jeudi 9 juin 2011

La révolte des tutus - Rain, et après ?

Ça y est, c'est fini : les 12 représentations de Rain d'Anne-Teresa de Keersmaeker à l'Opéra de Paris sont du passé, en attendant une probable reprise dans les années à venir. Je n'ai une qu'une seule fois le spectacle, à mon grand regret tant l'événement était d'importance : entrée au répertoire d'une chorégraphe essentielle, jusque là réticente à l'intégration de ses œuvres dans les troupes autres que la sienne. La photographie que cette représentation livre du ballet de l'Opéra de Paris aujourd'hui mérite qu'on s'y arrête.

On en aura entendu parler, de cette première : tandis que sur les forums de danse on s'écharpait autour de la légitimité d'une telle entrée au répertoire (avec des arguments qui, dans un des deux camps, ressortissaient de la haine de la modernité dans ses plus beaux atours, haine qu'on connaît bien aujourd'hui à l'Opéra de Paris), les critiques officiels et non officiels faisaient pour la plupart assaut d'enthousiasme, sincère ou de commande, allant jusqu'à nier les réticences d'une partie du public parisien face à cette pièce qui dépassait leur entendement - et même ce blog se faisait l'écho de ces polémiques avant même que j'aie pu voir le spectacle.
Ballet contemporain cherche danseurs : le décor de Rain à l'Opéra Garnier
Rain est-il un chef-d'oeuvre? À mon sens oui, comme le message précédent l'expliquait.
Fallait-il le faire entrer au répertoire de l'Opéra ? Oui, trois fois oui, plutôt que de risquer la fadeur d'un travail tailor-made qui aurait risqué de les conforter dans leurs tranquilles habitudes.
Les danseurs de l'Opéra ont-il été à la hauteur de la pièce qu'on leur a soumis ? Malheureusement non.
Je n'ai certes vu que la seconde distribution (sans cette grande danseuse, désormais au bord de la retraite, qu'est Miteki Kudo, jamais assez reconnue à l'Opéra), mais je n'ai aucune raison de penser que ce soit ces danseurs-ci qui soient en cause : ce que j'ai vu dans Rain m'a trop fréquemment remis en mémoire tous les défauts que la troupe de l'Opéra a développé ces dernières années - et m'a fait prendre conscience de quelque chose que je n'avais pas voulu voir : le Sacre du printemps de Pina Bausch donné cet hiver était lui-même bien en dessous de ce que la même troupe donnait 10 ans plus tôt dans la même pièce.
Ce que Keersmaeker demande à ses danseurs est souvent difficile techniquement : cela nécessite souplesse, muscles, mais surtout tonicité, capacité d'agir et de réagir, vivacité d'esprit. Certainement, la formation classique ne peut pas être inutile là-dedans, mais elle est loin de suffire. Malheureusement, les danseurs ont montré qu'une fois épuisé le petit attirail de séduction primaire du parfait lauréat du concours d'entrée au Ballet de l'Opéra, ils étaient à sec. Le plus effrayant, ce n'est pas tant la danse que les regards : on leur a dit de se regarder ? Ma foi, ils se regardent, mais semblent ne pas se voir, semblent ne pas savoir pourquoi on leur a demandé cela, alors que c'est essentiel dans cette pièce comme dans une bonne partie de la danse contemporaine - la vraie, pas les gesticulations autistes d'un Wayne MacGregor, qu'ils semblent aduler pour leur plus grand malheur.
La distinction entre le classique et le contemporain est ici illusoire : les maux que révèlent Rain sont en réalité les mêmes dans les deux cas. L'Opéra n'est ni une troupe classique qui s'essaie au contemporain, ni une troupe contemporaine qui ferait du classique par obligation commerciale : il est une troupe en crise qui ne sait plus comment se définir. Le problème et la solution, ce n'est pas le répertoire, et ceux qui croient que c'est en se recentrant sur ses missions de défense du répertoire classique (comme s'il avait besoin d'être "défendu"...) que le ballet retrouvera son lustre perdu se trompent.
Le problème, c'est un problème de direction (mais quand donc Mme Brigitte Lefèvre, en poste depuis 16 ans et âgée de 67 ans, prendra-t-elle enfin sa retraite ?), et beaucoup plus précisément un problème de recrutement. Ils ont sans doute des qualités, les Dorothée Gilbert, Hervé Moreau, Mathias Heymann, Mélanie Hurel, Mathilde Froustey : ils sont beaux, ils sont gracieux, ils sautent à merveille - mais ils ne pèsent rien, ils n'expriment rien, et que dire d'une Ludmila Pagliero, première danseuse venue de nulle part et sans doute - hélas - prochaine étoile, qui n'a pour elle que sa technique solide, mais pas de sang dans les veines ? Il n'est pas si loin, le temps où la maison produisait des étoiles indiscutables comme Marie-Agnès Gillot, plutôt que ces demi-portions, incapables de soulever leurs partenaires, incapables de regarder au-delà du pas qu'ils sont en train de faire, comprenant la note et jamais la phrase...
Rain devait leur apporter une liberté, une aisance, un jeu avec le naturel qui ne pouvait qu'être utile à leur travail classique : l'occasion, sans doute, est manquée pour cette première rencontre ; dût-elle ne jamais avoir vraiment lieu, cette rencontre, on peut toujours se consoler en se disant qu'il est toujours plus honorable de se planter dans un chef-d'oeuvre comme Rain que de perdre son âme en dansant, fût-ce à la perfection, une imbécillité comme ces Flammes de Paris que nous a infligées le Bolchoi...

