samedi 3 juillet 2010

Nicolas Joel, (dépôt de) bilan

"C'est une question de goûts. J'ai les miens, certains en ont d'autres. Et puis la mise en scène ne fait pas tout : il faut aussi se préoccuper de ce que l'on entend."
Nicolas Joel, Le Monde, 18 mars 2010

Pour décrire la profondeur de la pensée artistique de Nicolas Joel, il faut recourir à Pelléas et Mélisande (citation contre citation...) : "Voyez-vous le gouffre, Pelléas ? Pelléas ? - Oui, je crois que je vois le fond du gouffre".

Mais foin de mauvais esprit, obéissons avec joie aux pensées du guide suprême et, par conséquent, préoccupons-nous de ce que l'on entend.
Quand on me parle de ce que j'entends, à l'opéra, j'ai toujours la grande faiblesse de penser d'abord aux oeuvres, à ce que le compositeur et son librettiste ont écrit, les chanteurs et les chefs viennent après. C'est sans doute indécent et idiot, mais c'est comme ça. Bien sûr, aucun directeur d'opéra ne peut renoncer à faire du cash avec des œuvres certes limitées, mais qui ont au moins le mérite d'attirer un certain public, toutes ces Tosca, Rigoletto ou autres : ce n'est donc pas la énième reprise de la misérable production de Tosca (Werner Schroeter), que Mortier avait également exploité sans pitié pour boucler les fins de mois.



Les œuvres
Le double problème qui se pose ici, c'est d'une part le choix effectué dans le répertoire de l'Opéra tel qu'hérité de son prédécesseur, d'autre part les choix effectués en matière de nouvelles productions.
  • Commençons par les aspects positifs (on ignore parfois que je suis un adepte fanatique du positive thinking - et, du moins pour aujourd'hui, des anglicismes). Disons-le tout de suite : ça ira vite. Le premier bon point - et je ne parle ici que des œuvres - c'est évidemment le Ring : bien sûr, ça coûte cher à monter, mais il fallait le faire, il faudrait que le Ring cesse d'être pour le public parisien une espèce de rareté qui met le public parisien dans une espèce d'hystérie assez pénible.
  • L'autre point positif, c'est qu'il y a enfin une production d'un opera seria de Rossini, en l'occurrence La Donna del Lago.
  • Un des grands credos de Joel, c'est évidemment l'opéra français. Faire venir une nouvelle production de Werther un an après l'importation d'une autre, ce n'est pas bien malin vu l'intérêt très modeste de la partition. Mais monter Mireille, c'est encore bien pire : voilà une œuvre que personne ne lui demandait, qui était recouverte d'une digne couche de poussière, et que personne ne lui demandait ? Est-ce cela, soutenir le répertoire français ? Gerard Mortier, certes, avait monté lui aussi des oeuvres mineures du répertoire français (La Juive, Louise), mais il avait su ouvrir son mandat par une sublime reprise de Pelléas et Mélisande et avait fait découvrir au public parisien ce vrai chef-d'œuvre qu'est Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas, sans parler des Troyens qui devraient ne jamais quitter le répertoire de cette maison.
  • Côté germanique, ce fut cette saison La ville morte de Korngold : ou l'art de choisir, dans la production du XXe siècle, ce qu'il y a de plus rétrograde, un peu comme si la Cinémathèque préférait les nanars à succès des années 50 plutôt que Bergman. C'est un choix, mais c'est un choix qui engage.
  • Le pire, évidemment, vient d'Italie :
Les chanteurs
Mais, pour faire plaisir à Nicolas Joel, parlons de chanteurs, puisqu'il n'y a que ça qui compte. Alors, qu'avons-nous eu au cours de cette première saison "Retour à l'ère Giscard" ?
Alors... Jonas Kaufmann, oui. Joyce di Donato (c'est d'actualité, mais je ne suis pas très enthousiaste). Waltraud Meier, Natalie Dessay, Anna Netrebko (pas fin, mais efficace). Presque Rolando Villazon, mais finalement pas (who cares ?). Et si on va voir dans les noms un peu moins illustres, Secco, Tézier,Workman, le pesant Marcello Alvarez, et quelques autres du même calibre.
Diable, comme c'est étrange : tous les chanteurs précités se sont également produits pendant le mandat précédent, et pour une partie importante déjà à l'époque de Hugues Gall avant 2004. Où est-il, le découvreur inlassable de grands chanteurs qu'on nous avait promis ? Où est la surprise, la chanteuse dont on n'a jamais entendu parler et dont le talent vous explose au visage ? Il y a bien eu Inva Mula, et là encore le choix de mettre en avant cette chanteuse était un choix plein de sens : la diction surannée, l'interprétation limitée à des stéréotypes de grands sentiments, la mise en avant d'une technique pesante mais prétendue meilleure que les autres, il y a tout cela dans le goût de Nicolas Joel pour Mlle Mula. Un choix, donc.

Finalement, un des plus grands bonheurs vocaux de la saison, c'est dans Platée qu'on l'aura eu : elle s'appelle Mireille Delunsch, et c'est, par le plus grand des hasards, une des plus grandes héroïnes de l'ère Mortier...

Les spectacles
On aura peut-être peine à le croire, tant j'ai dit du mal de ce Monsieur Joel dès sa nomination, mais voilà : Nicolas Joel m'a déçu. Il m'avait déjà déçu lors de la présentation de la saison, mêlant imports clef en main de productions surannées, invitations douteuses et reprises soigneusement triées sur le volet pour éviter toute production un tant soit peu intéressante. Mais la réalisation, au cours de cet An I, a dépassé toutes mes craintes.

