dimanche 15 août 2010

Dionysos à Salzbourg en quête d'images

On va reparler ici de Salzbourg en détail : en attendant, voici une première - longue - critique de l'évènement du festival en matière d'opéra, première création mondiale depuis 2006...

Dionysos encore : quarante-quatre ans après avoir créé Les Bassarides de Henze, qui restent sans doute la plus inoubliable des créations lyriques du festival, Salzbourg s’ouvre une fois encore à la présence mystérieuse du dieu grec, à travers la figure du plus enthousiaste de ses adorateurs modernes : c’est en effet Nietzsche qui est au centre du nouvel opéra de Wolfgang Rihm, qui partage avec Henze sa position d’indépendance au sein de la scène musicale contemporaine.





J. M. Kränzle, M. Erdmann


La première scène est éblouissante, sans doute une des plus belles scènes d’opéra de ces vingt dernières années : N., qui est aussi bien Nietzsche qu’un fantasme d’homme nietzschéen, est tenté par deux nymphes sans pouvoir, par sa propre faute, entrer en communication avec elles, même quand l’une se révèle être Ariane – qu’un étranger n’aura alors nulle peine à lui enlever. On entre ainsi dans l’Or du Rhin pour arriver à l’univers de toutes les Arianes lyriques, et les trois dauphins qui se moquent de l’homme impuissant sont tout à la fois les nymphes de l’opéra de Strauss, les Filles du Rhin et les trois dames de la Flûte enchantée, un opéra que Rihm reconnaît comme modèle non pas pour son caractère initiatique, mais pour son caractère composite.

On s’en rend compte dès la seconde des quatre scènes, où au charme de cette intertextualité retorse se substitue une sorte d’allégorisme. Le texte de Nietzsche y est roi, ce qui ne va pas sans faire peser un risque de statisme que la mise en scène ne fait qu’aggraver : là où il aurait fallu faire vivre tout l’univers mental de ce texte complexe, Pierre Audi ne fait qu’illustrer avec plus d’agitation que de mouvement le bien mince prétexte dramaturgique de la scène, non sans mettre en péril l’écoute d’une musique dont les logiques internes ne coïncident pas avec les rythmes de l’action scénique. Les décors du plasticien Jonathan Meese, il est vrai, ne l’y aident pas : tenant d’une simplicité aux formes enfantines proche de l’art brut, il crée un univers à la fois trop présent pour laisser libre cours aux images mentales du spectateur et trop pauvre pour répondre à la complexité de l’univers nietzschéen.
Le décor de la seconde scène
La seconde partie de l’opéra navigue entre les mêmes écueils, peut-être parce que la puissance des mystères poétiques de Nietzsche trouve dans la musique de Rihm des correspondances si intenses qu’il est difficile pour la mise en scène de trouver sa place dans cette union symbiotique : le spectacle de Pierre Audi hésite entre travail explicatif et évocation de la richesse des images de ces Dithyrambes de Dionysos où Nietzsche fait exploser le carcan du sens et de la forme. Ces poèmes sont pour Rihm des compagnons de longue date, et si on peine à comprendre l’intérêt de leur donner ici une forme dialoguée, on ne peut qu’admirer le théâtre mental que sa musique parvient à susciter : là est le vrai projet de sa partition, un peu comme il avait éclairé il y plus de trente ans le délitement de l’univers mental du poète Jakob Lenz, dans un opéra de chambre qui reste un de ses plus grands succès. Rihm parle une langue contemporaine qui n’est sans doute pas la plus originale, mais cet idiome aisément accessible, soutenu par une instrumentation d’une admirable clarté, sait masquer sous sa surface bien élevée des abîmes que d’autres productions scéniques sauront certainement révéler – avouera-t-on avoir parfois rêvé à ce qu’aurait su en faire Krzysztof Warlikowski et son équipe ?
Il est d’usage, pour l’opéra contemporain, de faire par prudence l’éloge inconditionnel des artistes participants, le manque de comparaison rendant les généralités sans danger : dans le cas présent, si Ingo Metzmacher et son superbe orchestre berlinois sont en effet remarquables, la distribution vocale suscite quant à elle quelques réserves. Mojca Erdmann affronte ainsi le rôle d’Ariane avec enthousiasme et un talent scénique éclatant, mais la tessiture très aiguë du rôle soumet sa voix à une tension permanente qui finit par lasser ; de même, l’engagement de Matthias Klink et de Johannes Martin Kränzle n’empêchent pas de désirer pour ces rôles des personnalités vocales un peu plus affirmées. Ces quelques réserves n’empêchent du reste nullement cette dernière représentation, moins mondaine sans doute que la première mais honorée de la présence de nombreuses personnalités du monde musical (Pascal Dusapin, Jörg Widmann, Patricia Petibon, Stéphane Lissner…), de s’achever par un triomphe que la force suggestive de la musique suffit amplement à justifier.

Photos © Ruth Walz

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2 commentaires:

  1. bonjour,
    une petite remarque incidente :
    c'est très étrange d'entendre parler de "position d'indépendance ausein de la scène musicale contemporaine" en parlant de henze et plus encore de rihm. rihm est une star, un apparatchik qui a sa place dans tous les festivals, les ochestres, qui est joué par les plus grands solitstes, à la discographie pléthorique.
    Pour ses 60 ans, il y a eu 200 concerts pour lui ! Indépendant ? Mais alors, qui est dans le sérail, qui est dans le système ?
    On est là au contraire dans l'académisme le plus absolu de la musique contemporaine( ce qui ne veut pas dire qu'elle est inintéressante)...
    Indépendance : allez voir un peu des scènes plus modestes, moins médiatiques, ce serait intéressant.
    cordialement.

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  2. Oui, bien sûr, Rihm est une star dans la mesure où on peut être une star dans ce petit monde de la musique contemporaine. L'indépendance dont je parlais était plus esthétique qu'institutionnelle - cela dit, en relisant mon message si longtemps après, je dois rectifier en disant plutôt qu'il est typique des compositeurs d'aujourd'hui qui ne se reconnaissent plus d'affiliation esthétique et sont beaucoup moins membres de clans qu'autrefois. Dans tous les mondes d'"avant-garde", il y a toujours une suspicion contre ceux qui réussissent, parfois à juste titre d'ailleurs (Dusapin!), mais je crois qu'il faut se méfier de la tendance à exalter systématiquement les "petits coins" les plus pointus au détriment des grandes institutions. Pour ma part, je ne suis surtout pas un spécialiste, simplement un mélomane (très) intéressé, et comme je vais aussi au théâtre, au ballet, à l'opéra, je n'ai pas la possibilité de suivre intégralement chacun de ces domaines ; il y a bien plus de festivals intéressants que je ne peux en suivre !

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