L’Opéra de Munich est une bonne maison, je crois qu’il n’y a plus guère d’amateurs d’opéra en France pour en douter : la prochaine saison devrait encore donner quelques occasions de s’en convaincre. La saison est tout entière dominée par une nouvelle production du Ring de Wagner (premières entre février et juin, avec deux cycles complets en juillet), qui n’aura aucune difficulté à renvoyer aux oubliettes la piteuse tentative parisienne en cours, pour sa mise en scène (Andreas Kriegenburg, presque totalement inconnu en France, mais qui avait déjà signé un magnifique Wozzeck dans la même maison), sa direction musicale (Kent Nagano) et sa distribution, des grands jusqu’aux plus petits rôles.
On peut se réjouir d’entendre Nina Stemme en Brünnhilde du Crépuscule, mais tout autant Wolfgang Koch en Alberich, ou l’excellent Ulrich Reß qui chantait déjà Mime dans le Ring précédent. Avec le temps, je finis à vrai dire par être de plus en plus convaincu que, pour un opéra de Wagner (presque) tout est fait dès lors qu’on a un chef à la hauteur : les grands chanteurs sont un plus, mais ils n’y peuvent rien quand le chef les ensable comme le fait Philippe Jordan à Paris, alors que Nagano saura réveiller même les plus plats.
Pour le reste, avouons-le, la saison est un peu écrasée par l’événement : je ne manquerai pas Les Contes d’Hoffmann (première le 31 octobre), parce que Richard Jones saura certainement trouver un angle d’attaque stimulant, parce que Constantinos Carydis fait partie des jeunes chefs incontournables, parce qu’on m’a promis une version musicologiquement à jour de la partition et non l’épouvantable soupe qui accompagne la belle mise en scène de Robert Carsen à Bastille (merci à Hugues Gall pour ce gâchis…). Pour la distribution, je suis plus réservé : Diana Damrau dans les 4 rôles féminins, soit ; mais on nous annonce Rolando Villazón en Hoffmann, ce qui a tout d’une mauvaise blague : il faut espérer qu’il aura la conscience professionnelle suffisante pour annuler avant le début des répétitions, et pas une heure avant la première – sans même parler de la pire hypothèse : qu’il n’annule pas… L’autre première de la saison est Turandot de Puccini (La Fura dels Baus, Zubin Mehta) : à quoi bon… Même bien dirigé, bien chanté (pas sûr !), bien mis en scène, un péplum étouffe-chrétien reste un péplum étouffe-chrétien…
Reste les reprises : Nikolaus Bachler, avec toutes ses prétentions modernes, va ressortir des entrepôts cette même Cenerentola mise en scène par Jean-Pierre Ponnelle que nous aurons à Paris : il a plus de légitimité que Joel pour le faire, puisque la mise en scène a été créée pour Munich, et la distribution (Brownlee, DiDonato, Esposito, Corbelli) est sans commune mesure avec la routine parisienne, mais tout de même, Rossini mérite mieux, surtout que le Studio de jeunes chanteurs de l'Opéra de Munich avait eu l’occasion de présenter il y a quelques années une merveilleuse production d’Arpad Schilling… On pourra revoir quelques productions pas inintéressantes de ces dernières années, comme le Fidelio très beau à défaut d’être très passionnant de Calixto Bieito (avec Zubin Mehta à la baguette ; ma critique Resmusica), le Wozzeck de Kriegenburg dont je parlais (hélas sans Nagano, merveilleux lors de la première série) ou le Macbeth pas entièrement réussi, mais stimulant, de Martin Kušej, le tout à côté de productions très anciennes, parfois dépouillées de toute qualité, dont même le souci de remplir les caisses peine à justifier la présence.
On me pardonnera de ne pas faire de commentaires plus exhaustif de ces productions ; voici ci-dessous au moins une notation succincte des productions que j’ai vues une ou plusieurs fois, soit 18 des 35 productions de la saison prochaine (dont 7 pas encore créées ; j’ai donc d’ores et déjà vu les 2/3 des productions de la saison prochaine). Les étoiles (de 1 à 5) portent uniquement sur la mise en scène, pas sur l’œuvre ou les distributions.
