mercredi 1 juin 2011

Beau temps fixe sur Wagner

Tristan et Isolde à Lyon, dans une mise en scène des Catalans de La Fura dels Baus et sous la direction de Kirill Petrenko ; Le Crépuscule des Dieux à Paris, par Günter Krämer et Philippe Jordan : deux premières très attendues vont avoir lieu ces jours-ci en France, et toutes deux, ce n'est pas un hasard, concernent des opéras de Wagner. Cela fait un petit moment que Wagner est au centre de l'attention du monde lyrique en France. Il suffit de comparer les deux dernières productions de Tristan à Bastille pour le voir : en 1998, j'avais pu avoir sans grand dommage une place étudiant en dernière minute (pour ce qui devait être l'une des plus grandes catastrophes récentes de l'Opéra) ; en 2005, la production de Bill Viola et Peter Sellars programmée par Gerard Mortier avait au contraire fait courir les foules, fait l'événément et rempli les salles à ras bord.


Ceux qui ont lu mon compte rendu des deux premiers volets du Ring parisien (Or du Rhin et Walkyrie) auront compris qu'entre ces deux premières, je n'ai pas eu de mal à faire un choix : certes, l'Opéra de Lyon a par malheur changé de metteur en scène en cours de route, passant de l'analytique et humaniste Jossi Wieler aux grosses machines de La Fura dels Baus, mais il a du moins gardé son chef Kirill Petrenko, dont on ne peut attendre que le meilleur, alors que Paris s'en tient aux alanguissements soporifiques de Philippe Jordan (deux chefs de la même génération, et une telle différence de talent...).
Mais plus largement, au-delà de ces deux premières, ce que je voulais dire ici est beaucoup plus général : tout simplement, qu'il fait bien bon, aujourd'hui, d'être wagnérien, wagnérophile, wagnéropathe. Tout y est aujourd'hui : la passion du public, le talent des chanteurs, l'imagination stimulante des metteurs en scène. Excusez-moi de mettre les pieds dans le plat, mais quand vous regardez aujourd'hui les DVD de la mise en scène d'Harry Kupfer à Bayreuth, avec ses effets laser désuets, ça fait un peu sourire : on a vu tellement de choses passionnantes ces dernières années qu'on se demande comment, il y a 25 ans, on pouvait se contenter d'une aussi faible ambition théâtrale. Cette floraison récente de grandes mises en scène wagnérienne, sans doute, ne va pas sans excès dans une certaine profusion décorative qui n'est parfois qu'une autre forme de kitsch (et je pense ici, sous réserve d'inventaire, particulièrement à La Fura dels Baus, dont le Ring existe en DVD). Mais tout de même : Warlikowski, Marthaler (Tristan de Bayreuth, DVD), Wieler (Siegfried de Stuttgart en DVD), Herheim dont je n'ai malheureusement rien pu voir, Konwitschny depuis longtemps, Richard Jones (Lohengrin à Munich, DVD), et j'en oublie beaucoup... Aujourd'hui, les critiques contre l'ancrage conservateur et politiquement douteux du wagnérisme ont volé en éclats : certes, cet héritage s'incarne encore aujourd'hui en la personne de Christian Thielemann (dont je persiste à penser, malgré ses groupies, qu'il ne comprend rien à Wagner), mais les metteurs en scène comme les spectateurs d'aujourd'hui ont su apprivoiser cette complexité, la prendre en compte dans leur relation à Wagner ; non pas la nier, la gommer, mais en faire un élément de leur processus interprétatif.

