jeudi 3 mars 2011

Suite des exploits intellectuels du Ministère de la culture

En rédigeant un message sur le rapport d'Elise Longuet sur le thème "Comment le mécénat va sauver le monde", je ne pouvais pas me douter que pour certaines raisons* cette belle famille française reviendrait aussi vite au premier plan de l'actualité française. J'avais aussi annoncé qu'il y avait un second rapport, plus sérieux mais tout aussi inquiétant, dont je voulais vous parler. Voilà donc le commentaire en question (pour ceux qui se disent que c'est bien ennuyeux, ces rapports : je suis bien d'accord, mais c'est toujours important de réfléchir à ce que ces gens-là ont dans le crâne).

Donc, le rapport Lacloche. Oui, je sais, ça sonne comme le titre d'une pièce de boulevard, mais je ne vais tout de même pas me mettre à me moquer du patronyme des gens, pas plus qu'il ne me viendrait à l'idée de me moquer des gens de petite taille, même quand ils nomment des ministres qui sont pères de grandes bourgeoises qui assurent leurs fins de mois en pondant des rapports bidon pour le ministère de la culture.
C'est bien connu : vous avez un problème, et vous n'avez pas de solution ? Nommez une commission, faites-lui faire un rapport ; vous n'aurez toujours pas de solution, mais vous aurez au moins un rapport. Le rapport Lacloche, donc, n'a pas été diffusé dans sa version définitive, mais a fuité sous forme de projet, présent notamment sur le site de la très officielle et vénérable Ecole Nationale Supérieure des Sciences de l'Information et des Bibliothèques. L'avantage sur le rapport Longuet, c'est qu'il est bref : 13 pages contre 96, sous le titre "CULTURE POUR CHACUN. Programme d’actions et perspectives".
Ce slogan de la "culture pour chacun", comme il se doit, est emprunté à Malraux, indépassable horizon quand on veut parler de culture à droite (et on sait bien que c'est dur, de parler de culture à droite). Au prix d'une trahison : ce que Malraux voulait dire (et qui n'est guère contestable) en évoquant le passage d'une culture pour tous à la culture pour chacun, c'est qu'il fallait renoncer à l'illusion selon laquelle il suffisait d'injecter de l'argent et de créer une offre en espérant que les citoyens allaient venir se servir : il fallait donc aller à la rencontre des publics, non espérer passivement qu'ils finissent par venir. On parle d'échec de la démocratisation culturelle, et le constat n'est pas totalement faux ; mais il faudrait replacer ceux qui en parlent dans la France des années 50, et ils verront comment la culture y était démocratique et ouverte à tous. La politique de "culture pour chacun" a été la politique dominante de ces trente dernières années, elle qui a conduit au développement considérable des bibliothèques municipales à partir des années 70, à la création des scènes nationales dans les petites villes, à l'explosion des programmes culturels en direction des handicapés, des prisonniers, des enfants.
Voir dans la "culture pour chacun" la solution du problème est donc certainement une illusion ; mais elle l'est encore plus si on détourne ce slogan de son sens. Ce que veut Francis Lacloche, conseiller au cabinet du ministre de la culture, c'est ce que pratiquent les maires des villes de droite de la banlieue parisienne : un théâtre pour combler les besoins d'absolu des élites de la bonne société locale, un festival de hip-hop pour calmer les jeunes excités du quartier chaud qu'on préfèrerait ne pas avoir chez soi. C'est ça, leur culture pour chacun : la renonciation totale à cet élitisme pour tous qui avait été un autre grand slogan des années 60 ; c'est la segmentation des publics et des offres, la réduction de ce que nous appelons la culture à un divertissement pour les élites (en lui retirant tout ce qui pourrait blesser ces gens-là), et le gavage des publics populaires avec les produits préformatés qu'une industrie plaintive mais florissante leur fournit déjà sans coût pour l'État.
On s'en doute, tout cela aboutit à quasiment rien : il faudrait labelliser les actions existantes et en encourager d'autres, le tout à grand renfort de communication et d'"événements". Les labels, c'est comme les rapports : ça fait joli, mais au fond, à quoi ça sert ?
Quand le Ministère de la Culture tombe si bas, quand il n'est plus comme depuis quelques années que la chambre d'enregistrement des industries médiatiques, évidemment, on ne peut pas attendre mieux que ce genre de demi-réflexions à moitié assumées...

*Pour les lecteurs éloignés de la France et de l'actualité française : le père de la demoiselle, roi des politicards véreux, vient d'être nommé ministre de la Défense alors que tout le monde le pensait - l'espérait - mort et enterré.

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