bis une œuvre toute fraîche arrivée par fax il y a quelques mois, Figment 6 du toujours très actif Eliott Carter... Quand s'ajoutent à cela le 2e quatuor de Holliger et le premier de Schumann, on obtient une soirée de musique de chambre exactement comme on les aime, diverse, nouant des liens entre œuvres de périodes et de nature différente. Voilà un programme admirablement composé : dommage qu'il n'y en ait pas eu plus...

Camerata Salzburg

Salzbourg possède deux orchestres de plein exercice, tous deux fondés d'ailleurs par Bernhard Paumgartner. Cette année, la Camerata avait choisi de proposer deux programmes fleuves en hommage à l'un de ses anciens directeurs musicaux, le violoniste Sandor Végh, qui aimait ce genre de programmation où œuvres instrumentales, vocales et orchestrales se succédaient. Bach/Mozart, Schubert/Bartók, avec des fils conducteurs pour Mozart - l'héritage de Bach - et pour Schubert - Rosamunde, de l'impromptu à la musique de scène - et un plateau de solistes exceptionnel, d'Anna Prohaska à Andras Schiff. Je ne vais pas vous détailler par le menu ces quelque 8 heures de musique : il y a eu des hauts et des bas, certes, mais le bilan est tranché : ces soirées sont parmi les plus belles non seulement du Festival, mais de toute ma saison musicale. D'abord parce que la Camerata est vraiment un très bon orchestre dans ces répertoires, mais aussi parce qu'il y avait là comme un esprit commun, un plaisir partagé de la musique entre ceux qui la font et ceux qui la reçoivent. J'en détaillerai quelques grands moments dans le prochain message.

Liederabende

La série est hautement traditionnelle, elle est tout autant traditionnellement dévoyée avec des récitals vocaux qui n'ont guère de rapport avec le Lied (cette année les récitals de l'estimable Juan Diego Florez et de l'antédiluvien Carreras, fumisterie de première ampleur, avec des places jusqu'à 200 €). Pour ce qui concerne le Lied, l'affiche est intéressante, et les deux récitals que j'ai vus ont tenu leurs promesses : Christian Gerhaher et son parfait pianiste Gerold Huber, c'est évidemment le sommet de ce qui se fait aujourd'hui, et Michael Volle, à défaut de Thomas Quasthoff désormais simple récitant, n'est pas un mauvais interprète pour Die schöne Magelone de Brahms.

Solistes

La série, consacrée comme chaque année essentiellement au piano, est particulièrement peu inspirée cette année, même si je regrette de ne pas avoir vu le récital ambitieux d'Andras Schiff (Goldberg et Diabelli, tout de même). J'ai donc vu deux vétérans du piano, tous deux nés en 1942, aux prises avec le grand répertoire romantique. Dialogue de mes voisines italiennes, groupies de Maurizio Pollini depuis au moins... heu... cinquante ans : "À ce qu'on m'a dit, il a pas mal vieilli, quand même." -Mais tu sais, on a vieilli aussi, nous"... Que dire ? Sublime récital Beethoven (op. 109-111), d'une clarté classique sans afféteries, avec des dérapages réduits au minimum, et une hauteur de vue sur cette musique d'un autre monde...
Autre son de cloche chez Barenboim, qui consacrait trois récitals aux dernières oeuvres de Schubert. Je n'en ai vu que deux, mais ça m'a amplement suffi : personne ne remet en doute le talent de Barenboim, mais ce talent, il ne le montre pas assez souvent, et visiblement le contexte salzbourgeois ne le convainc pas de travailler un minimum ses partitions. Le premier concert est proprement consternant (ou scandaleux), le second plus honorablement mauvais, peut-être le troisième que je n'ai pas vu a-t-il fini par être bon...

Mozart-Matineen

Les Mozart-Matineen du week-end sont un passage obligé à Salzbourg, et je n'imaginerais pas en rater une si je suis là. Mais la série de cette année est particulièrement mal programmée, à cause de Pereira qui a eu l'idée détestable de vouloir en insérer certaines dans d'autres séries. C'est ainsi que Heinz Holliger y a dirigé la création de son beau double concerto Janus devant un public franchement hostile, tandis que le reste du programme, mozartien, se limitait à des oeuvres très connues (la Petite musique de nuit !), alors que la série est là pour faire découvrir des oeuvres moins connues du répertoire viennois. Au moins Holliger est-il un chef mozartien qui a des idées et une vision personnelle de l'oeuvre : le concert d'Adam Fischer, importation zurichoise, se limite à une lecture au premier degré de partitions qu'on connaît déjà par coeur, comme si on avait - enfin ? - mis au point un robot-chef (et son soliste est détestable).
Heureusement, la 3e fut la bonne, avec le directeur musical de l'Orchestre du Mozarteum, Ivor Bolton. Bolton est plus ou moins inspiré selon les concerts, mais il était cette fois irréprochable, pour accompagner un Renaud Capuçon qui m'a étonné avec un concerto tout en finesse et - tautologie - très mozartien, et aussi pour livrer une 103e symphonie de Haydn brillante et profonde.
Reste un problème pas si négligeable qu'il n'y paraît : Adam Fischer, 63 ans ; Heinz Holliger, 73 ans ; Ivor Bolton, 54 ans ; et pour les autres concerts Michael Gielen, 85 ans ; Marc Minkowski, 50 ans ; seul Daniel Harding, à 37 ans, fait un peu descendre la moyenne d'âge. Je ne veux pas faire du jeunisme, et mon estime pour presque tous ces chefs est très élevée, mais tout de même : la série, ces dernières années, a donné ses chances à de jeunes chefs comme Robin Ticciati ou Jérémie Rhorer, ou à des chefs au parcours plus diversifié, comme Andrea Marcon (un concert sublime, je n'ai pas peur du mot), Alexander Lonquich ou Giovanni Antonini.

