Ça y est : j'ai trouvé mon concert préféré de la saison 2011/2012. Vous me direz que c'est un peu, tout de même, comme ça, au beau milieu du mois d'octobre, et que ça ne traduit pas une grande confiance en l'avenir. Mais j'ai deux bonnes raisons pour ce choix précoce. La première, c'est que je n'ai pas de mémoire et qu'au moment où tout le monde se met à faire son bilan de saison il me faut un effort considérable pour tenter de remonter au-delà des trois derniers mois. La seconde, c'est tout simplement que si d'autres concerts pourront être aussi passionnants que celui dont je vais vous parler, je ne crois pas qu'il reste beaucoup de marge pour faire encore mieux. Le grand gagnant est donc...
... le concert consacré à Louis Couperin et Froberger à la Cité de la Musique - plus précisément dans le merveilleux amphithéâtre du Musée de la Musique - où Christophe Rousset chevauchait le très historique clavecin Couchet 1652.
Que faut-il pour faire un bon concert ? Ô surprise : il faut avant tout, avant même de commencer à parler d'interprétation, un bon programme. Vous aurez beau avoir un magnifique ténor, un chef génial, un pianiste surhumain : si vous leur faites bêler Massenet, mouliner Saint-Saëns ou malaxer Rachmaninov, vous n'aurez pas un grand concert. Mais dans le programme de ce soir-là, on nous proposait déjà Louis Couperin, ce qui est déjà considérable, et plus encore, cette merveille absolue : Froberger. Johann Jakob Froberger, compositeur inconnu du grand public, méconnu des mélomanes, et encensé par ceux qui le connaissent. Né en 1616, mort en 1667. Connu pour quelques dizaines de pièces pour clavecin et pour orgue, pour beaucoup conservées seulement sous forme manuscrite.
Le concert était présenté dans le cadre d'un de ces cycles plus ou moins convaincants qui structurent la programmation de la Cité de la Musique, consacré aux "larmes" : j'ai un peu de mal, je l'avoue, à rattacher la musique de Froberger à un affect précis ; si le thème funéraire est évidemment présent par les deux Tombeaux écrits par Couperin aîné et par Froberger pour leur ami luthiste Blancrocher (comme dans celui écrit par Froberger à la mémoire du jeune Ferdinand IV, ou dans sa Méditation sur ma mort future, absents du concert), j'ai du mal à voir dans la musique de Froberger autre chose que de la musique pure (mais j'ai souvent du mal à voir dans la musique autre chose que de la musique, que ce soit une émotion ou un récit, sans même parler d'une description de paysage...).
Louis Couperin, l'étonnante liberté de ses préludes non mesurés, je trouve cela magnifique ; mais Froberger, lui, m'empêche pour ainsi dire de respirer tant je suis suspendu à la moindre note de ses polyphonies incroyablement inventives, à cette espèce de densité qui se suffit à elle-même, qui vous oblige à aller y voir vous-même de plus près parce que, derrière la forme parfaite qui est à la fois politesse de celui qui ne vous inflige pas le spectacle de ses rouages intérieurs et aussi une très aristocratique mise à distance, il ne s'agit pas de tout vous offrir sur un plateau.
Le deuxième héros de la soirée, vous l'avez vu ci-dessus : il s'agit du superbe clavecin de Johannes Couchet, acheté par l’État en 2006 et que je n'avais, sauf erreur, pas encore eu l'occasion de voir. Je ne suis pas nécessairement un grand passionné de l'art pompeux du mobilier grande époque, mais il faut bien avouer que passer une heure et demie le nez dans cette splendeur, c'est quand même bien agréable. Le clavecin, qui comme à peu près tous les instruments du XVIIe a été modifié ultérieurement (apparemment tout début XVIIIe), rend un son plutôt plus métallique que ce à quoi je m'attendais, sans atteindre la puissance sonore de ceux d'après 1750 (comme le beau Hemsch du même musée) qui sont un peu à leurs ancêtres du XVIIe un peu ce que peut être l'orchestre de Wagner par rapport à celui de Mozart ; pas une demi-portion, donc, mais un instrument extrêmement riche et complexe, qui n'est pas du genre à éclaircir les textures de Froberger, mais plutôt d'en exploiter les entrelacs.
Le dompteur de cet instrument sans pitié, ce soir-là, ce fut donc Christophe Rousset : la bête ne s'est pas toujours laissé faire, et bien des petites imperfections au début du concert ont montré qu'il fallait sans doute un moment pour se dégourdir les doigts sur un instrument pareil ; pour le reste, si on peut parfois avoir des réserves sur Christophe Rousset comme chef, son jeu solaire fait merveille pendant l'heure et demie (sans entracte !) que dure le concert. Un enchantement, je vous dis.
Photo : Cité de la Musique/Jean-Marc Anglès
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Il y a 15 heures
y aurait-il un "Retour à Froberger" comme il y a eu un "Retour à Bach", 2016 nous le dira...
RépondreSupprimerIl ne faut pas me dire des choses comme ça, je risque de me mettre à y croire !
RépondreSupprimerpersonnellement je le crois assez, en tout cas la perception que nous avons aujourd'hui de sa musique a joliment évolué, la culture pianistique dominée par le romantisme (ou du moins un certain romantisme...) nous aurait peut-être fait passé à coté de ces merveilles. En tout cas je partage votre enthousiasme!
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