vendredi 12 novembre 2010

Opéra de Metz, un nouveau début ?

C'est une vieille histoire : en Lorraine, comme du reste souvent dans les régions de France,les responsabilités sont partagées : si vous habitez Metz, vous êtes priés d'aimer les concerts (avec l'Arsenal et l'excellent Orchestre National de Lorraine, actuellement confié à l'également excellent Jacques Mercier) ; si vous habitez Nancy, vous avez intérêt à aimer l'opéra ou le théâtre (pour la danse, vous avez le choix entre les deux villes).

Cependant, il n'en demeure pas moins que Metz dispose aussi d'un opéra : on en avait parlé, y compris ici, de la suppression projetée des subventions d'État pour quelques petites maisons d'opéra de ce type.

Je suis, évidemment, un ardent partisan de l'action culturelle de l'État en province, y compris si elle doit se faire au détriment de Paris, mais on ne pouvait que comprendre cette mesure dans le cas précis de Metz. J'habite dans cette ville, je fréquente très activement un certain nombre de ses institutions culturelles ; pourtant, cette maison n'a jamais réussi à me séduire, alors même que c'est là que j'ai vu ma toute première représentations d'opéra. L'autorité de tutelle de l'Opéra de Metz, qui se nomme pompeusement "Metz Métropole", vient de prendre la décision qu'il fallait prendre (mais qui n'est que la première des nombreuses décisions qu'il va falloir prendre si on veut que cette maison retrouve un peu de vie) : le directeur de la maison, Eric Chevalier, est démis de ses fonctions - je n'ai pas très bien compris si c'est dès maintenant ou, plus probablement, à l'expiration de son contrat en juillet.

Éric Chevalier, en plus d'être directeur, est aussi décorateur et metteur en scène. Pour faire un peu comprendre aux Parisiens, je dirais que c'est un peu le Giancarlo del Monaco du pauvre : ce qu'il fait est d'un classicisme désespérant, et en plus le manque d'argent (dont il n'est pas responsable) se voit comme le nez au milieu de la figure, sans compter qu'il en réalise beaucoup, de ces productions.
L'histoire de l'Opéra de Metz est chaotique depuis de nombreuses années, et elle est très intéressante pour qui s'intéresse à la vie des institutions à l'ombre de la politique. Il y a un certain nombre d'années, la directrice en place, Danièle Ory, dont j'avais vu une partie du travail mais sans vraiment pouvoir le juger a posteriori, avait été débarquée sans ménagement. Lui avait succédé le chanteur Laurence Dale, avec un projet fondé sur le grand opéra français, qui était très original à défaut d'être vraiment très intéressant ; sauf que la tutelle avait quelque peu oublié de prendre en compte les questions financières : le déficit avait été très rapidement abyssal, et Laurence Dale avait dû lui aussi faire ses bagages sans tambours ni trompettes. C'est alors qu'intervient Eric Chevalier, avec pour mission essentielle de colmater les brèches : il n'est donc pas entièrement responsable de l'ennui terrible des productions qu'il y présente.
Jamais à Metz on n'a réfléchi un peu sérieusement à ce qu'on pouvait faire dans ce théâtre : on fait comme on a toujours fait, et ça ira bien encore un peu. C'est ainsi que s'enchaînaient les opérettes et les comédies musicales les plus désuètes, devant un public lui aussi des plus désuets, en alternant avec un répertoire lyrique qui ignorait aussi bien le baroque que le XXe siècle, et une programmation théâtrale réduite au minimum. À voir la saison actuelle, on sent une volonté d'évoluer, sans doute liée à la nouvelle municipalité, et le départ d'Eric Chevalier semble le confirmer. Il reste encore beaucoup de travail, dont je proposerais volontiers les axes suivants :
-Restaurer absolument ce théâtre étouffant, qui est dans un état déplorable ;
-Tenir compte du fait qu'on a ici un théâtre XVIIIe, dans une ville où le baroque a un public très fidèle ;
-Renoncer à la ridicule Biennale Ambroise Thomas : quand on est la ville natale de Rameau, de Boulez ou de Mozart, on a quelque excuse à honorer l'enfant du pays ; quand par malheur c'est Ambroise Thomas qui est né chez vous, vous pouvez aller voir ailleurs !
-Réunir les institutions musicales de la ville (Opéra-Théâtre, Orchestre, Arsenal) sous une seule tutelle avec une direction d'ensemble, une seule communication, une seule billetterie, etc., pour que la culture existe enfin dans la vie messine.
-Revoir entièrement les politiques de tarification de l'Opéra et de l'Arsenal, qui bloque de façon violente l'accès de nombreux types de public (une chose incroyable : à l'Arsenal, les jeunes qui bénéficient du tarif ad hoc sont d'office placés en arrière-scène !).
-Réfléchir au rôle de la mise en scène, pour trouver enfin un langage contemporain qui, prudemment, réussira à faire de l'opéra un art vivant dans cette ville.