Des productions importées, il n'y a rien à sauver : tandis que le Faust de Philippe Fénelon (mise en scène Pet Halmen) m'a été rapporté comme un monument de lourdeur, j'ai subi moi-même La ville morte de Korngold (d'après Willy Decker) et Andrea Chénier de Giordano (Giancarlo del Monaco) ; le second est un aveu d'incompétence d'une équipe - metteur en scène et décorateur - incapables de construire correctement un décor, tandis que le premier, particulièrement mal remonté, n'est plus que le fantôme d'une production qui avait sans doute des qualités à l'origine.
Des productions créées pour l'Opéra de Paris, la première et la dernière s'achèvent sur un constat presque égal de naufrage. Mireille a fait de cette maison la risée de l'Europe toute entière ; et si La donna del Lago n'en a pas fait de même, c'est d'une part parce que les journalistes échaudés ne se sont pour beaucoup pas déplacés, d'autre part parce que l'idolâtrie excessive que suscitent certains chanteurs a pu masquer l'indignité de ce spectacle (les médias se sont apparemment donnés le mot pour envoyer les plus médiocres de leurs collaborateurs, cf. par exemple Altamusica). Entre-temps, il y eut évidemment les deux premiers volets du Ring (cf. ici et ici), accueillis de façon beaucoup trop positive par un public parisien qui peine à devenir vraiment wagnérien et prend ici des vessies pour des lanternes, mais Günter Krämer, vieux routier choisi par Joel pour sa capacité à avoir l'air moderne tout en s'abstenant de la moindre pensée, a au moins une sorte de métier que ni Joel, ni Pasqual, ni surtout leur décorateur Ezio Frigerio n'ont plus aujourd'hui, si tant est qu'ils l'aient jamais eu.

On ne le soulignera jamais assez : proclamer le naufrage de cette première saison, ce n'est pas faire le procès de la mise en scène classique par opposition aux mises en scène modernes proposées - parmi d'autres qui l'étaient moins - par Gerard Mortier. On aurait pardonné volontiers à Nicolas Joel ses choix esthétiques conservateurs si le résultat avait eu la fraîcheur, l'invention des Noces de Figaro en costumes d'époque de David McVicar au Royal Opera (DVD Opus Arte) : ça ne remplace pas, c'est évident, le talent créateur d'un Warlikowski, d'un Johan Simons, d'un Jossi Wieler, mais c'est à mille lieues de la poussière des productions de Nicolas Joel. C'est ça finalement qui frappe à l'Opéra cette saison, pour finir sur une autre citation de Pelléas : "La tristesse de tout ceci"...

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5 commentaires:

  1. J'en ferai un commentaire de mon coté ;)

    Toutefois, si tu me le permets, je pense que tu montes un portrait encore plus sombre qu'il n'est. Je persiste sur le fait que le Ring était LARGEMENT meilleur par rapport à quoi je m'attendais, et même si ce n'était pas monté sous Joël j'aurais tout de même trouve ça très décent.

    Ensuite, quelques reprises ont été très bien distribuées (Don Carlo, Billy Budd, Elisir d'Amore, Les Contes de Hoffmann, Il Barbiere...), bien qu'il y avait des horreur inouïes, notamment Salomé et Idomeneo.

    Tu as oublie la catastrophe "La Sonnambula" et l'accident ou ils ont du vider le théâtre parce qu'il n'y avait personne sous la main pour remplacer Dessay après l'entracte (ce qui était l'exemple comment il ne faut pas gérer une grande maison d'opéra - et cette info a fait un tour du monde).

    Coté positif, il y avait cette fausse nouvelle production de Werther, très bien distribuée aussi.

    Ceci étant dit je reste d'accord que cette saison restera marquée par Mireille, Andréa Chenier et La Donna del Lago, ainsi que par ce "nouveau" Faust [que Fénelon a corrigé de la plus abominable des manières.]

    Tu iras à Munich pour les Festspiele?

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  2. Je n'ai pas vu la Sonnambula, d'où mon silence (je n'ai jamais vu aussi peu d'opéras à l'ONP que cette saison...). Je ne suis décidément pas d'accord avec toi sur le Ring, mais on le savait...
    Pour Munich, j'y serai ; si tu viens aussi, et si nous avons des dates communes, on pourrait s'y rencontrer...
    Tu peux (et tout le monde peut) me contacter à musica_sola /at/ yahoo point fr !

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  3. Eeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeet oui. Rameau, en relisant un de tes anciens articles, tu dis que Mortier était plus moderne qu'en paroles qu'en acte. Tu peux développer ? (tu as l'air pourtant de bien l'aimer...)

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  4. J'ai pas eu les billets pour La femme silencieuse et pour Don Carlo, et j'ai annule mon voyage a Munich. Tosca ne me passionne pas vraiment -- en plus ca a passe a la tele et les riches allemands se bagarrent pour des places (ce cote provincial, et genre bourgois de la fin du 19e siecle, est assez present a Munich, non?)
    La dame ne pouvait pas comprendre que je cedais ma place pour Tosca et m'a trouve une superbe place pour La femme silencieuse (opera que je ne connais pas): j'aime bien Barrie Kosky, j'aime bien Diana Damrau - alors malgre Hawlata j'irai voir ca ET La Passagere. Donc si t'es la bas, le 29, 30, 31... yes!

    Sinon il y aura aussi Salzburg. Tu y iras? J'y serai finalement entre le 7 et 13 aout (dont 3 jours a la campagne, pour descendre le soir voir un opera, et le reste je serai a l'hotel Goldene Ente comme l'annee passee -- le 16 je dois etre a Philly). Voila voila!

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  5. @ Papageno : promis, je refais un petit article sur Mortier, un an après, au cours de l'été.

    @ Opera-Cake : ce sera donc Salzbourg, j'y serai aux mêmes dates que toi (enfin, j'y serai avant...).

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