Et surtout, surtout, la musique : on s'est longtemps lamenté sur la crise du chant wagnérien, parfois à tort (John Tomlinson, le grand Wotan des années 80 et 90, vaut bien Hans Hotter, héros de l'"âge d'or" du "Nouveau Bayreuth"), parfois à raison (certains membres de l'équipe du Ring Chéreau/Boulez...). Aujourd'hui, il faut vraiment être un discophile indécrottable pour ne pas se rendre compte que l'âge d'or est sous notre nez : fini, les divas hululantes ; les ténors wagnériens poussent comme les champignons, et que dire des dames ! Quand vous entendez Anja Harteros, toute fluette, chanter avec une palette émotionnelle infinie, sans jamais forcer, sans jamais se laisser couvrir par l'orchestre, et s'offrir le luxe de jouer admirablement là-dessus, vous n'en croyez ni vos yeux, ni vos oreilles ; la dernière incarnation du Parsifal de l'Opéra de Munich, que les Parisiens ont pu admirer en version de concert, réunissait avec Nikolai Schukoff et Angela Denoke deux chanteurs non seulement admirables pour eux-mêmes, mais qui donnaient aussi matière à une foule de réflexions sur ce que devait être le chant wagnérien (j'en ai un peu parlé dans ma critique Resmusica) : ce ne sont pas que de très bons chanteurs, c'est aussi le produit d'une nouvelle vision.

On s'est je crois rendu compte aujourd'hui que la course aux décibels était un abîme musical, profondément étranger à la musique de Wagner, et qu'il fallait repenser les équilibres sonores pour faire confiance à la musicalité plutôt qu'au son pur. Tout ce que je dis là, bien sûr, n'est pas entièrement nouveau, et cela fait longtemps que cette voie de l'intelligence est tracée par exemple par une autre artiste admirable, Waltraud Meier, qui constitue le trait d'union entre les générations (depuis le temps qu'on entend dire, à tort, qu'elle est "finie"...). Et ce n'est pas un hasard si, en même temps, on peut dire adieu aux mégères ventrues du passé : ce n'est pas seulement le diktat de l'esthétique et du glamour qui envahit l'opéra, c'est aussi la conscience que ce n'est pas la graisse qui fait la voix, mais les organes de la phonation utilisés avec intelligence.

Je pourrais en citer des dizaines, de ces chanteurs wagnériens (souvent plus polyvalents, d'ailleurs, que leurs aînés trop spécialisés) qui font ce printemps musical, dans toutes les tessitures et pour tous les rôles ; et il faudrait citer aussi les chefs qui, en reprenant eux aussi le travail d'orchestre sur de nouvelles bases, leur permettent de s'épanouir, de Kent Nagano à Hartmut Haenchen ; mais plutôt que de me laisser aller à établir des listes, vous me permettrez de profiter plutôt de ma Vorfreude en vue du Tristan lyonnais de ce samedi (compte-rendu à suivre !).

3 commentaires:

  1. J'attends avec hâte votre compte-rendu et de lire ce que vous pensez de Forbis.
    Meier représente un retour au chant wagnérien originel : j'ai toujours pensé que le chant wagnérien "ventru" est une déformation interprétative du XXième siècle, comme un objet originel modifié, né avec Flagstad. Et il me semble que vos remarques subtiles montrent ce retour au sources, à un Wagner bien chantant.

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  2. " Dans toutes les tessitures et dans tous les rôles" ? Il n'y a pas pléthore dans les Brünnhilde (surtout de Siegfried), malgré une Stemme, dans les Siegfried (j'ai beaucoup apprécié Lance Ryan), dans la relève de Meier en Isolde et Kundry, pour une Denoke malgré la tessiture, et les Tristan, en attendant Kaufmann. On est dans une période intermédiaire, où les rôles lourds sont surtout confiés à des chanteurs laids à entendre, ou à voir. Que peut donner une Westbroek par exemple en Isolde ? Ce serait bien de faire un article prospectif, à la manière des intendants qui doivent se projeter quatre ans à l'avance et parier sur l'évolution des chanteurs.

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  3. Oui, c'est vrai, les choses restent moins évidentes pour ces rôles. Cela dit, on constate que de plus en plus de petites maisons parviennent à afficher elles aussi le Ring, et ce serait bien que les programmateurs aillent y faire un tour. On subit encore pas mal de beugleurs pour Siegfried ou Brünnhilde, parce qu'il faut du temps pour que les mentalités changent, et je suis sûr qu'avec le temps, avec des chefs d'orchestre compétents et qui réfléchissent un peu (Haenchen plutôt que Thielemann...), ça va venir...
    (au passage, Schukoff cité dans l'article a aussi chanté Siegfried au Châtelet)

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