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10 commentaires:

  1. Et alors c'est qui le nouveau directeur pressenti ?

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  2. Notes partie I :

    En ce qui concerne l'opéra et le remerciement d'Eric Chevalier, je ne peux que me réjouir de cette nouvelle. Cependant, il faut tout de même admettre que la mauvaise qualité de la programmation et de la majorité des spectacles n'est pas uniquement sa faute. Il faut aussi prendre en compte les moyens (financiers) ridicules dont dispose l'Opéra... ce qui n'aide pas.

    Cependant, chaque directeur avant lui a eu des hauts et des bas. Du temps de Danièle Ory, le public était gavé à grand renfort de Mozart et du Compte Ory. Son remplacement (pour quels motifs ? Je n'en sais rien) par Laurence Dale aura été bénéfique à l'image et à la notoriété de l'Opéra. Dommage qu'il soit parti si vite. Souvenons-nous de quelques-unes de ces productions comme Powder her face (qui avait choqué le public), les Huguenots ou encore Mort à Venise (programmé par LD et réalisé par EC).

    Concernant vos idées de « remaniement », je ne suis pas d'accord avec deux points évoqués dans votre article. Le grand opéra français n'est pas dénué d'intérêt, bien au contraire. En son temps, il à fait les grandes heures de l’opéra. Pour en revenir à LD, notons simplement que Meyerbeer à permis de renflouer les caisses de l’opéra de Paris, excusez du peu. En ce qui concerne la biennale Ambroise Thomas, il est regrettable de devoir encore dire, qu'il n'y a plus qu'en France que l'on ne le joue plus. Certes, ce n’est pas le compositeur de génie que la planète attendait, mais ce n’est pas une raison pour le bouder. Notons que Koltès et Thomas ont été mis à l’index pendant suffisamment longtemps de par chez nous et qu’il était grand temps de faire bouger les choses. De plus, ce n'est pas le seul compositeur à avoir vu sa production lyrique réduite à peau de chagrin... Qui se souvient du Timbre d'Argent de Saint Saëns ? Combien d'opéras de Dvorak sont joués en dehors de Rusalka ? Alors bien entendu, la manière de faire n’est peut-être pas la bonne, mais au moins Eric Chevalier aura-t-il eu le courage de s’attaquer à un répertoire par trop mis de côté. Si l’on devait s’en tenir à ce que veut entendre un public, on ne sortirait jamais de Puccini et Mozart… Là où ce directeur se révèle faible, c’est dans ses choix. L’idée de recréer un opéra complètement oublié demande bien plus que des chanteurs de seconde zone. Il faut aussi y injecter des moyens (toujours cet argent qui fait défaut à l’opéra), de l’ambition et de la volonté… On ne peut se permettre d’être consensuel dans ce genre de cas. Ceci expliquera peut-être l’échec de l’Amant Anonyme, des Liaisons Dangereuses ou encore de l’Attaque du Moulin, dont la mise en scène était d’une banalité affligeante.

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  3. Notes partie II :

    En ce qui concerne l’opérette, même refrain. Tout est une question de qualité et d’envie. Tout est aussi une question d’ouvrage… On pourrait très bien jouer d’autres opérettes. Peut-être pourrions nous aussi en jouer moins, mais de meilleure qualité ! Je dois avouer que je ne suis pas fan de ce répertoire, bien que j’en aie déjà vu plusieurs (il ne faut jamais parler de choses que l’on ne connaît pas, même à minima). Que dire de productions telles que Les Mousquetaires au Couvent ou encore les Saltimbanques… pauvres au dernier degré tant dans la mise en scène que dans l’intérêt de l’œuvre d’une manière générale.

