jeudi 12 décembre 2013

Cavalli enfin sauf : Elena regina

Jusqu'ici, sur ce blog, je ne parlais de Cavalli que pour me lamenter : pitoyable Calisto meublée par Macha Makaïeff, poussiéreuse Didone endormie par l'ineffable William Christie, pédant Egisto assombri par Benjamin Lazar, quelle triste litanie pour un compositeur et un style théâtral pleins de vie, pleins d'humour, pleins d'émotions diverses aussi. Heureusement vint Elena - bien sûr, ce n'est pas un spectacle créé à et pour Paris, mais dans cette ville, banlieue chic comprise, il vaut souvent mieux le produit importé que la fabrication locale.

Entre Hélène et Ménélas, c'est du sérieux.

C'est donc à Versailles, à l'Opéra Royal (pour lequel j'avoue un faible)*, que j'ai vu la production aixoise de cet opéra tardif dans la carrière de Cavalli (oui, ça compte, et ça s'entend), produite pour l'Académie du Festival. Passons rapidement sur la mise en scène : en soi, je n'ai vraiment pas de raison d'être indulgent face à cette réalisation paresseuse et malhabile, et il me semble déjà avoir écrit à quel point cela m'agace que les spectacles de jeunes chanteurs soient toujours réduits à ce genre d'habillages conventionnels, comme si confronter lesdits jeunes chanteurs à des esthétiques théâtrales créatives ne faisait pas partie de leur apprentissage. Reste que le travail de Jean-Yves Ruf, à défaut de prendre véritablement en compte l’œuvre qu'il met en scène, à défaut d'éviter de tomber dans la banalité (le prologue mille fois vu !), a le mérite de moins gâcher le plaisir du spectateur que Makaïeff, Hervieu-Léger ou Lazar. Qui veut voir ce qu'on peut faire théâtralement de l'opéra vénitien n'a qu'à s'extasier devant le DVD de La Calisto illuminée par Herbert Wernicke (et René Jacobs, bien sûr).
Dans la fosse, la Capella Mediterranea de Leonardo García Alarcón prend l'option légère dans la réalisation instrumentale de l'opéra, à la fois conforme aux pratiques du temps et adéquate dans le contexte réduit de l'Opéra Royal. Pour autant, il ne renonce pas à y mettre de la couleur, et le fait que certains musiciens jouent plusieurs instruments (le second claveciniste joue de la flûte, l'autre flûtiste du cornet) est une excellente chose. Est-ce à dire que je suis totalement convaincu par le son que j'entends en sortir, ou par la marche rhétorique d'un accompagnement qui a une pleine vocation théâtrale ? Non, et même si García Alarcón montre bien qu'il n'entend pas être le chef et maître absolu de ses collègues, il me manque encore une interaction plus profonde entre le texte, le théâtre et la musique (ce que faisait bien Jacobs, mais avec un orchestre hollywoodien, du moins par comparaison). Ceci étant, c'est vivant, c'est varié, et cela permet aux chanteurs de se déployer en toute liberté, et c'est ici déjà beaucoup.
Car la grande réussite du spectacle, ce sont les chanteurs, ces jeunes gens et jeunes filles de l'Académie Européenne de Musique d'Aix. La distribution est en partie renouvelée depuis Aix, mais le miracle essentiel reste : c'est Emöke Barath, qui chante le rôle-titre avec une immense liberté et une séduction chatoyante. On ne sait jamais avec elle dans quelle mesure Hélène est victime des hommes ou force motrice de ses aventures. Une splendeur vocale qu'on aimerait réentendre au plus vite, par exemple dans l'Orfeo de Monteverdi à Nancy en janvier prochain... Le mieux de ce spectacle version Versailles, c'est que la distribution féminine est à peu près à ce niveau exceptionnel : si j'en crois la distribution présente sur le site du château, elles s'appellent Kitty Whately, Anna Reinhold, Francesca Aspromonte, Majdouline Zerari, et même si la platitude de la mise en scène ne permettait pas toujours de comprendre qui fait quoi, je n'hésite pas à chanter leurs collectives louanges.
Chez les hommes, la situation est un peu plus contrastée. Je n'ai pas tellement aimé la voix sans grand caractère de Fernando Guimaraes, ce qui est un peu gênant parce que Teseo est, contrairement aux apparences, le rôle principal de cette histoire qui, de façon amusante, parle de tout sauf de ce qu'on connaît le mieux - le prologue s'arrête juste avant le moment où Pâris départage au mont Ida les trois déesses, et si Hélène y est enlevée à deux reprises, ce n'est pas par lui. Je n'ai pas non plus aimé Zachary Wilder, produit du Jardin des Voix de Christie : ici comme là, ses efforts de comique ne me font pas rire du tout, tant ils restent dans la convention totale. Heureusement, je suis beaucoup plus séduit par les deux contre-ténors principaux, Riccardo Ferreira et surtout Valer Sabadus, qui chante Ménélas, dépeint ici en jeune homme séduisant et suffisamment frais pour se cacher sous les atours d'une fraîche jeune fille pendant les trois quarts de l'opéra.
Quelques réserves donc pour ce spectacle, certes, mais reste le plaisir d'entendre enfin dans de bonnes conditions un compositeur majeur de l'histoire de l'opéra (de ce XVIIe si mal traité par les maisons d'opéra), et le plaisir de cette belle génération de jeunes interprètes qui ont à cœur de faire vivre, par le chant et par le théâtre, ce chant baroque si enivrant.

*Signalons que, réduction FNAC comprise, j'ai payé 44 € pour une place très acceptable. Ce qui nous amène très bas dans les tarifications actuelles à Paris : je n'ai même pas le sentiment d'avoir fait une folie...

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