samedi 28 janvier 2012

La Chauve-souris : ça vous fait rire ?

Moi, oui, ça me fait rire. Pas La Chauve-souris, l'opérette de Johann Strauss, en elle-même : les histoires d'adultère bourgeois, c'est très bien pour Au théâtre ce soir, mais s'il vous plaît, je crois que ça suffit comme ça. Non, ce qui m'a fait bien rire, et une bonne partie du public aussi, c'est la version qu'en a proposé le jeune metteur en scène Thorleifur Örn Arnarsson, au nom aussi doux que celui des volcans de son pays natal, dans mon bien-aimé théâtre d'Augsbourg (représentations jusqu'au 18 avril - 45 minutes de train depuis Munich...).


Sally du Randt, Jan Friedrich Eggers (photo A. T. Schaefer)


Mais cette production n'a pas fait rire tout le monde. À la première, quelques terroristes ont tout fait pour perturber l'ambiance à partir du 2e acte, et plus précisément à partir d'un moment précis : lors du bal chez Orlofski, le directeur de la prison viole la femme de chambre Adèle. Je l'admets volontiers : ce n'est pas dans le livret. Mais au fond, de quoi parle cette oeuvre sinon de cela ? Die Ratten, ces "petits rats" : cette pièce est typique de son temps, quand le troussage de domestiques était une norme sociale et la prostitution mondaine un commerce normal. Ce n'est pas jouer au moraliste hystérique que de dire ça, c'est simplement appeler un chat un chat. Peut-on, aujourd'hui, monter La Chauve-Souris en se limitant au premier degré, en se laissant porter au rythme des valses ? Non, sinon par bassesse, par paresse intellectuelle, par bêtise.

Victime (Cathrin Lange, photo A. T. Schaefer)
 Coline Serreau, dont on parle beaucoup ces temps-ci pour d'autres raisons, avait à Bastille en 2000 tenté de désamorcer la bombe avec une sorte de prologue où la victime de la grosse blague qui donne son titre à la pièce devenait un juif pourchassé par les nazis : c'était d'autant plus imbécile que le reste du spectacle nageait dans une convention à périr d'ennui (ce qui est une forme de fidélité à la pièce, en fait). Hans Neuenfels, l'année suivante à Salzbourg, avait frappé un grand coup pour le dernier festival de l'ère Mortier : Neuenfels avait évidemment parfaitement compris ce qu'il y a d'odieux dans cette oeuvre et plus encore dans l'amour que les Autrichiens lui portent. Il en avait donc fait un réquisitoire mordant contre les compromissions et la lâcheté qui sont devenues une seconde nature chez les élites autrichiennes. C'était terriblement féroce, mais aussi férocement drôle (évidemment, vous savez que ça existe en DVD, indispensable).
Notre volcan islandais ne va peut-être pas aussi loin que Neuenfels, mais sa mise en scène dit les choses qui doivent l'être, et elle les dit bien. Sans doute, on préfèrerait en rire : la tyrannie de l'alcool obligatoire, le troussage de domestiques, l'arbitraire policier, la violence bourgeoise, tout cela, n'est-ce pas, est tellement drôle. Mais voilà, ce qui est drôle pour les uns ne l'est pas forcément pour les autres. Oublie-t-on que si l'honorable Gabriel von Eisenstein doit passer quelques jours en prison, c'est parce qu'il a giflé un pauvre hère dans l'exercice de ses fonctions - avant de traiter de tous les noms son minable avocat, puis de considérer que, ma foi, la prison, c'est bon pour les autres (n'est-ce pas M. Juppé ?).
Et ces choses graves, il sait les dire avec humour. La comédie de moeurs, il sait la montrer : l'entame du spectacle, avant que tout se dérègle, est brillante, admirablement dirigée, pleine de rythme.  De part et d'autre de la scène, deux moniteurs : on nous explique que, de cette façon, ceux qui n'aiment pas ce qu'ils voient sur scène n'auront qu'à suivre la partition. C'est impertinent, mais c'est bien vu : si vous préférez la lettre à l'esprit, voici la lettre, servez-vous. Sans doute le spectacle, à force de dialogues ajoutés, est un peu long (3 h 15, entracte compris), mais tout ce qui est ajouté est pertinent.
J'espère entendre reparler de ce M. Arnarsson au plus vite : le monde de l'opéra a besoin de lui.


Bande annonce du spectacle

(Il serait injuste de ne pas mentionner aussi la partie musicale du spectacle : l'orchestre d'Augsbourg continue de ne faire que s'améliorer, ici sous la direction de son nouveau "sous-directeur musical", qui montre un sens certain de l'opérette, et avec une distribution très honorable - outre la diva locale Sally du Randt, je signalerai surtout la voix légère et la grâce de la jeune Cathrin Lange, parfaite Adèle)

2 commentaires:

  1. Raffaello28/1/12 17:49

    Et qui est le nouveau "sous-directeur musical"?

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  2. Il s'appelle Rune Bergmann
    http://www.theater.augsburg.de/content.php?nav=4&sub=64&subsub=0&sel=2&mitID=392
    On verra à l'usage, mais ce premier contact donne envie de voir la suite...

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