dimanche 11 septembre 2011

Le public ? Ah non, ces gens-là sentent trop mauvais

Encore l'Opéra de Paris ? Encore dire du mal de Nicolas Joel ? Oui, j'avoue, j'en suis le premier désolé, mais l'actualité s'impose à moi comme à bien d'autres, sur les forums comme sur les blogs (mais pas dans la presse officielle, qui s'en fiche, comme toujours) : la politique commerciale de l'Opéra, dont j'ai largement eu l'occasion de parler ici, atteint de nouveaux sommets dans l'art de prendre son public à rebrousse-poil.
Hommage à Gerard Mortier (c'est le titre)

L'Opéra de Paris a toujours pris grand soin à ne pas apparaître comme une institution sympathique, par un curieux mélange de pesanteur bureaucratique, de refus de communiquer avec son public et de créativité quand il s'agit de compliquer la vie des spectateurs. Mais il faut avouer que, depuis 2009 et l'arrivée au pouvoir de Nicolas Joel, l'histoire s'est accélérée en ce début de saison. On me dira qu'après tout, puisque je n'aime pas ce que fait Nicolas Joel, je n'ai qu'à aller voir ailleurs et laisser ceux qui aiment le rance s'en enivrer. Sans doute. Mais d'abord Nicolas Joel, si solide que soit sa vocation pour la médiocrité, ne parvient pas tout à fait à tout rater (pour ce début de saison, je ne manquerai pas Angela Denoke en Salomé, et je manquerai hélas - notez la date si ce n'est fait - la magnifique Juliane Banse qui donne un Liederabend le 5 octobre) ; ensuite, il y a la danse, pour lequel l'Opéra de Paris reste difficilement contournable, n'en déplaise à mes ami(e)s russophiles indécrottables. Mais du reste, il serait un peu injuste de trop frapper sur Nicolas Joel, même si comme le veulent les Shadocks il convient de toujours taper sur les mêmes pour faire le moins de mécontents possibles, et même si ça défoule : directeur falot, sans doute plus médiocre que méchant, ce dernier ne dirige l'Opéra que quand il met en scène ou impose son Inva Mula préférée (5 rôles en 3 saisons...). Le vrai patron, c'est Christophe Tardieu, directeur adjoint de l'Opéra de Paris depuis 2010, à un poste qui a été créé pour lui, et qui, pour la bonne santé des finances publiques, mériterait d'être supprimé d'urgence.
Christophe Tardieu avait fait parler de lui en 2009 lorsqu'il avait dénoncé à TF1 un de ses salariés qui avait osé émettre des doutes à l'égard de l'Hadopi, cette institution d'autant plus indispensable qu'on n'a pas encore trouvé à quoi elle sert (à part consommer 14 millions d'euros, bien sûr). Cet inspecteur des finances était alors membre du cabinet de la ministre de la Culture Christine Albanel avait donc le profil parfait pour jouer le traître de l'histoire, après l'avoir secondée dans la disneylandisation de Versailles. Il fallait un scélérat : on en trouva un. Il n'était pas question d'améliorer en quelque façon que ce soit les relations de l'Opéra avec son public. Ceux qui se disent que l'Opéra ne va pas pouvoir continuer éternellement à ne pas fournir d'adresse mail et à se contenter d'un numéro surtaxé qui aboutit à des opérateurs situés au diable vauvert et n'ayant jamais entendu parler de Verdi ou de Mozart croient au Père Noël. S'imagine-t-on qu'avec un budget ridicule de près de 200 millions d'euros dont la moitié de subventions il est possible de financer un service des relations avec le public en mesure de répondre à des gens qui, comble d'horreur, pourraient avoir l'audace de ne pas toujours être contents ? Il serait bien déplacé de mentionner que le Royal Opera de Londres, avec une subvention publique trois fois moins importante, possède à la fois une adresse mail et un numéro de téléphone, et qu'on y reçoit une réponse en moins de 24 h. Et puis, une institution comme l'Opéra de Paris qui peut se vanter d'avoir, seule au monde, osé abolir la location par correspondance ne recule devant rien.