Beethoven, Fidelio (Bieito) ****
Berg, Wozzeck (Kriegenburg) *****
Bizet, Carmen (« d’après une production de ») *
Mayr, Medea in Corinto (Neuenfels) **** (mais l’œuvre est terrible, cf. ma critique Resmusica)
Mozart, Così fan tutte (Dorn) *** (du tradi plutôt bien fait)
Mozart, L’Enlèvement au Sérail (Duncan) ***** (production détestée par les habitués…)
Mozart, Le Nozze de Figaro (Dorn) *** (comme Così !)
Mozart, La Flûte enchantée (Everding) ** (production autrefois magique, sans doute, mais désespérée aujourd’hui, malgré un rafraîchissement récent)
Puccini, La Bohème (Schenk) *
Puccini, Tosca (Bondy) ***
Strauss, Le chevalier à la rose (Schenk) **
Tchaikovski, Eugène Onéguine (Warlikowski) *** (oui, ce n’est vraiment pas le meilleur Warli)
Verdi, Don Carlo (Rose) *** (critique Resmusica)
Verdi, Luisa Miller (Guth) ** (les jeux de miroir, ça va bien 5 minutes ; et quelle œuvre, mon Dieu, quelle œuvre !)
Verdi, Macbeth (Kušej) ****
Verdi, La Traviata (Krämer) ** (bien loin d’être aussi bête que le Ring funeste du même Krämer, mais paresseuse au possible)
Wagner, Der Fliegende Holländer (Konwitschny) ****
Wagner, Parsifal (Konwitschny) ***** (critique très bientôt sur Resmusica)
Joignez-y une saison très agréable de ballet, avec par exemple une nouvelle série de représentations de la Giselle inoubliable de Mats Ek, la grande épopée sur Louis II de Bavière de John Neumeier (Illusions – comme un Lac des Cygnes, critique très bientôt sur Dansomanie) ou le retour du Casse-Noisette très réussi de Neumeier, moins radical que Giselle/Ek, mais très fin pourtant ; et voilà bien des raisons de se rendre dans une ville qui, pour ne pas être la plus charmante d’Allemagne (on sait que vous avez de l’argent, pas la peine de nous l’asséner comme ça tout le temps !), n’en a pas moins quelques richesses culturelles.
À propos, puisque je parlais dans ce message de Martin Kušej et de Dieter Dorn : le premier va remplacer la saison prochaine le second à la tête du principal théâtre national en Bavière, la petite chose située juste à gauche de l’Opéra, et Dorn a soigné sa sortie avec une Petite Catherine de Heilbronn (Kleist) en guise de manifeste-testament-credo-cadeau d’adieu : 4 h 45 avec 2 entractes, texte intégral, costumes vaguement modernes, respect d’airain pour le reste, et Dorn lui-même en guise d’Empereur. Ça marche du tonnerre, puisque la salle ne désemplit pas, avec un public à vrai dire particulièrement âgé et toussotant, et le spectacle (j’en sors) n’est même pas si mauvais, même si on se lasse un peu de voir les effets scéniques (ma voisine bondissant au plafond à chaque fois…) utilisés à ce point pour ranimer l’attention du spectateur ; mais quel plaisir de pouvoir dire adieu à ce vieux théâtre, au manque d’imagination au pouvoir, au « on a toujours fait comme ça » ! Avec Kušej et Johan Simons aux deux théâtres de la ville, Mariss Jansons* et Kent Nagano aux orchestres de la radio bavaroise et de l’Opéra, cette ville a de quoi stimuler les envies culturelles ; il ne reste plus qu’à espérer, à terme, que l’Opéra réussisse à recruter un intendant qui parle un peu moins de modernité et en propose un peu plus sur la scène.
*Le programme de l’Orchestre de la radio bavaroise est paru, au passage (fichier PDF).
mardi 26 avril 2011
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