Par-delà la frontière

Le titre, déjà : on ne fait pas mieux dans le convenu politiquement correct. Mais cette série consacrée à la musique tchèque est bien pire encore : là encore, on pense à Thomas Bernhard devant cette résurgence de l'Autriche impériale et royale : ces peuples inférieurs étaient tellement plus heureux quand il y avait nos bons empereurs - car la musique tchèque, visiblement, se limite à peu près au règne de François-Joseph.
En outre, la série est très mal programmée. Les deux concerts autour de Joshua Bell et Steven Isserlis en sont un bon exemple : Bell est un violoniste sérieux, mais Isserlis détruit tout ce qu'il touche, à commencer par le magnifique Conte de Janacek - je ne savais pas qu'un pizzicato était censé faire "ptoing". En outre, l'intérêt des oeuvres est, pour le dire poliment, assez variable : la 2e sonate pour violoncelle et piano de Martinu est tout de même une sorte de sommet de vacuité, et on tombe des nues en voyant qu'on osait encore composer ce genre de soupe en 1941. Quant au trio Wanderer, il semble s'employer à confirmer mon préjugé (évidemment faux) selon lequel les Français feraient mieux de s'abstenir de toucher à la musique de chambre - et comment a-t-on pu les autoriser à jouer dans un festival international les Moments musicaux de Bruno Mantovani, ce sommet d'académisme tiède ?

Musique de chambre

La série de musique de chambre est depuis à peu près la nuit des temps la Cendrillon des séries de concerts du Festival : pas de prestige, pas de stars, pas d'argent, et moins de public qu'ailleurs. Je lui dois cependant un concert absolument magnifique, celui du trio brillant formé par Frank Peter Zimmermann, Antoine Tamestit (un Français qui a bien raison de jouer de la musique de chambre...) et Christian Poltera, avec les oeuvres de Schubert (D. 471), Schoenberg (op. 45) et Mozart (KV. 563), cette dernière oeuvre surtout constituant pour moi une très riche découverte.
Du cycle consacré au quatuor Hagen, je n'ai vu qu'un concert, beethovenien : légère déception après leur magnifique concert lors de la biennale parisienne en janvier, avec un quatuor techniquement approximatif et pas très concentré - mais je les ai déjà vu bien pires.

Les jeunes

Ce n'est pas une série, mais Salzbourg, festival des déambulateurs, tient à montrer comme toute organisation vieillissante son souci de la jeunesse, tout en la parquant soigneusement dans des enclos à ce destinés : il y a le Young Directors Project, le Young Singers Project, le Young Conductors Award. J'ai vu les concerts de clôture de ces deux derniers "projets" : grande déception du côté des chanteurs, visiblement trop légèrement encadrés et trop peu préparés, comme le montre à la fin du concert un pezzo concertato du Voyage à Reims qui vire à la compétition de décibels. Je crois que ce n'est pas la faute des jeunes chanteurs, mais vraiment d'une organisation qui n'est qu'une façade et se limite à quelques master-classes éparses : imaginez-vous, il y a 16 chanteurs retenus cette année !!!
Côté chefs, j'avais interviewé Mirga Grazynite au printemps avant son concert estival pour Resmusica : le concert, si on excepte un Schnittke bien creux (pléonasme), s'est bien déroulé, avec surtout un concerto de Mozart assez austère mais très musical et articulé ; Pétrouchka a pâti d'un certain nombre d'approximations dans les passages les plus complexes, mais sans que cela perturbe sérieusement l'écoute (à côté d'un Gergiev mal luné, ça restait très bien...).
Je reste par ailleurs surpris que le Festival n'ait pas eu l'intelligence de réinviter le premier lauréat, David Afkham : tu es le meilleur, mon petit, mais s'il te plaît, va jouer ailleurs...

3 commentaires:

  1. Et à part vous plaindre et porter des jugements péremptoires sur des artistes qui vous dépassent totalement, vous servez à quoi dans la vie ? A rien, visiblement. Que de temps perdu pour faire part de sa frustration. Vous n'avez sûrement pas reçu assez de bisous dans votre enfance pour vous comporter de la sorte.

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  2. Qui se plaint ? Quels artistes me dépassent complètement ? Vous savez, cher anonyme je suppose récurrent, je pourrais vous répondre d'une part que rien ne vous interdit d'être constructif, et d'autre part que cette manie de m'agresser à chaque message depuis quelque temps doit elle aussi cacher quelque traumatisme d'enfance.
    Vous avez raison, ce blog n'est pas très intéressant, mais pourquoi le lisez-vous?

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  3. Tout à fait d'accord pour David Afkham, que j'ai eu l'occasion d'écouter à Liège: une baguette montante à suivre d'une oreille attentive!

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