lundi 15 octobre 2012

Médée et ses hommes

Eh oui, Médée au Théâtre des Champs-Elysées a tenu ses promesses. Hélas. Et à votre avis, à qui la faute ?

Jonathan Meese, c'est... profond. Remarquez la petite signature en bas à droite : Meese n'est pas un vulgaire scénographe, c'est un artiste.

Bien deviné, oui : à Emmanuelle Haïm, encore elle. Certes, elle a reçu une aide efficace de Pierre Audi et (plus marginalement) de son décorateur Jonathan Meese, mais vous connaissez le vieux proverbe paysan : Quand le chef d'orchestre va, tout va. Et donc, logiquement : quand il ne va pas, on est mal parti.
Le spectacle ne manque pourtant pas de qualités, sans même parler qu'à une époque où on veut nous faire prendre pour des chefs-d'oeuvre immortels les fonds de tiroir de l'Opéra de Paris des années 1870-1930 il est toujours un peu traumatisant de se retrouver confronté à un vrai, grand, complexe monument comme Médée. Mais l'équipe réunie par le Théâtre des Champs-Elysées n'est pas responsable du génie de Charpentier, commençons donc par le menu.
Les enfants, de nos jours, ils ne savent même plus ce que c'est que jouer. Même pour ça, ils sont mous
Le plus positif, dans l'ensemble, c'est la distribution masculine, Anders Dahlin, Stéphane Degout et Laurent Naouri. Dahlin, avec son haute-contre idéalement blessé, campe ce qu'on aime chez Jason, ce parfait salaud qui n'est qu'un pauvre type impuissant (cruauté du livret, il est toujours sur le point d'aller faire la guerre, mais des problèmes plus importants de nature privée prennent toujours le pas sur le salut de la patrie). Degout est sans doute moins brillant, même si c'est comme d'habitude vocalement brillant et d'un goût sans faille : mais le personnage n'est pas de ceux qu'on peut rendre marquant si on n'a pas un metteur en scène pour lui donner un peu de consistance. Naouri campe quant à lui un rôle où on l'a beaucoup vu, celui du souverain plein de morgue mais jamais loin du ridicule ; Pierre Audi a su utiliser ce potentiel comique, mais c'est bien tout ce qu'il a fait dans l'histoire.

Chez ces dames, c'est malheureusement déjà la déception qui l'emporte. Cela paraîtra peut-être un peu sévère pour Sophie Karthäuser en Créüse, mais c'est la force de l'habitude : en tout cas pour la première, elle n'était que fort bonne quand je l'attendais excellente. Le cas de Michèle Losier est plus ennuyeux. Bien sûr, Médée ne court pas les rues, mais tout de même : entre feue Lorraine Hunt dans l'enregistrement de William Christie et Stéphanie d'Oustrac lors d'un concert à Versailles (édité en DVD, mais que j'avais vu de tout près, à une époque où l'Opéra Royal n'était pas réservé à la mafia russe et aux financiers voyous), on s'excusera d'avoir des références, mais on n'y peut rien. Michèle Losier a un engagement certain, une diction déjà moins certaine, et un charisme encore plus flou. La chair, voilà ce qui me manque. On ne reverra jamais Lorraine Hunt dans ce rôle, mais Stéphanie d'Oustrac, avec sa déchirante simplicité, son goût parfait, pourquoi n'est-elle pas sur la scène du TCE ? (pourquoi, de manière générale, cette interprète d'exception n'est-elle pas plus souvent mise en avant à Paris ?)
De toute façon, la perruque noire atroce dont Pierre Audi afflige le personnage ne lui aurait pas été non plus. La production montée par Audi, aussi brillant directeur de l'Opéra d'Amsterdam que médiocre metteur en scène, n'est de manière générale pas très reluisante, mais le problème de son travail n'est pas tellement visuel. Les décors de Jonathan Meese sont nettement moins détestables que ceux de Dionysos de Rihm qui avait été à Salzbourg son premier travail lyrique ; et les costumes, ma foi, il n'y a pas que sur scène que les gens sont mal habillés, de nos jours. Non, le problème d'Audi, comment dire ? Est-ce de la paresse ? Est-ce un visionnage excessif de séries télévisées à basse tension ? Il n'y a pas de vision de l’œuvre, ce qui est déjà un peu embêtant ; mais surtout, il n'y a même pas l'artisanat minimal du metteur en scène qui rend les spectacles vivants à défaut d'être tout à fait intéressant. Parfois, Audi essaie d'animer un peu la scène : cela donne par exemple la gifle que donne Médée à sa suivante ; l'effet est certain, encore que je ne suis pas sûr que le but était vraiment de faire rire.

Reste Mme Haïm. J'avais déjà tenu à son sujet des propos désagréables lors de son Giulio Cesare de Garnier - repris cette saison, pour ceux qui aiment - mais je m'étais livré à l'espoir que, dans ce répertoire français, le désastre pourrait être évité. D'une certaine façon, il l'est : les sonorités de l'orchestre ne sont pas désagréables (contrairement à celles du chœur), l'impression de fouillis est moins grande, et les chanteurs sont moins perdus. Mais l'absence de théâtre, de tension, de rhétorique, est toujours là, et dans cet opéra où le récitatif est primordial et magnifique, il est criminel de ne rien en faire, de ne pas avoir travaillé leur accompagnement, de ne même pas essayer de lui donner de la vie. On en vient à s'ennuyer jusque dans les passages les plus doux, et forcément à se demander ce que cette personne fait là, dans la fosse du théâtre des Champs-Elysées : certes, c'est une coproduction avec l'Opéra de Lille, et Lille=Haïm, hélas (peut-être pour ça que je n'y suis jamais allé !). Mais on se dit qu'il y a eu maldonne : pourquoi envoyer William Christie se noyer chez Cavalli alors qu'il aurait certainement au moins sauvé le spectacle ici, lui qui a signé un enregistrement magnifique de l’œuvre ?

Et pourtant... Oui, je vous conseille malgré tout d'y aller, surtout si, comme moi, vous n'aviez jamais vu cette œuvre sur scène. Parce que c'est un chef-d’œuvre, tout simplement. Et qu'il reste beaucoup trop de places pour un chef-d’œuvre pareil : quand on a le choix entre la sotte Fille du régiment et un chef-d’œuvre pareil, il est coupable d'hésiter.

PS : j'ai oublié de mentionner la chorégraphie ridicule de Kim Brandstrup, qui est quand même un chorégraphe invité entre autres par le Royal Ballet.

3 commentaires:

  1. tu as bien tort de ne jamais aller à l'Opéra de Lille, c'est un théâtre magnifique où l'on retrouve en grande partie la programmation de danse contemporaine du Théâtre de la Ville, pour beaucoup moins cher !

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  2. Je te trouve bien indulgent avec Dahlin, tout de même.

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  3. Visiblement il divise les esprits, de fait. Mais au moins il met un peu de vie dans le spectacle, contrairement à Losier!

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