4 commentaires:

  1. Ce que vous dites me rassure... sur Keersmaeker du moins. Je voyais une de ses chorégraphie pour la première fois et je dois dire que je n'ai pas spécialement accroché et cela m'a d'autant plus frustrée qu'il ne semblait pas manquer grand-chose pour que cela soit génial. Il n'y a plus qu'à attendre l'année prochaine pour voir sa troupe au TdV.

    (Je suis assez d'accord avec le reproche général de danseurs fades, moins avec tous les noms - avez-vous déjà vu Dorothée Gilbert dans The Concert de Robbins, par exemple ?)

    RépondreSupprimer
  2. Rain reste certainement l'une des meilleures choré d'ATDK. A Bruxelles, c'est l'overdose d'ATDK, comme si elle seule incarnait la danse contemporaine, mais elle ne s'est jamais renouvelée; je ne vais plus voir ses spectacles, le dernier vu était atroce !!! sans appuis solides du côté des flamands, sont travail serait justement et salutairement remis en cause !!!

    RépondreSupprimer
  3. Ludmila Pagliero venue de nulle part? Parce en dehors de l'Opéra de Paris il n'y a rien? Que vous ne l'appréciiez pas je peux comprendre, mais des commentaires comme le vôtre montrent bien un manque de respect et un mépris qui n'a rien à voir avec l'art. Arrêtez de vous regarder le nombril!

    RépondreSupprimer
  4. Euh... franchement l'article dit tout le contraire, puisque je ne fais que reprocher à l'Opéra son manque de couleurs. Que des danseurs viennent d'ailleurs que de l'Ecole de danse de l'Opéra, j'y suis totalement favorable (et même le problème actuel de l'Opéra est lié aux faiblesses des danseurs que produit cette école, cf. mon message sur Coppélia !) ; mais je ne vois pas l'utilité d'aller chercher ailleurs une danseuse aussi pâle que celles qui sont issues de l'Ecole-maison.

    RépondreSupprimer

Une petite râlerie ? Une pensée en l'air ? Une déclaration solennelle à faire ? C'est ici !

NB : Les commentaires sont désormais modérés en raison de problèmes de spam. Je m'engage à publier tous les messages qui ne relèvent pas du spam, même à contenu désagréable

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...