Les nouveautés de cette rentrée sont multiples. J'avais déjà évoqué le redécoupage lui-même scélérat des deux salles, l'augmentation massive du prix des places qui en découle, la dégradation des conditions  ; mais tout cela était prévisible, connu, en quelque sorte digéré. De même pour le fait qu'il faut désormais débourser trois euros pour avoir droit à l'envoi de ses places à domicile, sachant qu'il ne saurait être question de retirer les places aux guichets - à votre imprimante de travailler un peu, pas question de vous permettre d'avoir un contact humain !
Non, la surprise du chef, c'est que désormais, les fameux guichets seront ouverts royalement 4 heures par jour, hors les ouvertures de location. 14 h 30-18 h 30. Au Royal Opera, c'est 10 h-20 h, au Met de même avec en plus une ouverture le dimanche de midi à 18 h, à Munich 10 h-19 h. Toutes salles qui, évidemment, n'ont pas le prestige immense et unique de l'Opéra de Paris, qui n'ont pas à faire face à la même demande soutenue que l'Opéra de Paris.
Mais il y en a une autre. Voilà que l'Opéra de Paris a commencé à mettre en vente par internet des places qui, jusqu'ici, étaient uniquement vendues aux guichets, autrement dit les places les moins chères de la salle. En tant que provincial, bien sûr, je ne peux que me réjouir que ces places pour lesquelles il me fallait compter sur des amis de bonne volonté me soient directement accessible, comme c'est du reste le cas dans toutes les grandes maisons d'opéra du monde. Mais il y a un hic, et même plusieurs. Le premier, c'est que ces places, à Garnier, sont à visibilité réduite, du moins officiellement : il faut attendre la page de confirmation pour le savoir. Le second, c'est que cette mise en vente se fait de façon totalement anarchique, sans qu'il y ait un calendrier officiel, sans que quiconque en soit averti, sans qu'il y ait une réelle logique dans la nature des places disponibles.
Et puis, bien sûr, reste le grand crime de l'Opéra de Paris - et, il faut bien le dire, de l'ensemble des salles de spectacle françaises, qui n'ont cela dit pas toutes un plan de salle aussi complexe que l'Opéra -, c'est qu'il n'est pas possible de choisir ses places sur plan, qu'autrement dit on risque fort de vous vendre des places qui ne vous plaisent pas alors que celles qui vous plaisent sont disponibles. Mais ça, bien sûr, on s'en moque.


L'impression que tout cela me donne, c'est que, certes, M. Christophe Tardieu joue parfaitement le rôle qu'on (Joel? Le Ministère de la Culture? Celui des Finances?) lui a assigné. Sans pitié, rationaliser le fonctionnement de l'Opéra de Paris pour l'amener à plus d'efficacité économique. Sauf que M. Tardieu n'est pas un manager, même si c'est ainsi qu'il se présente (ici par exemple) : c'est un administratif, un suppôt de cabinet, un haut fonctionnaire qui n'a même jamais pantouflé. Je ne vais certainement pas dire que la culture de la gestion d'entreprise est la panacée, certes non, elle est même en partie l'ennemi. Mais il y a de toute façon pire que le management, c'est le management mis en pratique par quelqu'un qui ne le connaît que par les manuels des écoles de commerce, qui applique des méthodes sans réfléchir à l'économie d'ensemble du système. L'adhésion du spectateur à l'institution, ça ne rapporte rien. La réputation de la maison ne se vend pas, ce sont les billets de spectacle qui remplissent les caisses - et d'ici à ce que les gens désertent vraiment l'Opéra... Le calcul, bien sûr, est faux : ce mépris se paiera, comme la négation de l'intelligence du public par la programmation de Nicolas Joel.

10 commentaires:

  1. Dans le même ordre d'idées, un participant du forum ODB est allé lire les commentaires sur l'Opéra sur TripAdvisor : http://odb-opera.com/modules.php?name=Forums&file=viewtopic&t=10188
    Exemple : "One of the most beautiful buildings in Paris- pity the staff is really rude".