    Là où j’ai été agréablement surpris, c’est au niveau du ballet. J’ai pu constater une belle progression de ce corps et de ses productions. J’aurais beaucoup de mal à développer d’avantage, ma culture ballet (classique) étant trop maigre pour cela.

    En ce qui concerne le théâtre, n’oublions pas que pendant longtemps, c’est la ville (donc son maire et son conseil municipal) qui n’a pas voulu développer ce dernier. Voilà pourquoi Thionville dispose d’un théâtre de qualité, alors que nous devons nous contenter du boulevard. Il va sans dire que résumer les politiques culturelles à ces quelques idées serait déraisonnable. Les choses sont bien plus compliquées en réalité.

    Un autre point qui me tient à cœur, c’est le public. La qualité d’une saison et la notoriété d’une maison se mesure aussi par la qualité de son public… et là !!! Je gratte… Le public de l’opéra de Metz, est en majorité un public pauvre (culturellement parlant), absolument pas visionnaire, à qui l’on aurait bien du mal à faire accepter autre chose que des standards. Reprenons Powder Her Face et sa scène de fellation (en ombre chinoise et de dos) qui à valu à l’ancien maire, une pluie de courriers de la part d’une partie du public (âgées…). Dans ces conditions, comment programmer La Tempête, La Belle et la Bête ou encore Monségur ??? Même si je serais ravi de pouvoir me régaler avec de tels titres. EC a, à coup sûr manqué sa politique d’éducation du public et c’est bien dommage. A l’heure de Pompidou, une révision en profondeur de la programmation serait la bienvenue.

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  4. Notes partie III

    Dernier point (et j’arrête, c’est promis), un rapprochement avec l'Opéra National de Lorraine me semble normal et évident, tant les deux maisons sont proches. Plusieurs questions me viennent à l’esprit, qui me semble plus importantes. Dans le cas d'une "fusion" (imaginons), que ferons-nous de l'excédent de personnel ? Deux chœurs, deux ballets, deux ateliers de décors, deux ateliers de costumes, deux orchestres ??? Combien nous coûterait une telle masse salariale ? Qu’en faire, sachant que les salles de spectacles (toutes catégories confondues) sont rarement pleines ? Quelle sera l’importance de l’Opéra de Metz, compte tenu du fait que ses moyens sont moins importants que ceux de l’Opéra de Nancy ?

    J'ai lu ces derniers jours, un article qui citait le nom de Charles Tordjman... Bien entendu cette information est à prendre avec toute la réserve nécessaire qui s'impose. Si cela se vérifie, quelle sera la place de l'opéra (en tant que discipline) ? Quelle proportion pourrait prendre le théâtre dans la programmation ? Que ferait-on de l’opérette ? Patrick Saillot sera-t-il remplacé une fois arrivé à la retraite ?

    C’est sur ces quelques points que j’attire votre attention. Car bien que très déçu par la politique d’Eric Chevalier, je trouverai dommage d’organiser une fusion qui desservirait notre établissement. A l’heure où beaucoup de regards se tournent vers Metz, il est grand temps de faire bouger la culture et de donner d’avantage de raisons aux touristes de venir séjourner par chez nous.

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  5. Merci pour toutes ces réflexions (et informations...), avec lesquelles je suis en grande partie d'accord, notamment la relation étroite entre un public en effet peu dynamique et la programmation suivie jusqu'alors (même si je pense que la piste France XIXe est une mauvaise piste, qui entretient la ringardise de l'institution). Pour la fusion, il faut en effet faire attention; en même temps, la fusion totale n'entraîne pas forcément la disparition complète des forces artistiques en commun : cf. l'Opéra du Rhin, où il existe encore un orchestre symphonique de Mulhouse, qui se partage la saison avec celui de Strasbourg ! Accessoirement, un problème crucial est celui de la convergence des caractéristiques techniques des deux salles.
    Sur l'opérette, je ne suis évidemment pas tellement pour, mais pas non plus totalement contre : le problème, c'est bien que jusqu'alors on a multiplié les productions sans soin, d'oeuvres qui ne parlaient qu'à un public très restreint.

