D'abord parce que l'identité du festival de Pâques à Salzbourg était épouvantable. Un lieu où il faut payer plusieurs centaines d'euros pour adhérer à une association avant même d'avoir le droit d'acheter des billets eux-mêmes hors de prix, ce n'est pas très sympathique. Quand en plus le principe même du festival (deux représentations d'opéra et quelques concerts) implique des coproductions qui font que vous pourriez voir le même spectacle pour deux fois moins cher, disons-le franchement, il y a un problème.
Sans doute les Berlinois ont-ils leur part de responsabilité dans cette affaire : le demi-échec du Ring coproduit avec Aix-en-Provence, qui a plombé l'ambiance pendant 4 ans, était un peu leur grand projet ; sans doute le choix de Baden-Baden, qui n'est pas vraiment un haut lieu de la classe ouvrière, indique bien que la démocratisation ne risque pas d'aller trop loin (on attend de connaître le prix des places pour la première édition en 2013...). Mais tout de même : il est bon de savoir reconnaître un échec, ce qu'ils ont fait.
Ensuite parce qu'il n'est pas mauvais de forcer nos amis salzbourgeois à regarder un peu la réalité en face. Salzbourg et l'Autriche dans son ensemble sont très heureux d'accueillir les très fructueux festivals qui s'y déroulent, et qui sont - croyez-en mon expérience - extrêmement agréables pour les spectateurs. Mais enfin, tout de même, il ne serait pas mauvais que ceux qui en tirent profit de la façon la plus tangible - sonnante et trébuchante - qui soit acceptent aussi de s'y impliquer un petit peu. Le choix du très réactionnaire Alexander Pereira pour diriger le festival d'été à partir de 2012 est un des signes les plus patents de cette vision du festival, au plus haut niveau politique autrichien, comme une vache à lait et non comme une fierté culturelle, comme un lieu essentiel dans la vie de la cité.
Malgré tout une des plus formidables salles de concert du monde : le Mozarteum |
Le départ des Berlinois, espérons-le, pourrait être le coup de pied aux fesses que méritent les responsables politiques autrichiens (que Nikolaus Bachler, en quittant le principal théâtre viennois pour l'Opéra de Munich, avait qualifié peu aimablement, mais assez justement de "coalition de zéros"). En attendant, Salzbourg devra se contenter de l'éternel Philharmonique de Vienne, gonflé de fatuité, incapable de remises en question, indécrottablement conservateur : tout l'inverse des Berlinois, en somme.
Sous le choc, Salzbourg cherche un remplaçant pour les Berlinois (pas question, bien sûr, de repenser en profondeur le modèle hérité de Karajan !) : le pire n'est jamais certain, mais il est malheureusement symptomatique que ce soit du côté de Dresde et de son chef Christian Thielemann, le plus conservateur des chefs d'aujourd'hui (et pas le meilleur) que se tournent les regards. Ces tentatives ont l'apparence d'une nouvelle fuite en avant dans la réaction : rassurez-vous, les Autrichiens n'en sont pas là ; il n'y a qu'une chose qui les intéresse ici, comme ailleurs, c'est l'argent, le commerce, les stars. Bref, d'ici à ce que cela vaille le coup de se déplacer à Salzbourg à Pâques, vous avez le temps de lire tout Thomas Bernhard.
PS : Je ne vous avais pas signalé, je crois, la nouvelle saison du Festspielhaus de Baden-Baden, le vaisseau amiral de la culture privatisée en Europe (ce n'est pas mon menu préféré, à vrai dire) ; le Philharmonique de Berlin, qui n'a pas de raison de se presser, ne publiera la sienne que le 30 mai.
PS: je constate au passage que le Festival de Pentecôte confié à Riccardo Muti et organisé autour du thème de la musique napolitaine ne fait pas recette, puisqu'il reste des centaines de places libres chaque soir, à tous les prix. Le choix de Muti, c'était à la fois un choix réactionnaire (anti-baroqueux sur le territoire des baroqueux) et très star power : cet échec est donc particulièrement réjouissant !
Très bonne analyse....
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