lundi 23 décembre 2013

La belle au bois roupille

Je verrai en tout quatre distributions de cette Belle cru 2013 : voici les deux premières, vues le samedi 7 décembre.
Non, Abbagnato est très bien, dans La Belle. Quand elle ne bouge pas, du moins.


L'après-midi a mal commencé. Le plaisir de revoir ce ballet extraordinaire et cette belle production est pourtant là, dès le lever du rideau ; mais à voir les premières fées tricoter pesamment leurs variations, j'avoue m'être un peu demandé si le soleil ne brillait pas un peu plus fort dehors. J'ai bien vu des jambes, mais pas des danseuses. Le plus amusant est que - j'écris après la bataille, j'ai donc pu lire tous les commentaires possibles sur cette représentation - j'ai lu beaucoup de critiques sur la 5e variation, celle de Sae Eun Park, qualifiée quelque part d'"imperméable au style de l'Opéra" : si le style de l'Opéra est représenté par ce qu'on a pu voir dans les quatre premières variations, ce mélange d'extrême prudence technique et de manque total d'inspiration, il faut s'en débarrasser au plus vite, et s'il est vrai que Mlle Park a une virtuosité qui ne se préoccupe pas de profondeur, la variation qu'elle danse n'est pas non plus des plus profondes, et il n'y a rien de plus Opéra de Paris que d'excuser la mollesse technique par un soi-disant style. Héloïse Bourdon, elle, montre dans la 6e variation qu'il n'y a pas de fatalité à l'étouffement de tout charisme par le système Opéra, dont elle est pourtant un pur produit : c'est clair, c'est maîtrisé, c'est élégant sans sacrifier l'énergie ; mais on sent que cette danseuse-là commence à en avoir, à juste titre, assez de jouer les utilités.
Il en va hélas de même pour Laura Hecquet, qui interprète pour la première fois le rôle principal (comme à vrai dire à peu près tout le monde, le ballet n'ayant plus été représenté depuis 9 ans - quel gâchis). Les spectateurs amis avec lesquels j'ai discuté étaient à vrai dire beaucoup plus compréhensifs que moi, et je pourrais certainement faire preuve aussi de compréhension pour une danseuse qui n'a pas eu tant l'occasion de prouver ses qualités dans un système qui confie au hasard le soin de faire émerger les personnalités. Cependant, là encore, nous sommes à l'Opéra de Paris, une troupe qui se prétend la meilleure du monde ; la dernière Aurore que j'ai vue sur scène s'appelle Lucia Lacarra ; on m'excusera de ne pas prendre de gants, mais je n'ai vraiment aucune envie de voir ça. Cet Adage à la Rose chancelant. Cette apparition éteinte. Cette prudence perpétuelle. Il y a des qualités certaines, il y a du stress qui peut expliquer tout cela, et on est loin de ce mètre-étalon éternel de la catastrophe que fut la Raymonda d’Émilie Cozette : aujourd'hui, ce sont des arguments que je n'ai plus envie d'entendre. D'autant que, soulignons-le, son partenaire Audric Bezard, sans faire d'étincelles, assure au moins l'essentiel, lui : en venir à se consoler par les hommes, dans cette troupe où les filles ont longtemps fait figure de consolation pour le spectateur, c'est un comble.
Et mentionnons pour la bonne bouche l'invraisemblable pas de deux des pierres précieuses où Cyril Mitilian ne maîtrise plus rien : peut-être est-il malade, peut-être n'a-t-il pas eu le temps de répéter convenablement, peut-être, peut-être. Je n'ai pas envie de voir ça. Mes excuses à Mlle Hecquet, qui est bien moins coupable de ce que je décris là que représentante et victime de la gestion désastreuse de la troupe par Brigitte Lefèvre, animal politique bien plus que directrice artistique.