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  2. Ah mon dieu, tout s'éclaire ! Le même Christophe Tardieu ! Reste effectivement à savoir à qui il s'en rapporte. Ah, ces élites françaises, on n'a ça que chez nous !

    Et pendant ce temps, on engloutit 100 millions d'Euros par an de budget de l'État pour subventionner les touristes (russes ou japonais essentiellement). Cette année, je me demande même si je dois rester à l'AROP : comment peut-on soutenir une maison pareille ?

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  3. L'AROP qui ne fait d'ailleurs que renforcer le problème en donnant une image déplorable à la maison (snob, élitiste, fermée), à mille lieues de ce que sont les Friends du ROH !

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  4. Je ne pense pas que je partage ton sentiment par rapport à Christophe Tardieu. Désormais presque toutes les grandes structures publiques sont gérées par des managers (administratifs -- non-professionnels du métier lié à l'institution donnée). Le fardeau bureaucratique n’arrête pas de s'alourdir et le système est devenu tellement compliqué (souvent absurde !) que les gens du métier (artistique, scientifique, technologique) --une fois élus à la tête d'une importante institution publique-- sont obligés soit d'abandonner leur carrières/métiers pour se dédier à la gestion administrative (et la font souvent mal), ou laisser la main a qqn qui connait bien le système et ces règles opaques. C'est le problème du système et de l'administration qui dépasse l'ONP.

    Trouver des managers bons & expérimentés pour gérer l'ONP est impossible parce que le salaire que tu peux lui offrir est tjrs moins bon que dans le privé (on parle d'un facteur 5-50 de différence !)

    L'ONP a tout de même reglé quelques problèmes : ça ne sent plus urine ni devant Bastille, ni devant Garnier ; les places dans toutes les catégories sont mises en vente par Internet, lecture électronique à l'entrée... Je suis d'accord qu'ils peuvent/doivent améliorer le site et nous donner l'option de choisir nos places, mais ce premier pas était très important.

    Quant à l'impression des billets chez soi -- je ne vois pas d’inconvenant. J'ai tjrs pensé que les envois gratuits des billets [et puis des billets en carton glacé avec des bordures dorées] était du pure gaspillage. Tu peux désormais même choisir de ne pas imprimer ton billet mais seulement montrer le code-barre (depuis ton tél-portable, par exemple) au contrôleur à l'entrée.


    Tout ça pour dire que je reste sur ma position et que le vrai problème est dans la programmation, dans la médiocre qualité de ce que l'ONP offre, la monotonie, le conservatisme exclusif et agressif, la démarche anti-intellectuelle et anti-artistique (on crée quoi ?), et la tendance vers l'utilisation de l'opéra exclusivement comme un vecteur du divertissement des gens plus aisés.
    Le théâtre lyrique post-moderne devrait justement être le pont entre les élitismes de toutes sortes et le côté populaire, entre la création et la tradition..., mais toujours parler aux hommes d'aujourd'hui (de toutes couches sociales).

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  5. Quel magnifique article! enfin des gens qui partagent le même sentiment que moi. Je viens aussi de province et ne vais voir que les Ballets, mais cette saison se fera sans moi, notamment à cause de l'horrible programmation et de la façon dont nous a répondu la Direction de la Danse lors d'une lettre de plainte que nous avions formulé. Les artistes de cette maison ont bien peu de chance d'avoir des gérants qui frisent la stupidité crasse. Tout ce qui se passe en cette rentrée : hausse des tarifs, mauvaise gestion, le coup des 3 euros ... bref, à la limite cela se passe de commentaires ...