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  6. pour le nouveau directeur un appel à candidature part cette semaine...à suivre

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  7. J'ai une excellente idée : on n'a qu'à nommer Nicolas Joel à la place ; comme ça, il arrêterait de ridiculiser l'Opéra de Paris au niveau international, et à Metz la programmation resterait strictement identique à ce qu'elle était. Ce serait dommage pour Metz, mais très bien pour Paris !

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  8. Pitié non ! Pour une fois que l'on a l'occasion d'aller vers du mieux...

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  9. Grâce  à des amis messins, je viens de recevoir un lien vers votre site. Sans entrer dans un débat concernant mon mérite, ou celui de mes prédécesseurs et successeur, j’aimerais profiter de l’occasion pour corriger une grave désinformation présente dans l’article publié sur votre blog.

    Je suis parti de Metz avec beaucoup de regrets, après avoir construit une équipe formidable à l’Opéra –Théâtre de Metz et avoir reçu le soutien d’un public messin toujours plus nombreux et enthousiaste.
    Suite au choix de l’adjoint à la culture de l’agglomération à l’époque, d’annoncer publiquement devant la presse  une programmation autre que la mienne pour la saison suivante, ce que j’ignorais, mon départ devenait inéluctable face à cette ultime humiliation.
    En revanche, pendant cette présentation à la presse, le dit adjoint a également mentionné un dépassement de budget faramineux. Malheureusement, peut-être à cause de l’émotion du moment, il a pu se tromper, car cette somme n’était pas inventée mais plutôt mal attribuée. Le chiffre cité était  apparemment le dépassement budgétaire de l’Arsenal à l’époque, plutôt que celui de l’Opéra-Théâtre.
    Donc votre assertion que je suis parti  discrètement est vraie, mais certainement pas en laissant  un déficit… Devenu très rapidement abyssal

    J’ai œuvré pendant mon mandat à la réalisation d’une saison de dix spectacles lyriques, tous, par nécessité, en nouvelle production pour Metz, et a pu les faire entrer dans un budget prévu pour trois nouvelles productions et sept reprises.
    Quand je suis parti de Metz, les budgets étaient impeccables et montraient probablement même un léger bénéfice !

    Je m’inscris donc en faux et regrette vivement la désinformation que vous avez publiée.

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  10. Cher Monsieur,

    Tout d'abord merci beaucoup pour votre réponse, à laquelle je réponds avec grand plaisir.
    Parler de désinformation me paraît un peu fort : je souligne à l'envi que je ne suis en aucune façon un insider, que je n'ai pas d'informations privilégiée, d'où le fait que je n'ai pas d'autres sources que celles qui sont officiellement connues. J'ai d'ailleurs déjà souligné ici à quel point l'absence d'informations officielles sur les comptes et les résultats des maisons d'opéra en France était regrettable. Si, comme vous l'indiquez, les informations publiées par l'adjoint en question étaient mensongères, vous avez au moins la consolation d'être en bonne compagnie : après tout, Rolf Liebermann n'a-t-il pas été chassé de l'Opéra de Paris pour cette raison, qui est tellement facile à utiliser ?
    Je n'entrerai donc pas dans la polémique des chiffres ; vous remarquerez en tout cas, si vous lisez mon message, que ce n'est en aucune façon vous que j'attaquais : le sous-texte était que vous êtes venu avec votre projet et que la tutelle l'a accepté sans se poser les questions qu'elle aurait dû se poser. Je continue à penser que faire de Metz le foyer de la renaissance du grand opéra à la française était sans doute un peu trop ambitieux, mais quand bien même il y a eu dépassement financier, ce ne serait pas sur votre compte que je le placerais. J'ai un peu de peine à comprendre, en effet, comment vous avez pu monter des opéras aussi rares, aussi coûteux par nature (choeur, nombreux solistes, longue durée, partition que les différents intervenants doivent prendre le temps d'apprendre...) sans que cela ne coûte plus que d'enchaîner les Traviata et les Carmen...
    Meilleures salutations

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