Le soir, évidemment, c'est pire. Et mieux aussi. Pire, parce que c'est Eleonora Abbagnato, qu'on a distribué dans ce ballet pour tenter de justifier son titre d'étoile, mais qui n'a rien à y faire (le problème, évidemment, est qu'elle a aussi perdu ces dernières années l'aura extraordinaire qu'elle avait dans le répertoire contemporain au début de sa carrière). On m'a fait des descriptions apocalyptiques de sa prestation le soir de la première : reconnaissons que cela ne correspond pas à ce que j'ai vu ; rien n'était vraiment bon, mais la danseuse tenait sur ses jambes et a réalisé une bonne partie des pas prévus. Le problème, c'est la tension palpable d'une interprète qui ne tient que par la force de la volonté, et non par l'assurance que donne la technique - et dans un rôle qui doit unir juvénilité, joie de vivre et poésie, j'ai quelque peine à m'en contenter. Un détail révélateur (et objectif) : quand cette Aurore-là est entrée sur scène, elle n'a pas été applaudie, contrairement aux trois collègues que j'y ai vues cette année (lors de la précédente série, je me souviens surtout d'avoir vu Mélanie Hurel remplacer plus vite que son ombre toutes ses rivales). Une étoile qu'on ne voit même pas, voilà ce qu'il faut sans doute retenir de cette erreur de casting.
C'est d'autant plus regrettable qu'il y avait face à elle, sans nul doute, le prince le plus intéressant de cette série : Mathieu Ganio, cette fois, remporte tous les suffrages. Ganio, longtemps danseur fade, nommé étoile trop tôt parce qu'il fallait une étoile sur le DVD de La Sylphide, a donc enfin atteint la maturité, et il n'y en a certainement pas de démonstration plus éclatante que sa variation de l'acte II, cette très longue et très noureevienne méditation qui devient un tunnel d'ennui épouvantable quand on se contente d'y faire les pas. On accuse souvent Noureev d'accumuler les pas, les difficultés, mais on voit bien ici que ce n'est pas gratuit : plus encore que de renforcer la chorégraphie des héros masculins, Noureev se préoccupe de leur donner une consistance dramatique : ce n'est pas toujours réussi, certes, mais ça l'est ici, et Ganio montre bien que si on a pu oublier les qualités du travail de Noureev ces dernières années, c'est simplement parce les danseurs de l'Opéra n'y arrivaient pas. Rien n'est donné à l'interprète ici : si tu n'as rien à dire, mon garçon, tu auras l'air niais. Pas Mathieu Ganio.
Et forcément, il arrive ce qui doit arriver : avec Myriam Ould-Braham et Matthias Heymann dans le pas de deux de l'Oiseau bleu, l'applaudimètre est cruel pour Eleonora Abbagnato.
http://fr.web.img1.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/pictures/210/380/21038080_20131122095736954.jpg
Une Belle au cinéma, bonne idée. Mais qui s'y colle ?

Quelques jours plus tard, le matin du 16 décembre, grande nouvelle : le Ballet de l'Opéra de Paris, qui devait diffuser sa Belle au Bois Dormant le soir même au cinéma avec Mathieu Ganio et Eleonora Abbagnato a annoncé un changement de distribution que personne, mais vraiment personne n'avait vu venir. Sauf, naturellement, la quasi-totalité de tous ceux qui s'intéressent de près ou de loin à cette troupe. Et ceux qui lisent blogs et tweets. Et ceux qui ont pu voir les extraits diffusés à la télévision, qui ont pourtant été montés à partir de plusieurs enregistrements. Bref, personne : comment la direction de la danse, dans sa sainte innocence, aurait-elle pu se douter qu'Eleonora Abbagnato se montrerait incapable de maîtriser le rôle et de faire le poids face aux grandes Russes et non-russes (Cojocaru !) qu'offre déjà le marché limité du DVD ? L'intéressée invoque je ne sais plus quelle blessure pour justifier cette annulation totalement inopinée : voyons-le comme de l'humour.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Une petite râlerie ? Une pensée en l'air ? Une déclaration solennelle à faire ? C'est ici !

NB : Les commentaires sont désormais modérés en raison de problèmes de spam. Je m'engage à publier tous les messages qui ne relèvent pas du spam, même à contenu désagréable

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...