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  6. j'approuve et sur-approuve cet article. L'attitude de l'ONP vis à vis du public est devenue lamentable, et ce facteur est devenu déterminant dans ma ré-allocation de budget spectacles en faveur de Londres. Là bas aussi on a des ratés artistiques retentissants, mais en moyenne il y a plus de soirées excitantes qu'à l'ONP, et surtout c'est moins cher pour les places de catégorie intermédiaire et inférieure, et leur service de relations avec le public est topissime

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  7. Merci à notre Anonyme et à Paco pour leurs messages qui répondent en quelque sorte à Opera-Cake: on peut toujours discuter telle ou telle mesure de Tardieu, ça ne change rien au bilan d'ensemble : arrogance, réflexion en fonction des besoins de la maison et pas en fonction des besoins du public, absence de projet d'ensemble pour l'Opéra. Quand même, une institution publique qui ne met même pas un mail à la disposition de son public, ça veut dire quelque chose, non ?
    Sans doute les sourires et les bonnes manières du ROH ont quelque chose d'un bon élève de la classe de marketing, mais le service derrière est bien différent (meilleur système de billetterie que je connaisse, p. ex.), et l'amabilité, c'est tout de même pas désagréable.

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  8. Mais ce serait bien sûr mieux s'ils rajoutaient des tas des sourires et des petites phrases aimables, s'ils offraient une grosse carafe d'eau gratos pendant les entractes... Je ne conteste pas ça.

    Ce que me gène dans cette (et similaires) discussion(s) c'est qu'on est au bord d'un Titanic qui coule et on se plaint de la musique. J'aurais préféré être assis sur un banc, n'avoir que des machines à cochonneries pendant les entractes mais assister à des spectacles excitants, humainement et intellectuellement enrichissants... plutôt qu'à des sourires à 2 balles, une fontaine de l'eau minérale gratuite et des spectacles lamentables, de stupidité déconcertante et d'un conservatisme monstrueux (un bon exemple vous est actuellement servi dans Salomé à Bastille).
    Oui, avoir les deux (bon contenu et les services de haute qualité) serait fantastique mais définissons les priorités !

    Désolé pour Paco [Hi by the way!], mais je ne pense pas que l'ONP soit pire que la ROH. C'est désormais la même chose, à 2 sourires et 4 mails gentils près. L'ENO, en revanche...

    Et seulement quelques années plus tôt, l'ONP était un des plus excitants théâtres lyriques au monde.
    Pourquoi on est arrivé là où on est ? A cause de l'adresse mail pas bien affichée ? A cause de l'arrogance de Tardieu ? (montrez moi UN seul haut fonctionnaire qui n'est réellement pas arrogant, je vous offre une bouteille du bon vin !) Ou bien à cause de l’incompétence, l'arrogance et des esprit fermés (bétonnés) de ceux qui définissent le contenu de ce que l'ONP offre ?

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  9. Bien sûr que tu as raison en privilégiant le contenu, et bien sûr que ce qui nous est présenté à l'ONP est indigne et dégradant (si tu râles contre Salomé, attends de voir le Faust de Martinoty !!!). Mais pour moi le contenu et la relation au spectateur sont vraiment les deux faces de la même médaille. La transmission, c'est essentiel ; le fait de donner de la cohérence aussi. Si l'Opéra de Paris a failli crever au début des années 70 (ce qu'il ne faut surtout pas oublier, parce que ça pourrait se reproduire), c'est bien parce que la maison ne fonctionnait que pour elle-même, sachant que de toute façon elle avait déjà perdu le pari de la relation avec les spectateurs.
    Au ROH, la situation artistique n'est pas aussi négative que tu ne le dis. D'une part, je ne crois pas qu'il soit juste de les juger à l'aune de ce qui se fait à Bâle ou au Komische Oper ; d'autre part, il y a tout de même des choses moins plan-plan qu'à l'Opéra, et j'espère bien en particulier que tu iras voir la sublime Rusalka mise en scène par Jossi Wieler, reprise de Salzbourg 2008 (j'avais fait un long message sur cette production). Et Richard Jones qui met en scène Il Trittico, ça ne doit pas être si mal, non ? Qu'il y ait ensuite des vieilleries pour remplir les caisses, je trouve ça compréhensible et inévitable, et toutes ne sont pas aussi nulles que ce qui se fait à l'Opéra (j'ai vu récemment le Macbeth de Phillyda Lloyd, présenté à Bastille il y a plus de 10 ans, et je vais bientôt voir en scène les Noces de McVicar, très traditionnelles MAIS vivantes)...

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  10. Merci d'avoir ouvert le sujet, de l'avoir si bien traité et de voir la réaction des commentateurs.

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