mardi 10 janvier 2012

Les vieux jours du révolutionnaire professionnel : Castorf, c'est fini

C’est un peu à l’insu de mon plein gré que je me suis rendu à la première de La dame aux camélias à l’Odéon : j’aime (j’aimais) bien Jeanne Balibar, mais le metteur en scène Frank Castorf ne me laissait guère d’espoir. J’avais tort : ce fut pire encore.

Kadhafi et Berlusconi en guest stars (photo Alain Fonteray/Odéon)

Commençons, s’il vous plaît, par un peu de cuisine : moi, Olivier Py, j’aime bien vendre mes spectacles ; donc je me dis : « Tiens, je vais inviter Castorf à faire un spectacle chez moi, comme ça il va m’inviter à faire un spectacle chez lui ; et puis tant qu’à faire, je n’ai à qu’à inviter chez moi le spectacle que je vais faire chez lui ; comme ça tout le monde sera content ». Ainsi fut fait, ils se marièrent et eurent beaucoup trop d’enfants.
Un spectacle de Castorf, par principe, c’est long, et ça raconte plusieurs histoires. On prend un sujet dont on n’a pas grand-chose à faire (ici, donc, Alexandre Dumas fils), on mixe du Heiner Müller et du Georges Bataille (un peu d’érotisme, c’est bon pour le bouche-à-oreille), auteurs parfaitement in, Libé-Inrocks-Têtu, on crie, on chie, on régurgite, toute la panoplie. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser qu’avec l’affiche ainsi constituée Py a voulu refaire le même coup qu’il y a deux ans avec Un tramway/Warlikowski/Huppert : une histoire ancrée dans l’imaginaire collectif, un metteur en scène étranger réputé dérangeant, une star de cinéma (relative ici, trop « auteur »).
Malheureusement ça ne marche pas, parce que le lien fait par Castorf entre ses sources n’est que superficiel (oui, La dame aux camélias est pleine d'histoires de fric; oui, soit, le capitalisme domine le monde, et c’est mal) et que mille autres textes auraient pu remplacer ceux-là, et parce que Castorf, comme toujours, se fiche pas mal de dire quoi que ce soit sur quoi que ce soit (ne confondons pas : les déclarations, c’est dans le programme ou dans la presse, pas dans le spectacle). On en sort désespéré de penser que les branchés parisiens en sortiront peut-être en pensant que le théâtre allemand, c'est ça : de la provoc à deux balles, où la pose remplace tout contenu (pourquoi les programmateurs français s'imaginent-ils qu'il n'y a de théâtre en Allemagne qu'à Berlin ???). Pas besoin de tant de bruit pour faire la révolution, camarade.
Rien n’éclaire rien, et on se fiche pas mal que le décor ait un côté taudis, un côté hall aseptisé contemporain ; les acteurs y sont baladés sans ménagement, Jeanne Balibar a la voix cassée, elle qui avait une si belle voix parlée, et pendant ce temps Marguerite parle russe (très bien, pour autant que je puisse en juger). Le panneau lumineux tournant qui domine les deux versions du décor résume bien la pensée de café du commerce qui est depuis longtemps celle de Castorf. Anus mundi au registre supérieur, Global Network au registre inférieur : le sexe sale et la World company, oui, c’est ça.
Eh, Castorf, on est en 2012, là, la RDA n’existe plus ; non seulement tu radotes, mais les autres le disent mieux que toi.

3 commentaires:

  1. Je pense tout à fait l'inverse de vous... D'abord si Py faisait de l'échangisme on le saurait, il est un des rares à accueillir majoritairement des artistes indépendants sans espoir de retour. J'ai lu plusieurs fois qu'il considérait Langhoff et Castorf comme ses metteurs en scène préférés, donc il les accueille, c'est même son métier. Renseignez-vous que diable ! En ce qui concerne cette Dame, c'est votre droit de penser qu'il ne faut pas critiquer la bourgeoisie française et ne pas réfléchir aux fondements révolutionnaires de notre démocratie, de ne pas se poser la question de notre amour rassuré des empereurs plutôt que des républicains. Mais je trouve cette réflexion absolument pertinente, d'actualité et il est habile historiquement de partir de l'oeuvre de Dumas fils qui contient effectivement ces interrogations. Le spectacle à des défauts, des coquetteries inutiles, sans doute. Mais quel décrassage. Bien à vous, Adrien

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  2. Merci pour votre commentaire. Qu'il considère Castorf ou Langhoff comme ses metteurs préférés est une chose (j'imagine que vous parlez de Matthias Langhoff, que j'apprécie aussi, pas de son pontifiant père?), qu'il y ait dans cette saison quelque chose d'un peu douteux en est une autre (je pourrais mieux me renseigner sur Olivier Py, c'est vrai, mais son travail comme metteur en scène et auteur m'intéresse tellement peu...).
    Par ailleurs, je n'ai évidemment pas dit qu'il ne faut pas critiquer la bourgeoisie française, et je pense comme vous que La dame aux camélias peut être un excellent point de départ (côté lyrique, c'est ce que Marthaler avait admirablement fait avec sa Traviata parisienne !). Le problème est pour moi est que, ceci une fois posé dans le programme, je n'en vois rien sur scène, à part des poses répétitives. Evidemment, vous pourriez me dire que quand on aime Marthaler et Johan Simons avant tout c'est un peu normal qu'on soit moyennement réceptif à Castorf, ce ne serait pas entièrement faux !

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  3. Assez d'accord avec le commentaire de Rameau : nul doute que Dumas aurait pu faire un bon point de départ à cette critique, mais là, le spectacle est illisible, certaines scènes sont irregardables (genre l'ascenseur) et le jeu des acteurs est lourdingue. On est désemparés devant ce spectacle. Et pourtant, je vous prie de croire que j'adore, au théâtre, la déconstruction, la place accordée au corps, etc... mais là c'est vraiment dur d'appréhender la chose dans son entier. :-(

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